Chapitre 21
Je repris connaissance à l'infirmerie de l'Académie. Asher était à mon chevet et me regardait d'un air inquiet. Je voulais dire bonjour mais c'est un borborygme indéfinissable qui sortit.
— Bonjour à toi aussi. Qu'est-ce qui t'a pris ?
Je voulais m’asseoir, ce que je fis difficilement avec moult grimaces. J'avais l'impression d'être une petite vieille de 80 ans pleine de rhumatismes.
Je n'appréciais pas son ton sec, plein de reproches.
— Tu étais au courant pour ton frère ?
— Quoi mon frère ?
— Tu as vu Selana ?
— Selana ... La femme de chambre ? Non pourquoi ?
— Elle est pleine de bleus. C'est ton frère qui lui a fait ça.
— Quoi ?! Tu en es sûre ?
Il semblait sincèrement surpris.
— Vu comment il m'avait plaqué et maintenu sous sa coupe à l'époque, j'avais des doutes. Mais vu les marques sur son corps et la confession que je lui ai arrachée ... Maintenant j'en suis sûre ...
Ses poings s'ouvraient et se fermaient alternativement. Apparemment, il n'y a pas qu'à moi que ça donnait des envies de meurtres.
— Alors en entendant ça et qu'il compte toujours réussir à faire de moi son pantin, ça m'a fait sortir de mes gonds. C'était soit j'allais me défouler sur le terrain d'entrainement, soit j'allais lui exploser la face et je le tuais. Qu'est-ce-que tu en penses ?
— Que je vais me le faire moi-même et m'en charger. En revanche, tu n'aurais pas dû te donner en spectacle comme ça ! Maintenant que tout le monde t'a vu combattre, ils ne te sous-estimeront plus et tu ne bénéficieras plus de l'effet de surprise.
— Ou alors ils comprendront que je ne me laisserais pas faire et seront plus tranquille ... Tu ne peux pas la venger directement. Il faut qu'on prouve à tout le monde ce qu'il se passe.
Je savais au fond de moi qu'il avait raison et que j'aurais mieux fait de ne pas me montrer. Je n'avais rien calculé, seulement d'épargner toutes les personnes qui étaient sur mon chemin. Et en plus, j'avais encore un atout dans ma manche, la Bête était restée tapie à l'affût, m'apportant de façon mesurée son concours. Et Dieu seul savait ce qu'il pouvait en sortir si elle donnait tout.
— Et tu comptes t'y prendre comment ?
Je lui expliquais le plan qui avait germé dans mon esprit. Il était totalement contre, il voyait tout ce qui pouvait mal se passer. Vu qu'il n'avait pas mieux à me proposer, je restais inflexible. Je devais le faire. Au moins, j'avais des moyens de me défendre et des personnes prêtes à venir me sauver. Des personnes qui n'avaient pas peur du conflit avec la royauté. Ça me faisait déjà beaucoup plus de chance de m'en sortir que ces pauvres filles qui n'avaient rien demandé à personne et se retrouvaient dans les mains de ce sale pervers. Des filles comme Selana qui avaient tout à perdre si elles parlaient.
Je dus tout reprendre pour Oregon. Elle me dit qu'il lui avait semblé entendre quelques rumeurs sur le sujet mais sans plus. Elle tendait l'oreille mais n'ayant que très peu d'échos, elle s'était dit que ce n'était qu'affabulations. Elle était également consciente que ça pouvait déraper mais n'avait pas d'autres idées.
Nous décidâmes de ne pas en parler à Klearn et Syrae. Nous devions mettre le moins de personnes possible dans la confidence et nous ne voulions pas mettre mon amie en porte-à-faux vis-à-vis de son frère.
Il ne me fut pas difficile de pénétrer au château. J'avais reçu une invitation officielle pour des festivités en compagnie de la famille royale, à l'occasion du Solstice d'été. Celles-ci devant durer sur plusieurs jours, une chambre avait été préparée à mon intention. C'était la première fois que j'allais y assister. Elles étaient extrêmement renommées et attiraient du monde de tous les Royaumes. The place to be. Des alliances et des complots se tramaient en bordure des célébrations.
L'ambiance en ville était à la liesse. On fêtait ce jour le plus long, cette terre qui nageait dans la fertilité, la moisson qui annonçait du travail pour de nombreux agriculteurs et petites mains, la récolte du grain qui nourrirait les familles. C'était aussi le moment propice pour les guérisons. Les dons de régénération étaient à leur apogée.
Des lâchés de lanterne étaient prévues et j'avais hâte de voir tous ces jolis lampions s'envoler. Ils étaient souvent accompagnés de messages qui devaient ainsi être portés aux Dieux comme aux défunts. Il semblait que les frontières entre les mondes soient plus faibles à cet instant-là.
Pour sortir dans la ville, j'étais accompagnée d'une multitude de gardes. Je ne savais pas s'ils avaient peur pour moi ou pour les autres. Ça faisait près d'un an et demi que je voyageais dans tous les endroits de ce monde avec Oregon et nos chevaux pour seule compagnie, alors j'en avais vu d'autre qu'Arenlone. Pourtant, je ne pus me débarrasser de cette escorte qui m'empêchait de profiter pleinement de cette ambiance si bon enfant.
J'en avais eu pleins les yeux et le nez. Des odeurs délicieuses m'avaient accompagnée tout au long de ma promenade. La foule s'était mise toute en beauté et en couleur pour la fête de lancement prévue au soir même.
Lorsque nous rentrâmes au château, nous croisâmes Ash dans les couloirs. Il serait aussi présent pour les événements.
— Elisabeth. J'ai à te parler.
— Et un bonjour c'est trop demandé ?
— Cesse tes enfantillages s'il te plait.
