Chapitre 25
Je fus bien intégrée à la vie du campement. Je n'avais plus envie d'en sortir. Alors que d'extérieur on aurait pu croire à un joyeux bazar, chaque tâche était soigneusement orchestrée et distribuée. Les nomades partaient de la philosophie que chacun avait des qualités et que c'était là dessus qu'il fallait miser pour organiser la troupe comme il le fallait.
Les enfants aussi étaient mis à contribution. Des cours étaient organisés le matin et l'après midi était consacré soit aux jeux, soit aux tâches du camp, en fonction des périodes et des attributs de chacun.
Il y avait très peu de Dotés. Auprès d'eux, j'appris néanmoins une autre façon d'aborder la vie. Qu'il fallait se contenter des petites choses et de petites victoires, ne pas attendre trop pour ne pas être déçus. J'aurais tellement aimé adhérer à cette vision des choses, très pacifique.
Malheureusement, j'avais trop de rage en moi pour ça. Je faisais cocotte minute. J'accumulais en moi puis il fallait que ça sorte, comme sur le terrain d'entrainement avec Oregon. Sauf que là, elle n'était pas là. Les guerriers Marcheurs devaient s'y mettre à plusieurs pour me contenir et combattre face à moi.
Je me posais beaucoup de questions sur ce qu'on attendait de moi. Il était dit que je devrais réunifier les peuples mais comment ? Par quoi ? Pourquoi ? Est ce que ce serait si grave que ça si l'Ambus disparaissait ? Après tout, sur terre on n'en faisait pas usage alors pourquoi ce serait indispensable ? Est-ce qu'on ne se reposait pas trop sur lui notamment pour le traitement des maladies, les déplacements ? Alors que sur Terre on avait inventé les vaccins, la voiture ... A quoi aurait servi l'électricité par exemple quand ici on peut tout éclairer par un sort ? Y avait-il réellement un lien entre les catastrophes et une diminution trop importante d'Ambus ?
Destructeur ou Purificateur pour être Réunificateur. En gros j'avais le choix entre le faire à la Noé avec son arche en dégommant tout le monde ou juste en enlevant les mauvaise herbes mais dans tous les cas, je réunifierais tout le monde. Ah mais personne n'a dit que ce serait en bien ! C'est peut être juste que tout le monde se liera contre moi. Hum sympa comme perspective.
— Elisabeth, m'appela Parimal.
— Hum ?
Parimal était le commandant des Marcheurs guerriers. Il était fin et souple comme un chat. On m'aurait dit qu'il avait neuf vies que je l'aurais cru. Brun, mat de peau, les yeux couleur noisettes, il était représentatif de ce peuple. Ce que le différenciait vraiment était cette façon souple qu'il avait de se déplacer, avec une économie de mouvement typique de l'homme d'action qui agit toujours avec une précision mortelle.
Ce peuple était pacifiste mais il mettait un point d'honneur à avoir quelques gardes d'élite au cas où. La marchandise qui transitait par nous pouvait être sensible et nous devions la mettre à l'abri de toute convoitise. Leur réputation n'était tellement plus à faire que les attaques étaient exceptionnelles.
— Il faut que tu arrêtes ! Ça fait dix fois que je t'appelle.
— Mais que j'arrête quoi ? m'énervais-je.
Je ne comprenais pas ce qu'il voulait. Il soupira d'un air lasse avant de se passer la main sur le visage.
— Tu as vu où tu es ?
Je pris alors le temps de regarder autour de moi.
— Et merde ... J'ai encore atterri sur le terrain d'entrainement ...
Cette fois-ci, c'était moi qui était désespérée.
— C'est déjà la troisième fois de la journée. Ah certes ils n'auraient jamais été aussi bien entraînés mais surtout aussi usés ! Comment je fais si je n'ai plus personne d'apte moi ? Tu dois faire quelque chose ! s'emporta-t-il.
— Tu es marrant ! Je suis censée faire quoi ?! hurlais-je.
Je senti un nouveau voile rouge s'abattre devant mes yeux et je pris peur. Non non non, pas encore ! Je luttais mais ne parvenait pas à reprendre le dessus.
Splash !
Ah c'était radical, je revins aussitôt à moi en piaillant. J'étais trempée et je commençais déjà à grelotter avec la brise fraîche. Même si l'envie n'y était pas, par principe, je tentais de le fusiller du regard.
— Mais t'es malade !
Il tentait de rester sérieux bien que l'envie de rire faisait briller ses prunelles. Son regard devint vite sérieux.
— Elisabeth, nous nous inquiétons pour toi. Va voir Rishab, il demande à te voir.
Je me demandais ce que le grand chef me voulait. J'aurais bien aimé me défiler mais une convocation ne se refusait pas. J'avais à chaque fois peur qu'il me fasse venir pour me dire que c'était fini et qu'il ne voulait plus de moi dans sa tribut. Je l'aurais compris, j'était un danger ambulant. Il n'avait déjà été que trop patient.
— Elisabeth, me salua-t-il tandis que j'entrais dans sa tente.
L'aménagement était rudimentaire. Bien loin de ce qu'on aurait pu imaginer d'une salle du trône. J'avais déjà abordé le sujet avec lui mais il refusait de faire mieux, il n'était pas roi et n'avait besoin d’asseoir son pouvoir sur personne. Il estimait donc ne pas avoir besoin d'autant de fioritures, ce qui le rendait d'autant plus accessible.
— Rishab. Tu as demandé à me voir ?
