Les pleins pouvoirs

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                — Tu n’apprendras donc jamais.

                Quoi ?

— Pardon ?

                J’ai compris. Mais trop tard. Il a brisé ma concentration en me faisant douter. Les flammes se sont éteintes, et son épaule est présentée à mon nez… Le pire, c’est que j’ai vu l’action au ralenti, et ma réaction au ralenti également… Quand j’atterris plus loin, j’entends mes enfants pleurer. Ils sont morts de peur et d’inquiétude… Je dois abréger ça, je dois les épargner de ces horreurs. Prenant appui sur le coude, je me redresse.

— Donc ne pas perdre ma concentration, et utiliser mes sentiments tant que je ne sais pas contrôler mes pouvoirs ?

                Christophe opine du chef.

— Tu as toujours été un bon élève et un bon élément.

— Merci.

                Il saute sur moi, l’épée prête à me clouer au sol, mais je me relève plus vite que lui, et ma paume de main frappe son plexus. Comment j’ai fait ? J’ai utilisé mes sentiments. Lesquels ? L’amour pour ma famille. A notre contact, j’enclenche les aptitudes de Famine et Pestillence. Je ne sais pas comment, mais ça fonctionne. Conquête s’amaigrit à vue d’œil tandis que son teint devient blafard… Puis je fais sortir l’épée.

                Une fois au sol, il est vaincu, vraiment, et il le sait. Il va mourir, de ma main, et me sourit quand même.

— Tu comprends vite…

— Ma famille ne mérite pas ça… Et la tienne ne le méritait pas non plus…

— Alors n’oublies pas ta promesse…

                Du sang coule le long de son sourire qui me semble sincère, et je m’agenouille à ses côtés pour l’enlacer.

— Je suis désolé mon ami…

— Pas autant que moi, Chris… Pas autant que moi…

— Alors terrasse-La une bonne fois pour toute… Venges tous les Prêtres, venges les Quatre, venges les familles détruites pour ses manigances… Puis dissipe ses pouvoirs, réparties les équitablement entre des gens dignes de confiance…

— Je te le jure.

— Merci…

                Sa tête bascule en arrière, ses yeux se révulsent… Il n’est plus… La fumée blanche qui s’échappe de son corps m’entoure et s’enroule autour de mon corps avant de me forcer à le lâcher pour me faire m’élever. Je sens la douleur, je sens la puissance, mais je sens aussi le lâcher-prise. Plus cette énergie me pénètre, moins je me soucis des problèmes des mortels. Mon dos se déchire et je sens mon corps se prolonger, alors que les flammes m’enveloppent de nouveau. Je pourrais me considérer comme omnipotent, mais je m’en fous. Je me fous de tout un peu plus à mesure que je me rapproche d’un dieu, je ne sais même plus qui sont ces quatre personnes au milieu de mes troupes. Je suis l’Ange de la Mort, Son plus fidèle combattant, et j’ai décidé de La tuer sans plus savoir pourquoi. Quelle en est l’utilité dans ce cas ?

                Mon corps retouche le sol, et mes armées se prosternent devant moi tandis que je me redresse en déployant de grandes ailes blanches. Une longue bure recouvre mon corps et sa capuche dissimule mon visage. Je vois ces quatre inconnus me dévisager comme s’ils voyaient un étranger tandis que je me tiens droit et fier devant eux.

 Je suis Azraël, l’Ange de la Mort. Que faites-vous dans Mon Royaume ?

                La femme pose une femme plus petite et en pleurs au sol et s’approche de moi, des larmes aux yeux. Elle semble souffrir. Souhaite-t-elle que j’abrège ses souffrances ?

— Mon amour ? C’est toi ?

Qui est ce Mon Amour ? Je suis Azraël, l’Ange de la Mort.

                La petite femme court vers moi en criant.

— Papa !

                Je la dévisage froidement.

Qui est Papa ? Je suis Azraël, l’An…

                La femme me gifle, et la colère me gagne. Je vais la tuer pour qu’elle comprenne son erreur quand la petite femme en pleurs se jette dans mes jambes.

