Aline-4 (version 0.6)

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D’habitude, je n’aime pas les vendredis car les profs profitent toujours du dernier jour de la semaine pour bourrer nos weekends de devoirs, comme s’ils avaient peur qu’on les oublie pendant ces deux jours de repos. Mais celui-ci est pire parce ce soir, c’est la fête de Lalye. J’ai regardé où se trouvait sa maison et à vélo, c’est une hécatombe ; mais si je pars suffisamment tôt, cela ne devrait prendre qu’une petite heure.

Dans la classe, tous les étudiants n’ont que cela à la bouche et Lalye en est rayonnante de bonheur. À entendre les voix des uns et des autres, tout le monde y va, tout le monde sauf peut-être Ed qu’on n’a pas vu depuis jeudi.

En parlant d’absent, Fred non plus n’est pas présent aujourd’hui, mais je doute qu’une quelconque maladie en soit responsable. Cela ne serait pas la première fois qu’il s’évapore dans la nature avant de réapparaitre le lendemain avec une excuse bidon. La dernière en date, il a prétexté que son chien avait enterré les clés de sa maison dans le jardin et qu’il lui était impossible de sortir de chez lui. Ai-je besoin de préciser qu’il n’a ni jardin ni chien ! Je me suis toujours demandé comment l’école gobe ce genre d’ineptie, mais Fred est un malin, plus qu’il ne veut le montrer. Puis, cela me fait plaisir de lui prêter mes notes.

La récré de 11 heures sonne le début d’une liberté de courte durée. En un seul mouvement fluide, la classe se déleste de ses occupants, emmenés par un Sean des plus rapides.

Je ne sais pourquoi, mais son caractère a changé depuis quelque temps, il est devenu plus aimable avec moi, ou plutôt, il m’emmerde moins dès qu’il en a une occasion. Par exemple, hier, j’ai remis une poubelle recyclable et je suis étonnée qu’il ne l’ait toujours pas enlevée. Est-ce à voir avec Haha ? Je ne sais pas.

Après quelques instants, nous ne sommes plus que deux : moi, et Lalye qui a eu l’autorisation de partir plus tôt. Comment a-t-elle fait ? Bonne question, toujours est-il qu’elle a souvent des permissions un peu spéciales ; normal quand votre père finance une partie des rénovations de l’école.

Une fois son bardaf empaqueté, elle se dirige vers la porte.

« À ce soir » lui marmonné-je plus par réflexe et sociabilité que par politesse.

Elle s’arrête net.

Je l’entends souffler avant qu’elle ne se retourne avec un affreux rictus. Je sens que je vais regretter ce « à ce soir ».

« Aliiiiinnne, s’exclame-t-elle en approchant. J’ai vu que tu avais liké mon post sur Facebook.

— Euh… oui.

— Justement, je voulais t’en parler, mais je n’ai pas eu beaucoup de temps jusqu’à maintenant. Tu comprends, on n’est pas tous comme toi à avoir du temps libre à l’infini. »

Du temps libre !?!

« Tu ne comptais pas venir ce soir, n’est-ce pas ?

— Euh… ben… T’as pas dit que tout le monde était invité ?

— Ouiiiiii. Tout le monde… de mon monde.

— De ton monde ?

— Oui, tu sais, les gens qui ont les moyens de s’acheter des couverts et qui ne sont pas obligés de… comment tu dis encore, nettoyer les objets.

— Nettoyer les objets ?

— Mais oui ! Avec tes poubelles de toutes les couleurs dans la cour. Note que j’adore ton choix des couleurs.

— Euh… recycler ?

— Oui, recycler. Mais je comprends, tu sais, mieux que cela, je me mets à ta place et je sais que c’est dur.

— Je ne crois pas, non.

— Si si. Tes parents et toi qui êtes obligés de recycler pour vivre, car dans l’incapacité de s’acheter de nouvelles choses. »

Silence.

« Lalye, je ne suis pas pauvre.

