Chapitre 9
Ash m'expliqua qu'il y avait sept portes, c'était un chiffre porte bonheur d'après de nombreuses croyances. Nous allions emprunter la porte principale. La foule y était beaucoup plus dense qu'à Epission. Une dizaine de gardes surveillaient l'entrée et fluidifiaient le flux de voyageurs. Ash m'indiqua de rester près de lui puis il se piqua l'index qu'il leva. Une volute bleue glacier s'en échappa vers le ciel. A ce signal, tous les gardes se mirent au garde à vous et la foule s'ouvrit face à nous. On aurait cru avoir affaire à Moïse.
Je le regardais surprise, il était transfiguré. Je n'avais plus face à moi le compagnon de route mais le Prince qui venait reprendre sa place. Mon cœur se pinça, je regrettais déjà notre duo. Je prenais toute la mesure des changements de ma vie. Nous n'étions pas juste deux amis en voyage mais bien porteurs de l'avenir des Mondes.
J'avais la nausée, je stressais de rencontrer le Roi et la Reine. Comment est-ce que je pourrais être à la hauteur ? Ash n'en parlait jamais. Dès que j'abordais le sujet, ses yeux se voilaient et il déviait. Je savais juste qu'il avait un frère aîné, Galaeron, et une soeur cadette, Syrae.
Tout ça ne m'empêcha pas d'ouvrir des yeux émerveillés. Par-ci une porte finement ouvragée, par là une façade exotique, tout était magnifique. De nombreux temples marquaient notre chemin. De délicieuses odeurs s'échappaient des boutiques, mon ventre se mit à gargouiller. Je rougis et jetais un regard vers Ash en espérant qu'il n'ait rien entendu. Apparemment c'était raté, je surpris un fugace pétillement dans ses yeux, même si le reste de son visage restait de marbre.
Le palais n'avait rien à envier au reste de la cité, il respirait l'opulence. Là encore, de nombreux gardes étaient présents. Ils avaient l'air surpris et heureux de revoir leur Prince. Je compris aisément que son retour était signe de liesse dans la ville. De chuchotement, le bruit s’amplifia au fur et à mesure de notre avancée pour devenir un véritable brouhaha. Une foule nous attendait et l’acclamait en arrivant au palais. Il accordait quelques signes de tête, comme s'il les remerciait pour leur accueil.
Ils observaient aussi cette humaine à ces côtés. Des picotements me chatouillaient le corps. Je me maîtrisais comme je pouvais pour ne pas devenir rouge écarlate. Moi qui n'avais jamais aimé être le centre de l'attention, j'étais servie. Et surtout, je n'avais aucune échappatoire.
Des palefreniers vinrent chercher nos montures pour les conduire aux écuries. Honey était plus que contente de savoir qu'elle allait être dorlotée mais Shadow eu plus de mal à me quitter. Je dus user de force de cajoleries et de promesses de revenir le voir très vite. Il ne put malgré tout s'empêcher de faire semblant de croquer celui qui le tenait, pour s'arrêter à deux millimètres de son bras. Il était incorrigible.
La foule nous laissa à l'entrée du château. Une escorte nous amena jusqu'à ce que je devine être la salle du trône. Nous passions devant d'immenses tableaux qui devaient représenter l'ensemble des souverains. J'aurais bien posé la question à Ash, mais il était muet depuis que nous étions entrés en ville. Je ne savais pas comment prendre son comportement.
Les portes de la salle s'ouvrirent majestueusement devant nous. Versailles c'était de la gnognotte à côté de ce lieu.
— Le Prince Ash et l'Enfant de Lune, annonça une voix dont je ne sus identifier la provenance.
Comment savait-il qui j'étais ? Ash avait dû faire passer l'information par les gardes. Et il me semblait que j'avais encore un prénom. Je n'aimais pas être réduite à un titre. Pourtant, j'avais bien l'impression que j'allais devoir m'y faire.
Nous nous avançâmes au pied des trônes où siégeaient le roi et la reine. Ash s'agenouilla. Ne sachant pas trop quoi faire, je l'imitais maladroitement. Je ne tombais pas, c'était déjà un bon début.
— Bienvenue en nos terres Enfant de Lune. Bon retour Prince, nous salua la reine.
Le roi quant à lui se contenta d'incliner la tête. Ces salutations terminées, nous nous relevâmes.
On ne pouvait pas dire que la famille était chaleureuse. J'aurais quand même pensé qu'ils seraient plus heureux que ça de revoir leur fils après cinq ans. Mais apparemment pas tant que ça. J'eus un pincement au cœur en me demandant s'il avait vraiment grandi avec aussi peu d'amour.
— Prince Galaeron ? appela-t-elle.
Un jeune homme un peu plus vieux qu'Ash se présenta et s'inclina avec moult courbettes devant moi. On voyait bien la ressemblance, mais elle s'arrêtait au physique. Ils ne dégageaient pas du tout la même chose. Il eut à peine un regard dédaigneux pour son frère. Charmant.