Je haussais un sourcil énervé avant de répondre.
— Mes enfantillages ? Ça s'appelle la politesse. Il me semblait que tes précepteurs t'avaient appris ça quand même. Je n'ai pas envie de discuter avec toi.
Et je tournais les talons pour remonter vers ma chambre.
— Elisabeth ! C'est important.
Je jetais un œil dédaigneux derrière mon épaule.
— Je n'ai rien à te dire Prince Asher. Nous nous reverrons au dîner de ce soir.
Une fois dans ma chambre, je soufflais de soulagement. La première partie du plan s'était déroulée sans accrocs. Il était essentiel que Galaeron pense que nous nous étions disputés et que nous étions en froid avec Ash. Tout le monde était au courant que nous étions très proches. Des rumeurs d'union circulaient même, on était loin de ça pourtant. Nous avions beau avoir passé beaucoup de temps ensemble, c'était différent d'en arriver au mariage. J'étais trop jeune pour ça.
Nous avions profité que mon escorte soit encore présente pour jouer cette scène. Il fallait que les espions de Galaeron lui fassent un rapport de notre altercation.
— Elisabeth, tout va bien entre toi et le Prince Asher ? s'enquit Selana qui venait de se faufiler dans ma chambre.
Elle avait la lourde tâche de m'apprêter pour les festivités de lancement. J'observais plus ou moins discrètement le peu de peau qu'elle me montra, je croyais apercevoir des traces jaunâtres. Nous n'avions jamais reparlé de ce que j'avais vu sur elle, aussi, je n'osais pas lui poser ouvertement la question. Je m'étais juste excusée de mon emportement qui n'était en aucun cas contre elle.
Nous avions convenu avec Oregon et Ash de ne rien lui dire. Si elle était sous son emprise, elle ne pourrait rien lui cacher. Ce n'était non pas une question de confiance mais plutôt une question pragmatique, il serait compréhensible qu'elle soit amenée à lâcher l'information pour soulager son calvaire. Même si ce soulagement serait plus temporaire que celui que nous préparions, il serait plus immédiat.
— Non ça ne va pas trop en ce moment. C'est vrai que je n'ai connu que lui en arrivant ici et il souhaite m'enfermer à lui alors que j'ai besoin d'ouverture et découverte. Il exige de moi beaucoup plus que ce que je suis prête à lui donner.
— Il veut ... Euh ... faire la chose ?
Elle avait baissé le volume sur les derniers mots et était devenue rouge écarlate. Je la regardais quelques instants avant de comprendre. Je dus me retenir de rire devant son air si gêné pour parler de ça. En effet, bien que je sois toujours vierge, je n'étais pas prude pour autant. Mais ça m'arrangeait.
— Hum ... Oui c'est ça ... répondis-je en baissant les yeux d'une mine confuse. Et aussi qu'on se marie ... Mais je suis trop jeune ! Ca va trop vite !
— 18 ans est un bel âge pour se marier. Mais pour le reste, si tu n'es pas prête il ne doit pas te forcer !
Je hochais la tête en réponse et me retins de lui demander si elle parlait en connaissance de cause. Je dus me mordre la langue.
La conversation continua sur un ton beaucoup plus tranquille et léger tandis que je me lavais puis qu'elle me mette en valeur pour le soir. Je m'étais assez vite habituée et ça faisait du bien d'avoir quelqu'un qui s'occupait de moi de la tête au pied. Ma pudeur était déjà partie aux orties depuis longtemps avec Selana, d'autant plus qu'il n'y avait jamais rien eu de malsain ou déplacé dans sa façon de me regarder. Sachant que je n'étais initialement pas à l'aise, elle avait toujours limité les contacts au maximum. Ce qui ne m'avait fait que l'apprécier d'autant plus.
Quand elle eut fini de me préparer, j'étais éblouissante. Je reconnaissais à peine cette jeune femme blonde au regard de braise qui me regardait dans le miroir. Ça faisait du bien de reprendre sa couleur naturelle. Selana avait dû reprendre la robe à plusieurs endroits, elle avait été faite sur mes anciennes mensurations mais en un an et demi mon corps avait beaucoup changé. J'avais attrapé des formes de femme là où avant j'étais une adolescente. Mes muscles s'étaient dessinés et affinés, les entraînements avec Oregon étant beaucoup plus efficaces que n'importe quelle salle de fitness. Une rougeur me monta aux joues quand je me dis me trouver époustouflante.
Je me demandais ce qu'en penserait Ash. Il m'avait bien plus vue en tenue de voyage qu'en Dame de la cour. Mon coeur se serra, je ne pouvais partager ces pensées avec mon amie.
Ce fût Syrae qui vint me chercher dans ma chambre pour m'accompagner à la salle de réception.
— Ouaou ! Tu es magnifique ma chérie !
Il manquait juste l'accent et j'avais en face de moi Cristina Cordula. Et le pire, c'est que je ne pouvais même pas lui faire remarquer car elle ne verrait pas qui c'était.
— Mais dis-moi, pourquoi vous vous êtes disputés avec Ash ? Ça ne vous arrive jamais !
Trop perspicace pour notre bien ... Et surtout trop curieuse. Je tentais de balayer sa question d'un geste de main.
— Il attend trop de moi. Je t'en parlerais plus tard, je n'ai pas envie de gâcher la soirée.
Elle continua de me regarder de ses yeux perçants. Je manquais de me tortiller sous son regard qui disséquais mon âme. J'étais certaine qu'elle avait compris que quelque chose se tramait. Ne voulant pas l'impliquer plus que de raison, je ne devais rien lui dire. Je ne m'attendais pas que ce soit aussi dur. Heureusement pour moi, elle décida d'éclaircir tout ça plus tard et m’entraîna à sa suite.
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