— Non, non, bien sûr. T’as sûrement quelques pièces dans un cochon. Par contre, pour ce soir… comment dire, je pense que tu ne seras pas à l’aise, tu risquerais de…

— … De faire tache ? dis-je circonspecte.

— Exact ! me répond Lalye tout enjouée. Tu vois, même toi tu le sens. Mais promis, un jour, je ferai une soirée pour les gens comme toi, avec enveloppes contenant de l’argent à gagner. »

Silence.

« Évidemment, après, tu fais ce que tu veux. Ne va pas dire à tout le monde que je t’ai empêchée de venir.

— Bien sûr.

— Parfait, on se comprend entre… enfin on se comprend, quoi… »

Et Lalye quitte la pièce.

« C’était quoi cette conversation ? », dis-je à voix haute. Non mais je rêve, qu’est-ce que… elle… je…

Énervée, j’attrape mon téléphone et demande conseil à mon seul ami.

Je veux écrire un message du genre : « Putain, Lalye est une conne finie », mais je me retiens au dernier moment. Il y a peut-être une vraie raison à son absence. Alors je lui demande d’abord si à tout hasard il est réveillé.

Il a lu.

Il m’en tape un.

« Non »

-_- ?? Putain Fred, pas maintenant !

D’un coup, je déballe tout et tape un texto, plus rapide que Bip Bip.

« Lalye m’a demandé de ne pas y aller. Elle a dit que cette soirée ne me conviendrait pas, tant de richesse, je serais mal à l’aise… »

J’attends son message avec impatience en m’arrachant les petites peaux de mes doigts qui sont juste au-dessus des ongles.

Aïe !

Je regarde mes mains, cela saigne un peu ; et j’ai une boule au ventre. Faut pas être grand clerc pour deviner que Lalye m’a stressée.

Il me répond et nous échangeons pendant quelques minutes. Pour finir, il me propose d’y aller avec lui : rendez-vous 22 heures. Je souffle, et lui réplique OK à condition de ne pas m’abandonner. Il me rétorque :

« T’inquiète, je ne suis pas Max ! »

-_-. Arg… si seulement je pouvais être Fred, ou du moins avoir son caractère et son assurance, je pourrais parler à Max sans difficulté.

Vers 17 heures, après une après-midi soporifique (les cours) et stressante à la fois (Lalye), je me retrouve dans ma chambre, faisant les quatre-cents pas à moitié nue. Les habits de ma garde-robe trainent sur le sol et rien ne me plait. À force, les minutes, puis les heures passent. Mon repas aussi, sans pour autant que mon estomac ne gargouille.

Et puis sonne 20 heures comme si de rien n’était, sans que je puisse opérer un quelconque choix vestimentaire. Dans la précipitation, j’enfile une jupe en coton et un pull brun trop gros pour le temps qu’il fait avant de dévaler les escaliers jusqu’au garage où se trouve mon vélo.

Entre chez moi et Lalye, ce n’est quasi que de la montée. Sur mes lunettes tombent les gouttes de sueur venant de mon front et quand un bus me dépasse, je me dis que j’aurais pu, pour une fois, en prendre un au lieu d’arriver ainsi en nage.

La maison est trop calme et trop vide, mais on entend la musique. Ne sachant quoi faire et voulant absolument attendre Fred avant de rentrer, je continue à pédaler comme si de rien n’était, me recroquevillant même sur ma selle de peur d’être vue. Au coin, un vélo est attaché à un poteau « STOP ». Bonne idée, me dis-je.

À ma montre, il est presque 21 heures. Comme je n’ai jamais participé à beaucoup de fêtes, je ne sais pas si je suis trop tôt ou trop tard. Heureusement, Max vient sauver la situation. De mémoire, je ne l’ai jamais vu aussi bien habillé et j’en ai un peu honte de le reluquer. Chose curieuse, il se montre seul, sans Mathilde… et… Lalye vient le recevoir directement.