— Papa ! J’ai peur.

                Je la regarde avec une forme d’étonnement. Si elle a peur, pourquoi vient-elle vers moi ? N’est-ce pas plutôt du courage ? Ou de la folie ? Elle lève son visage vers moi, et nos yeux se croisent. Je subis un électrochoc. Ce bleu, cette profondeur, cet amour, je me revois devant une piscine vidée. Je revois les pompiers, les ambulanciers, le maître-nageur, mon épouse en pleurs, La Grande et son petit frère sur un transat, elle qui le réconforte et lui qui ne comprend pas la situation. Je revois ma puce qui reprend conscience quand j’arrive en hurlant son nom, je revois ce regard bleu, ce bleu si intense qui ressort d’autant plus que sa peau est livide de l’hypothermie, je la revoie vomir l’eau de la piscine, je revois mes larmes, je revis ma peur… Puis je revis mon bonheur. La maternité, les bébés, la frayeur de chaque hémorragie de la délivrance… Les enterrements de ma famille… Notre mariage et le sentiment qu’un ange remontait l’église pour venir se lier à moi devant son Dieu… Notre première rencontre, moi perdu et couvert de sang, elle compatissante… Les morts que j’ai provoquées, le camion qui m’a écrasé, le couteau de ma mère dans mon ventre… Je hurle en tombant à genoux. Je suis MOI !

                J’enlace ma fille en pleurant… Comment ai-je pu l’oublier ? Comment ai-je pu oublier ma famille ? Quel genre de père et d’époux je suis ? Je regarde mon épouse, les yeux remplis de larmes, et elle me sourit avant de se jeter à mon cou. Mon aînée et mon fils nous rejoignent, et mes ailes viennent les enlacer aussi.

— Je suis désolé…

                Ma voix est redevenue normale... Mon épouse rigole.

— Non, si on veut être précis, maintenant tu es Azraël, l’Ange de la Mort. C’est pompeux, mais tes ailes sont sublimes…

                Je rigole à mon tour.

— J’ai des plumes soyeuses parce que tu me nourris bien…

— Donc tu es mon perroquet savant ?

                Je la hais. Mais qu’est-ce que je l’aime…

— Et maintenant, on fait quoi ?

                Je me relève et rabat la capuche de ma bure. Je sens au-dessous une armure légère comme un souffle de vent et sourit intérieurement.

— Je vais vous ramener à la maison. Il y a là-bas des amis qui veilleront sur vous. Et moi, je vais mettre un terme à tout ceci…

                J’ouvre un portail et nous le franchissons pour arriver dans le salon, et mes amis nous accueillent avec soulagement. Une fois les présentations faites, et qu’ils ont fini de s’extasier sur mes ailes, mes flammes et mes yeux bizarres, j’enlace mes enfants. Les au revoir ont un air d’adieu qui ne me plait pas… J’arrive à mon épouse et me tiens droit, sans savoir quoi faire.

— Ne te préoccupe pas du après. Focalises-toi sur le présent.

                Elle me connait si bien…

— Tu sais que…

                Elle pose son index sur mes lèvres.

— Oui, je le sais, alors pas d’adieux. J’attendrais ton retour, c’est tout.

— Merci.

                Nous nous embrassons, et je m’écarte d’elle alors qu’elle pleure. Je pourrais passer par la porte, mais je rêve d’avoir la classe. Je détache ma bure et révèle l’armure de plate finement ciselée et légère, ainsi que l’épée à mon flanc gauche, et j’avance vers une fenêtre que j’ouvre, avant de sauter dessus. J’allais prendre mon envol, mais j’ai besoin de les regarder une dernière fois. Ils sourient, me saluent de la main avec enthousiasme, et pleurent en même temps… Je leur tends un pouce victorieux avant de m’élancer dans le vide, déployant mes ailes pour prendre mon envol. Je ne sais pas où elle est, et pourtant je me sens attirer dans une direction, alors on verra bien…

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