V - L'Homme et le Monde
Sa voix intérieure n’étant plus là pour le guider, son esprit dissipé par les joies du corps, l’exaltation de ses sens comblés, 321, qui dansait parmi le peuple des tentes voulut apercevoir d’une jeune fille la possible beauté : cette pulsion, il y céda sans même la reconnaître. D’un geste sec, il déroula le chèche de cette adolescente dont le regard amusé accrochait follement le sien.
Sa beauté le stupéfia à tel point qu’il s’arrêta, oubliant que le monde tournait autour de lui. Il se concentra sur cette éblouissante lumière. Tel un soleil dardant son plus beau sourire, telle une lune rassurante et sincère, telle les étoiles qui scintillaient sur la voûte du ciel, elle le charma au point qu’il s’en oublia lui-même. Lui… et les hommes qui commencèrent à le bousculer pour lui faire payer son audace. Peu à peu, des mots farouches se glissèrent dans l’entrelacs des mélodies : à peine quelques pépiements auquel il ne prêta pas attention, tant il était captivé - et captif.
Des émotions naissaient en lui qu’il ne connaissait pas, et donc ne pouvait maîtriser. Son sexe, qui s’éveilla pour la première fois, atteignit des proportions insoupçonnées. Ce phénomène aussi incongru que délicieux déclencha hilarité et colère dans l’assemblée, qui se figea ; et les danses de disparaître, la musique de s’effacer, et les chants de s’évanouir au plus profond des gorges. D’un seul œil, le peuple le regardait.
Alors, des nuées d’injures s’échappèrent des bouches, jusqu’à couvrir les ricanements les plus gênés comme les plus sonores. Les femmes cachèrent, de leurs mains, les yeux des enfants. S’ils continuaient à exprimer de la gaieté, elles les giflaient, jusqu’à ce que leur joie s’évanouisse dans un flot de larmes ininterrompues. De leur côté, les hommes huèrent à n’en plus finir 321. Leurs paroles confuses grondèrent, insaisissables, violentes. Des gestes se joignirent à elles. Une pluie de poing menaça de s’abattre sur 321, qui dût se résoudre à prendre la fuite.
Son instinct le conduisit dehors, où soufflait un zéphyr. En voyant ces créatures difformes qui se tenaient non loin des tentes, il eut une intuition : en les chevauchant, il pourrait s’échapper de ce lieu maudit et rejoindre la solitude du désert. Avec un peu de chance, il trouverait une oasis où se cacher, car ces barbares le suivraient.
Pas un seul instant, il ne pensa aux traces de pas qu’il sèmerait dans le sable. Trop occupé pour réfléchir en l’absence de sa voix intérieure, il éprouva toutes les difficultés du monde à grimper sur cette bête impassible. Quand il y parvint au prix d’un effort certain, il ne put quitter les lieux : sa monture était attachée à un piquet, et, sans couteau, il lui était impossible de se défaire de ce cordage.
La peur au ventre, il se laissa tomber de l’autre côté. Il pensa courir jusqu’à n’avoir plus de force. Que faire d’autre ? Hélas, à peine posa-t-il un pied au sol que l’espoir s’envola : les hommes l’encerclèrent et pointèrent sur lui des carabines qu’il prenait pour des bâtons, en se fiant à sa mémoire, qu’il questionna en vain. Il en conclut, effrayé, qu’il ne risquait rien ; sa voix intérieure ne vint ni le contredire ni appuyer cette théorie. Il se releva donc, pour s’écrouler à nouveau : une balle s’abattit entre ses yeux, dans un nuage de fumée.
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