Chapitre 17
Dans un silence morbide, nous nous approchions de notre funeste destination. Quand Oregon essaya de me parler, je ne fis que répondre par des borborygmes incompréhensibles.
— Holà qui êtes-vous ! Vous ne pouvez pas vous approcher comme ça !
Je n'avais même pas vu que quelqu'un était arrivé près de nous. Je tournais vers l'intrus qui m'avait dérangé un regard vide. La main sur la garde de mon épée, j'étais prête à l'embrocher sans vergogne et sans remords s'il se mettait en travers de mon chemin.
Ce fut la main de mon Maître qui me ramena à la réalité.
— Elisabeth, reviens parmi nous.
L'emploi de mon prénom était tellement exceptionnel que je repris immédiatement mes esprits en poussant un cri confus. J'avais vraiment failli l'abattre. Je m'en voulais tellement et me faisait peur. Ce mur annihilait tout ce qu'il y avait de bon en moi.
— Votre identité ! aboya le garde.
Mes yeux s'étrécirent. J'avais repris contact avec le présent mais la folie frôlait d'assez près mon esprit pour qu'il ne me titille pas trop non plus.
— Il va se calmer le chien de garde et nous amener directement au chef de camp avant que je l'écrabouille. Maître Oregon pour vous servir.
Elle avait été plus rapide que moi. A la mention du nom, il se décomposa et blêmit. Apparemment, il n'y avait pas que moi qui étais à cran. Elle se gérait seulement mieux que moi.
— Euh ... Hum ... Désolé ... Hum ... Tout de suite, bredouilla-t-il.
Un sourire de prédateur se dessina sur nos lèvres. Nous étions sur la même longueur d'onde. Et si nous chassions la souris ? Oh merde ! Qu'est-ce qu'il me prenait ? Je me pinçais et secouais la tête pour reprendre le fil de mes pensées.
J'étais perdue dans celles-ci en essayant de ne pas sombrer quand une voix inattendue me fit sursauter.
— Gale, que nous as-tu donc ramené là ? Oregon ! Les Dieux soient loués tu es enfin là ! Tu as repris un apprenti ?
Le silence se fit quand nos yeux se croisèrent pour ne plus se lâcher. Le monde s'arrêta de tourner autour de nous. Nous étions entièrement focalisés l'un sur l'autre.
— Ash ...
— Ellie !
Je sautais au bas de ma monture pour m'élancer dans les bras qu'il avait grand ouvert. Je me retrouvais serrée tout contre lui, blottie dans le creux de son cou à respirer son odeur si apaisante. Il me tenait si fort contre lui que j'avais peine à respirer, mais pour rien au monde je ne l'aurais repoussé.
— Et bien dites donc. Apparemment le Prince Asher t'a manqué chaton.
Je ne pouvais même pas mettre mon comportement sur le dos de la Frontière. Il me relâcha et je m'écartais de lui en rougissant, n'osant pas croiser le regard d'Oregon. Celle-ci éclata d'un rire franc. Le premier depuis des jours.
— Oh c'est sûr que ça change de tout à l'heure où tu as failli étriper ... Gale c'est ça ?
Elle le regardait d'un oeil gourmand. Mais je n'arrivais pas à dire de quelle manière elle voulait en faire son quatre heures.
— Pardon ? demanda Ash surpris.
— Moui il se peut que la proximité de la Frontière ait des effets ... indésirables ... sur mon humeur.
— Elle est encore plus sensible que nous tous à cette saloperie. Et comme il n'y en a pas un qui veuille se mouiller à chercher une solution, je suis encore obligée de revenir !
— Oregon tu es injuste ! Ce n'est pas de ma faute si Sylf s'est défilé !
— NE ME PARLE PAS DE CE CONNARD ! Il n'en finit pas de m'emmerder !
Cette brune filiforme devenait rouge de colère. Ses yeux verts transperçaient Ash.
— Et on dit de moi que je suis sensible à ce truc ? tentais-je pour dédramatiser la situation.
Elle me regarda, déstabilisée, puis mit quelques instants à se reprendre.
— On a peut-être trouvé quelqu'un qui pourrait déchiffrer ce que tu nous as ramené l'autre jour. Il nous dit que cet ouvrage viendrait de la bibliothèque de l'Ambusien Suprême. Comment tu as pu dénicher ça ?
— Ca ne te regarde pas.
Son ton était sans appel. Ash n'en tirait rien. Il devait bien la connaitre, car il se contenta de hausser les épaules.
— Par contre, je ne savais pas que tu avais pris Ellie comme apprentie, donc je n'ai fait préparer qu'une tente. Ca ira ?
— Ca fait presque un an qu'on est ensemble, je pense que la proximité on devrait s'y faire non ?
Elle était amère, comme si elle ressassait à nouveau d'anciens souvenirs. Je posais doucement ma main sur son bras pour la ramener à moi. La tristesse voilait son visage. Elle se dégagea doucement, en me signifiant que ça allait puis se détourna.
— Je vais inspecter les dégâts. Chaton, profite-en, tu as quartier libre.
Je hochais la tête, même si elle ne me regardait pas et était déjà partie. Elle avait besoin d'être un peu seule.
— Viens Ellie, je vais t'aider à t'installer.
Il me prit la main pour me guider au travers du camp. Les tentes me rappelaient celle que nous avions lors de mon arrivée. Certaines étaient beaucoup plus grandes et il m'expliqua qu'il y avait le réfectoire, les sanitaires, les douches, l'armurerie, l'intendance. Les plus petites étaient celles individuelles. La plupart dormaient dans des tentes dortoirs. C'était un privilège d'avoir sa propre tente, ou alors il fallait avoir les moyens pour se l'acheter. L'usage de l'Ambus était limité ici Que ce soit les sorts qui ratent ou qui attirent les créatures, la proximité de la Frontière rendait ça risqué.
