Réunion de travail
Je me relève en me saisissant de mon téléphone portable et je compose un numéro. Je n’ai même pas besoin de regarder l’écran, je sais qui j’appelle, et je sais que cette personne décrochera. J’ai à peine porté le combiné à mes oreilles que j’entends sa voix.
— Pourquoi tu m’appelle ?
— Bonjour Olivia, je suis moi aussi content d’avoir de tes nouvelles.
Un léger silence s’abat sur le réseau, alors que notre dernier entretien me revient en mémoire. C’était trois jours après ma désertion. Elle m’avait dit avoir récupéré mon arme, et qu’elle, Denis et Gérard comprenaient mon acte, qu’ils avaient ouvert les yeux, et qu’ils seraient là au besoin.
— Tu en as besoin ?
— Pas que. Appelles-les, et dis-leur de venir.
— Pourquoi ?
— Elle est revenue… Et Elle les a emportés…
Un second silence se fait, plus long, plus lourd, puis…
— On arrive.
Je raccroche et quitte le salon pour aller vers le sous-sol, et ouvrir la porte du sellier, puis encore celle derrière à l’aide d’une clé très spéciale et bien cachée, avant d’entrer dans mon sanctuaire, là où les reliques d’un passé que j’espérais définitivement enfouie dorment depuis des années. Treillis, rangers, équipement, armement, poussière, sang, mauvais souvenirs… Je serre les dents, les poings, et, je dois bien l’avouer, les fesses aussi. Ce que je m’apprête à faire est fou.
Je me déshabille, ne gardant que mon caleçon, et sors mon treillis préféré de sa housse. Premier constat, je n’ai pas perdu mes bras et mes pectoraux. Deuxième constat, j’ai pris un peu de ventre et de cul par contre… Peut-importe, les treillis sont autant réglables que faire se peut. J’élargie la taille, desserre le ventre, et rerentre dedans sans effort. Dans un sac hermétiquement fermé se trouve mes rangers. Pas les modèles récents en tissus, non, celles que j’ai reçu pour mes treize ans. Des Brodequin à chevillière attenante. Elles ont passé cinq ans à baigner dans de la graisse pour cuir, et quand je les en sors, elles dégoulinent tandis que je retire ce qui en protégeait l’intérieur, pour les enfiler avec une certaine forme de satisfaction. Elles sont toujours aussi confortables qu’avant, de vrais petits chaussons. Elles ont tout vu, tout subis à mes côtés, et pourtant je n’ai eu à les ressemeller que deux fois. Je crois que mes dons les ont préservées.
Sur un cintre repose mon gilet de combat, encore équipé de mes couteaux de combat. J’ai toujours préféré les armes blanches et le corps à corps aux armes à feu. Non pas que je sois mauvais tir, bien au contraire. Mais le corps à corps est plus intime, prendre une vie de la sorte a presque plus de sens, de saveur et de valeur comme ça, parce que vous pouvez la voir s’éteindre dans les yeux de votre adversaire. Je sors les lames de leurs fourreaux et en contrôle l’affutage. Elles sont parfaites, comme elles l’ont toujours été, et prêtes à l’emploi. Je les rengaine et enfile le gilet, puis retrousse les manches de ma veste de treillis jusque deux doigts au-dessus du coude, et sors mon béret de la poche de mon pantalon pour le poser sur ma tête, avant d’enfiler mes gants de combat. Ils sont en cuir et renforcés pour amortir et protéger mes doigts quand je frappe tout en décuplant la douleur de mes adversaires. Une fois bien enfilés, je frappe mes deux poings l’un contre l’autre, prêt à partir au combat, puis quitte la pièce sans refermer la porte. Si mes fantômes sont venus me persécuter, autant laisser mes démons en profiter pour ressortir. Ma rage passée vient se mêler à celle du présent, et la soif de violence et de sang viennent se joindre à mon désir de vengeance.
La porte sonne quand j’atteins le raz de chaussée et je l’ouvre en me tenant sur mes gardes.
— Ce n’est que nous.