— Il sera votre guide dans notre cité pour les prochains jours, avant que vous n'intégriez l’Académie.
Tous mes muscles se raidirent instantanément. Et Ash dans tous ça ? Il ne me regardait pas, je pouvais juste voir qu'il était aussi crispé que moi. Ses poings serrés montraient à quel point il se contrôlait. Pourtant, rien ne transparaissait sur son visage à par un masque d'ennui profond. Je décelais ces signes uniquement grâce au temps que j'avais pu passer avec lui.
— Prince Asher. Vous me rejoindrez après la séance dans mon bureau pour vos prochaines attributions. Vous pouvez disposer, indiqua le roi avant qu'ils ne se lèvent et se détournent.
— Enfant de Lune, je vous rejoindrais dans quelques heures pour vous laisser le temps de vous installer, susurra le Prince Galaeron avant de suivre ses parents.
Je restais abasourdie, je tombais des nues. Comment pouvait-on être aussi froid dans une cité aussi pleine de chaleur ? Je tournais la tête vers Ash qui commençait à se détourner également. Mon bras se tendit avant que je ne l'aie décidé pour le rattraper.
— Ash…
Il tourna vers moi un regard froid, je crus voir une étincelle d'ombre et de regret les traverser.
— C'est ici que nos chemins se séparent Enfant de Lune, me dit-il.
J'ouvris de grands yeux étonnés et déçus. Alors ça y est, maintenant pour lui aussi je n'étais plus que ça ! Tout le long il avait bien joué la comédie. Mes yeux me piquèrent et je sentais les larmes poindre. Je déglutis difficilement pour ne pas perdre la face.
— Alors tout ça n'était que cinéma pour toi, vous ne faites que mentir, assénais-je brutalement en me détournant.
Je ne voulais pas qu'il voie les rivières salées qui coulaient le long de mes joues.
— Ellie, souffla-t-il.
— Tais-toi tu n'as plus le droit ! lui répondis-je rageusement en m'essuyant les yeux.
Je lui en voulais de m'avoir fait croire qu'il serait toujours là pour moi pour m'abandonner comme ça. Pour ne pas me soutenir et me laisser perdue au milieu de ce monde totalement inconnu pour moi. En fait je n'étais vraiment rien de plus qu'une mission parmi tant d'autre…
Il soupira avant de se détourner vers la porte opposée à celle qu'on me fit emprunter.
Un page qui semblait avoir une quinzaine d'année m'amena vers ce qu'il m'indiqua être mes quartiers. La chambre très spacieuse faisait la taille de mon ancien salon. Ce qui me fit à nouveau penser à mes parents et creusa encore plus la brèche qui s'était ouverte dans mon cœur. Je me demandais souvent comment ils allaient, j'aurais aimé les rassurer. J'aurais voulu demander à Asher mais ce n'était plus d'actualité.
Prise d'un élan de faiblesse, je tombais assise sur le lit et laissais couler les larmes que je retenais depuis trop longtemps. Je me ressaisis quand on toqua à la porte. Je fouillais dans mes poches pour trouver un bout de tissu qui pourrait servir à m'essuyer les yeux et à me moucher. Dans cet ordre de préférence.
— Bonjour Enfant de Lune, je suis votre femme de chambre, Selana. Je viens vous aider à vous laver et à vous vêtir pour votre balade avec le Prince Galaeron.
Cette voie fluette appartenait à une jolie Elfe blonde aux yeux d'un vert profond.
— Enchantée. Euh merci, mais je sais me laver seule, répondis-je gênée.
Elle ouvrit de grands yeux surpris.
— Vous n'aimez pas ma tenue ? Mon attitude ? Si vous le souhaitez, je vous appelle quelqu'un d'autre, répondit-elle en baissant le regard.
— Oh ce n'est pas ça ! C'est juste que je n'ai pas l'habitude qu'on me voit nue ! Je suis plutôt pudique, souriais-je confusément.
Je ne voulais pas la mettre mal à l'aise la pauvre. Elle ne faisait peu être que son travail mais je n'avais pas du tout cette culture là moi !
— Ah pardonnez-moi, j'oubliais que vous n'étiez pas d'Ether. Peut-être puis-je vous suggérer d'entrer dans le bain seule ? Puis je pourrais venir m'occuper de votre chevelure ? proposa-t-elle.
Mon esprit court-circuita au mot bain. Me détendre dans l'eau chaude, j'étais prête à tout accepter pour ça ! Enfin presque tout… Ma tête acquiesça d'elle-même et je la suivis dans la pièce attenante à ma chambre. Une magnifique baignoire à pâte de lion trônait au centre de la pièce. Un paravent permettait de se déshabiller en toute discrétion et comble du confort : il y avait des toilettes.
Le bain était déjà rempli, des volutes de condensation s'en élevaient. Une douce odeur régnait dans la pièce et invitait à la détente. Dommage que j'étais encore contrariée sinon je ne me serais pas cru à des années lumières de chez moi mais dans un hôtel spa avec soins et all-inclusive. Des douceurs sucrées avaient été apportées dans la pièce.