Nous laissâmes Shadow au près et il m'aida à amener nos affaires dans une tente un peu à l'écart des autres. Oregon tenait à sa tranquillité et à son isolement dans toutes les situations. A peine nous eûmes posé les affaires dans la tente qu'il me plaqua dans ses bras et colla sa bouche contre la mienne. Je gémis en répondant à son baiser.
Avant lui, je n'avais eu que quelques flirts innocents. Son baiser était impérieux et possessif. La chaleur douce qui habitait mon corps depuis que nous nous étions retrouvés se transforma instantanément en un véritable brasier. Je me liquéfiais sous le ballet de nos langues, sous ses mains qui me caressaient le dos. Je ne perdis pas une seconde pour faire de même, pour glisser mes doigts dans sa douce chevelure couleur neige, pour me perdre dans le ciel de ses yeux.
Quand nous nous détachâmes, nous avions tout deux le souffle court et les joues colorées de rouge.
— Tu t'es sauvée sans me dire un mot, souffla-t-il tout contre ma bouche, en caressant mon visage.
— Je n'avais pas le choix, répondis-je toujours perdue dans ses yeux. Je devais fuir tes parents et ton frère.
Il se figea à ces mots. Ses yeux devinrent froids et durs, passant de ciel d'été à orageux.
— Explique-toi.
Je ne savais pas envers qui il était fâché, mais je ne pouvais plus me taire.
— Ta mère m'a menacé. Elle tient absolument à un mariage avec ton frère et que je devienne leur marionnette. Elle fera tout pour y arriver.
Alors là c'était carrément la tempête qui noyait ses yeux.
— Elle ne s'arrête donc jamais ! gronda-t-il.
Je ne l'avais jamais vu énervé comme ça. Je le sentais trembler d'énervement difficilement contenu sous mes mains. Il ferma les yeux et pris plusieurs grandes inspirations pour se calmer. Avec la proximité de la Frontière qui exacerbait les émotions, ce n'était peut-être pas le meilleur lieu pour parler de tout ça mais bon, à cheval donné, on ne regarde pas les dents.
— Qu'est-ce que tu as fait ensuite ?
— Je suis partie vers Drygate pour rejoindre l'école des Maîtres Guerriers mais personne ne voulait de moi. J'ai rencontré ce fameux Sylf qui m'a envoyé à la rencontre d'Oregon.
— Sylf ?! Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
— Mais rien du tout ! Il m'a juste indiqué vers où aller et quoi faire pour la voir.
Vu la façon dont il s'était comporté avec moi, je ne comprenais pas pourquoi il générait autant de sentiments négatifs. Ok il semblait être un connard arrogant mais quand même.
— Tu as eu de la chance qu'elle accepte de te prendre. Après la mauvaise surprise qu'elle a eue avec lui, elle ne voulait plus prendre personne. Je suppose qu'elle sait qui tu es ?
— Elle l'a deviné presque tout de suite. Par contre, elle, c'est plus compliqué de savoir qui elle est.
— C'est sur. Ça fait plus de quinze ans que je la connais et elle est toujours autant un mystère pour moi.
— Quinze ans ?! Elle devait être jeune quand tu l'as connu !
Un rire franc le secoua.
— Elle a et aura toujours l'âge qu'elle s'est choisie aujourd'hui. Personne ne sait exactement ce qu'elle est ni d'où elle vient, mais elle a toujours ressemblé à ce qu'elle est aujourd'hui. Assez parlé.
Et il prit mon visage en coupe entre ses mains pour déposer de légers baisers sur mes lèvres avant d'approfondir. Je me lovais dans ses bras et dans son odeur. C'était presque comme si je rentrais à la maison. Ces pensées me firent changer d'humeur et je m'écartais doucement de ses lèvres tentatrices.
— Qu'y a-t-il ?
Je baissais les yeux, mon cœur se serrant.
— Ils me manquent ... Ça fait presque deux ans que je ne les ai pas vu. Je ne sais pas s'ils vont bien, s'ils s'inquiètent pour moi ... J'aimerais tellement les rassurer à défaut de pouvoir les voir.
— Mon ange ... Quand tu es entrée à l'Académie où je te pensais à l'abri de mon frère, je leur ai fait parvenir un message leur indiquant que tu allais bien et que tu suivais ta formation avec assiduité en pensant souvent à eux. Si tu veux, tu peux leur écrire une lettre que j'essaierai de leur faire remettre. Je ne promets rien et il faudra faire attention à ce que tu mettes au cas où elle est interceptée ...
Je le serrais tellement fort dans mes bras qu'il en eut le souffle coupé. J'avais les larmes aux yeux de sa proposition. Conformément à mon engagement, je ne les laissais pas couler. C'était encore plus dur avec cet endroit qui exacerbait tout. Mon cœur se gonfla de ce qui ressemblait à de l'amour et de la gratitude.
Étais-je amoureuse d'Ash ? Certainement. Pourtant je ne pouvais pas le lui dire. On ne savait pas ce qui nous attendait pour la suite ... Entre la menace de ses parents et ma destinée, j'avais déjà fort à faire.
— Aller, je vais te présenter la Frontière en attendant qu'on t'apporte de quoi écrire.
— Et avant que je ne fasse une connerie, ajouta-t-il comme pour lui-même.
Annotations
Versions