Face à moi, mes anciens amis. Ils ont vieilli eux aussi… Les cheveux d’Olivia sont totalement gris, Le visage de Gérard est couvert de rides et les cheveux de Denis sont aux abonnés absent. Je ne dis rien, ne souris même pas, mais me pousse de la porte pour les laisser entrer, puis referme derrière eux. Olivia me tend un long carton de presque un mètre de long et je l’ouvre pour en sortir mon fusil d’assaut, six chargeurs et assez de munitions pour les grailler tous. Mon SCAR est merveilleusement entretenu, et je souris devant sa beauté. Sa lunette de visée hybride me permettant de basculer du viseur laser au grossissement fois quatre a même des piles pleines et son réglage est impeccable. Denis rompt le silence et ma contemplation.
— Tu as ton arme, tu veux quoi d’autre de nous ? Nos dettes sont payées. Mais nous ne sommes pas assez fous pour aller affronter les Quatre.
— Et je ne vous le demanderais jamais de le faire. Mais j’ai besoin de votre énergie.
Gérard fut le premier à réagir.
— Attends… Tu veux nous prendre ce qu’il nous reste ?
J’opine lentement du chef. Je sais qu’ils ne veulent pas redevenir de simples mortels, mais je n’ai plus le niveau nécessaire pour vaincre les Cavaliers… Je suis rouillé, et je n’ai plus autant de pouvoirs qu’avant…
— Oui…
— Tu sais que ça ne suffira pas à vaincre les Quatre, et que ça peut nous tuer ?
— Je ne vous prendrais pas tout. Et il suffit que j’en batte un pour restaurer pleinement mes forces… Que valent nos vies face à celles de ma famille.
— Oui, ta famille !
— Oui, ma famille ! Des êtres innocents qui n’ont jamais tué personne, à l’inverse de nous ! Nous avons vendu nos âmes au diable, mais pas eux… Mes enfants… Ils ont le droit de vivre, non ?
Je les implore, tant du regard qu’avec mon ton, et Olivia soupire.
— Tu nous ressors la même litanie qu’il y a cinq ans…
— Et ?
— Et tu m’avais déjà convaincu à l’époque…
Elle vient m’enlacer, et une brume blanchâtre s’échappe de son corps pour pénétrer le mien. Mes muscles se raffermissent, mes rides s’estompent, mon ventre s’efface, mon énergie revient, puis je me sépare de mon amie. Elle titube un peu mais se reprend. Ses cheveux sont blancs maintenant, et elle-même porte un peu plus de rides, mais elle me sourit alors qu’une larme coule le long de sa joue.
— A toi de jouer, Champion.
Denis soupire et l’imite, puis Gérard à son tour. Quand tout est fini, les années ont rattrapé mes amis, et je suis plus puissant que je ne l’ai jamais été.
— Restez ici aussi longtemps que vous le voudrez… Vous avez besoin de repos, et vous êtes les bienvenus. Je reviens dès que possible vous présenter mes enfants.
Olivia me regard, inquiète.
— Tu vas faire comment ?
— Je vais aller débusquer Famine pour commencer. Il a toujours été le plus faible d’entre eux.
— Tu sais où il est ?
Je souris à mon tour.
— Sûrement à un défilé de mannequins anorexiques…
Je prends mon fusil et me rend au sous-sol avant de rentrer dans ma voiture, tandis que la porte extérieure s’ouvre en même temps que le portail, puis j’engage la première vitesse. Il y a un cimetière tout prêt, ce sera un excellent point d’accès vers Son royaume et Ses Cavaliers.
Après dix minutes de route, je me gare et entre dans le lieu de repos éternel. Dans chaque site de ce genre sont cachés des points d’accès, certains menant directement chez les Cavaliers si on sait chercher. Les monuments aux Morts amènent chez Guerre et Conquête, par exemple, mais je sais que je n’ai pas encore la puissance requise… Bientôt, promis. D’autant plus que Guerre a emporté assez de collègues pour que je veuille lui faire la peau. Enfin, je trouve ce que je cherche. Il y a une tombe sans fioritures. Une petite fille retrouvée des décennies plus tôt dans une ruelle de la ville, morte de faim depuis quelques jours. J’ai mon entrée.
Je me mets devant la stèle et sors un de mes couteaux, avant d’entailler ma main gauche et d’étaler le sang sur la pierre. Les inscriptions se mettent à luire, faiblement d’abord, puis de plus en plus fort alors que la lumière devient mauve, puis les lettres commencent à tourner sur elles-mêmes, entraînant leur lueur dans une immense spirale se changeant en vortex. Je prends mon arme, mes chargeurs et mes munitions puis me mets en route et le franchit. De l’autre côté, le désespoir me gagne.
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