Aucune autre porte que celle de ma chambre n'était visible. En revanche, pour que quelqu'un ait préparé tout ça pendant mon black-out, il devait y avoir des passages secrets. Ma curiosité fut titillée, il faudrait que je découvre ça.
Selana me laissa le temps de me déshabiller et de plonger dans l'eau chaude avec délectation avant de revenir. Je poussais un gémissement de contentement en sentant l'eau m'envelopper.
Quand Selana commença à me masser les cheveux, c'est carrément un soupir d'extase qui sortit de ma bouche. J'en fus affreusement gênée, ce qui lui provoqua un petit rire.
— Contente de savoir que ça vous plait Enfant de Lune.
— Tutoyez-moi et appelez-moi Elisabeth s'il vous plait.
Je n'en pouvais déjà plus de ce titre pompeux et qui à chaque fois me replongeait vers ce que je devais, et nous voulais, être.
— Oh je n'oserai pas ! Ce serait un manque de respect.
On aurait dit qu'elle était choquée de ma proposition.
— Je prends vingt ans à chaque fois qu'on me vouvoie, grommelais-je.
— Je… Je vais essayer.
Nous continuâmes à discuter plus simplement. Je dus la reprendre plusieurs fois sur le vous et sur mon prénom pour qu'elle finisse par s'y habituer. J'appris qu'elle avait grandi dans cette ville en espérant un jour entrer au palais pour y travailler. Ses parents avaient sacrifié beaucoup de chose pour son éducation et qu'elle réalise ses rêves. Ils étaient aujourd'hui fiers d'elle. Elle était fille unique et me confirma que le couple royal était une belle exception à la faible natalité Elfique.
De mon côté, je lui racontais un peu ma vie sur Terre. Mais il n'y avait pas énormément de choses à dire. Comment lui expliquer les avions, les voitures, le train ? De ce que j'avais pu comprendre, ça n'existait pas ici.
Elle semblait avoir envie de me faire plaisir. Ne pourrait-elle pas être une amie dans ce monde ? Je me méfiais malgré tout. J'avais déjà été déçue et il fallait que je blinde mon cœur pour qu'il ne finisse pas en miette.
— C'est quoi l'Académie ? La reine a dit que j'y serais intégrée mais c'est tout.
— C'est l'endroit où les Dotés les plus puissants étudient dans les préceptes de l'Ambusien Suprême. Même s'il a disparu il y a plusieurs centaines d'années, son idéologie continue à être enseignée.
— Et… C'est bien ?
Mon anxiété devait être perceptible.
— Il parait que les cours sont durs et les professeurs très exigeants. Par contre, il n'y a pas meilleure école que celle-ci.
Génial, je me retrouvais à la Sorbonne pour apprentis sorciers… Je pinçais les lèvres à cette pensée. Je n'étais pas mauvaise élève, mais je n'étais pas non plus dans les meilleures de la classe. On pouvait dire que je faisais partie du deuxième tiers : ceux qui y arrivaient en bossant pas mal. Et ça, dans une école « classique » alors dans une école pour élite… J'appréhendais. Surtout que vu la prophétie qu'on me collait sur le dos, je serais pointée du doigt pour être l'élève modèle. Moi la pression ?! Si peu…
— Il est temps de sortir de l'eau. Nous devons t'habiller pour le Prince Galaeron.
Je levais les yeux au ciel à son ton si solennel en sortant de l'eau. J'étais moins gênée après nos échanges. Elle me donna une serviette bien chaude dans laquelle je m'enroulais avec joie.
— Tu n'as pas l'air enchantée Elisabeth ?
Voyant que je n'osais pas répondre, elle continua d'un air sérieux et son petit nez pointé en l'air. Elle était moins protocolaire que ce qu'on pouvait penser au premier abord.
— Ne t'inquiète pas, tout ce qui se dit ici restera entre nous.
Un rire me secoua en voyant son air décidé. Elle haussa un sourcil en attendant ma réponse.
— Je ne l'aime pas.
— Pourquoi ?
Elle posait la question mais ne semblait pas si surprise que ça de ma réponse. Je haussais les épaules.
— Je ne l'ai pas vu longtemps, mais il ne m'a pas fait bonne impression. Ses lèvres sourient mais son regard reste froid. Quand il m'a baisé la main, j'ai eu l'impression qu'il allait y rester coller tellement du miel sort de sa bouche. Il ne m'inspire pas confiance.
Elle baissa les yeux troublés en se mordillant la lèvre.
— Méfiez-vous de lui.
Je le regardais surprise en tentant d'en savoir plus. Elle se détourna mal à l'aise puis me fit non de la tête. Je n'insistais pas. Je ne voulais pas raviver des souvenirs qui avaient l'air douloureux pour ma nouvelle amie si joyeuse.
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