— Oui, assieds-toi. Une tasse de thé ?
Avant même que je ne réponde, l'une de aide du camp m'apporta ma boisson comme je l'aimais. Je souris en retour. Ici le moindre détail de votre personne comptait. Il n'y avait pas de faux semblants, cette attention sincère mettait du baume au cœur.
Je me demandais ce qui m'attendait. En général, nous ne passions pas longtemps dans sa tente. Quelle tuile allait encore me tomber dessus ? J'attendais sagement tout en étant analysée par son regard perçant. Au début, on pouvait le penser simple d'esprit, jusqu'à ce que vous regardiez au fond de sa prunelle. Et là vous compreniez que vous faisiez fausse route. C'est juste qu'il pesait ses mots avant de les dire. J'essayais de prendre exemple mais ce n'était pas facile.
— Elisabeth. Ça fait maintenant quatre mois que tu es avec nous. Je m'inquiète pour toi. Je te vois évoluer mais pas toujours dans le bon sens.
Je blêmis. Il avait raison mais que pouvais-je faire ? Il allait me demander de partir ? Mais que ferais-je ... Je baissais la tête, honteuse. Ils m'avaient accueilli à bras ouverts et je n'avais fait que les mettre en difficulté.
— Je suis désolée ... Je vais préparer mes affaires.
J'allais me détourner quand il m'interpella.
— Je ne te demande pas de partir. Je pense juste qu'il faut qu'on t'ouvre les yeux. Nous t'avons laissé le temps de t'adapter à nos façons de vivre, nos coutumes. Nous t'avons abrité de ceux qui te recherchent. Mais il faut que tu prennes conscience que nous n'avons pas les capacités de gérer tes crises. Je n'ai pas l'impression que tu essaies même de les maîtriser.
Ses mots me percutèrent et me firent prendre conscience de la justesse de son évaluation. Je me voilais la face. Je m'enfonçais dans mon désespoir en laissant les autres en assumer les conséquences. La rage était certes un bon exutoire, pour autant, je n'avais pas le droit de mettre en péril le reste de la tribu à cause de ma faiblesse. Je devais trouver quelque chose de plus constructif que ça. Comment j'avais pu ne pas m'en rendre compte avant ? J'étais maintenant en colère contre moi-même, j'avais envie de me secouer pour m'ordonner d'ouvrir plus rapidement les yeux sur mes torts.
— Tu as raison Rishab. Je n'ai pas le droit de vous mettre en difficulté parce que je cède à la facilité. Que me conseilles-tu ?
— Brave réaction que tu as là que de reconnaître tes erreurs et d'être à l'écoute, acquiesça-t-il. Peux-être pourrais-tu te rapprocher d'Arooshi ? Je pense qu'elle pourrait te guider dans ta quête.
J'étais dubitative. Arooshi était la chaman de notre troupe. Elle me faisait un peu peur mais tout le monde respectait énormément ses compétences. Je n'avais rien à perdre à aller la voir.
— J'irais. Merci de ta compréhension et de ta patience.
— Ce n'est pas tout Elisabeth. Le sujet est pour moi plus délicat à aborder que le précédent.
Je haussais un sourcil en le regardant. Il était rare qu'il hésite. Et avec l'importance du point précédent, je m'inquiétais. Je déglutis difficilement en attendant qu'il poursuive. J'aurais au moins appris la patience.
— Par rapport à notre histoire, n'as-tu rien remarqué de bizarre depuis que tu es arrivée dans ce monde ? Sur cette terre plus précisément ?
Je pris quelques instants pour réfléchir.
— La repousse ?
— Tout à fait. Sais-tu à quoi c'est lié ?
— L'Ezekie aurait décidé de sortir de sa torpeur ?
Une douloureuse certitude commençait à s'ancrer en moi et à me nouer les tripes.
— Elle a choisi son souverain.
— Je suis heureuse pour elle.
Je ne voulais pas voir où il m'emmenait. C'était beaucoup trop gros pour moi.
— Elisabeth. Depuis que tu as arrivée parmi nous tu as bien dû voir la prolifération de la végétation. Certains d'entre nous commencent même des petits potagers !
Je ressentais son excitation qui montait et faisait pétiller ses yeux. Par contre, au contraire, moi, j'attrapais la nausée.
— C'est super ! Et qui est l'heureux élus ? Quels heureux parents devons-nous féliciter ?
Ça ne pouvait être que ça, bien sur. Une femme qui avait accouché le jour de mon arrivée. Je paniquais intérieurement pour rien.
— Elisabeth. Ne fais pas l'imbécile. Notre reine, c'est toi.
Et merde. Mon cerveau eu un blanc et je restais assise à fixer le vide pendant très longtemps. En état de choc, je ne m'aperçu même pas que Rishab était parti.
Je devais pourtant me rendre à l'évidence. Cette terre m'avait toujours parlée depuis mon arrivée. J'avais l'impression de vibrer à l'unisson avec elle. Je m'étais réjouie de voir que la terre reprenait vie. De même, c'était comme une oasis qui s'était développée autour de nous, au milieu de ce désert aride.
Oh la vie reprenait bien partout ! Nous avions eu la confirmation par les nombreux voyageurs qui passaient. Mais ils étaient encore plus étonnés de voir comment le paysage avait évolué autour de nous. Rishab éludait toujours le sujet, en disant que nous nous étions installés là justement parce que la flore avait poussé ici plus qu'ailleurs. Or nous savions tous bien que c'était l'inverse qui s'était produit.
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