Quoi, elle fait l’accueil ? Elle ne va jamais me laisser rentrer !

Après quelques tergiversations, les gens affluent, de tout bord et de tout âge. Et en à peine quelques dizaines de minutes, la rue se remplit de jeunes de l’école. Par contre, Fred manque à l’appel.

« T’es où ? », lui demandé-je par téléphone.

S’il te plait, Fred, ne m’abandonne pas… ou alors, je peux retourner chez moi comme si de rien n’était, maintenant que je maitrise le parcours. En plus, c’est de la descente.

Biibip.

Fred m’a répondu.

« On n’avait pas dit 22 heures ? Je suis en route. »

Arrrr ! Oui, ben 22 heures, 21 heures, où est la différence ? Ramène-toi.

Bien cachée derrière mon arbre, j’attends tout en observant. La panique m’envahit car je ne sais comment je vais être reçue ce soir. Au moins, Lalye a arrêté de faire le portier, maintenant que sa maison est à moitié remplie. Faites qu’elle ne lâche pas de dobermans si elle me voit. Ou pire, j’ai entendu qu’il y avait une armurerie dans la cave.

La musique résonne jusqu’à mes oreilles, puis des cris « PISCINE, PISCINE, PISCINE ».

« Salut ! » dit une voix derrière moi. Surprise et un peu craintive, je me retourne lentement. Heureusement, c’est Fred.

« Pfff, t’en as mis du temps !

— J’avais un truc à terminer. On y va ?

— T’es sûr ?

— Allez, viens ! Quelque chose me dit que cela va être marrant. »

D’un pas incertain, je suis Fred qui lui n’hésite pas une seconde.

En traversant la rue, je reconnais une tête de la classe : Ed. Nos regards se croisent et je lui fais un petit coucou rapide. Fred fait de même.

« Il est venu aussi.

— Je t’ai dit qu’elle a invité tout le monde. »

Mon ami m’entraine non pas vers l’intérieur mais directement vers le jardin, et je comprends qu’il ne compte pas aller s’annoncer. Moi qui m’imaginais la soirée comme les goûters d’anniversaires où chaque nouveau venu doit faire la bise à tous les autres… Peut-être serait-il temps pour moi de mettre ce préjugé à jour.

« Tiens Aline, regarde ! Ton futur petit copain est là.

— Quoi ? »

En tournant la tête vers la gauche, j’aperçois Max quasi nu qui rentre dans un jacuzzi, suivi rapidement de toute l’équipe de sport. Je reste figée sur place, impossible pour moi d’aller en avant. Mes doigts me démangent et les palpitations de mon cœur augmentent.

« Tu veux aller lui dire bonjour ? », me demande Fred.

Non, fis-je de la tête, incapable de sortir le moindre mot.

« Tu veux qu’on passe par l’autre côté ? J’ai vu des amis non loin du portillon. »

Oui, fis-je de nouveau.

Fred m’attrape par l’épaule et m’emmène vers les garages qui se trouvent à l’extrémité est de la maison. Mais si mon corps le suit, mon regard reste obnubilé sur les abdos de Max, jusqu’à ce qu’il disparaisse de mon champ de vision au détour d’un mur.

« C’est toujours comme cela les soirées ?, demandé-je à Fred.

— C’est-à-dire ? Max qui se met à poil pour épater la galerie ? Oui.

— Ahhhh. »

Faut que je me fasse inviter dans plus de soirées, pensai-je.

L’autre côté de la « Lalye House » semble être le quartier des dealers, un monde que Fred connait bien mieux que moi évidemment. Il salue tous ses amis sans oublier de me présenter, certains se demandant si j’étais sa copine !

Fred s’installe contre un mur et sort son premier joint d’une boite de lunettes. Il a l’air de bien s’entendre avec un prénommé Garry qui vient de l’école technique Saint José, école à la mauvaise réputation située près de la gare.

Comme Fred, Garry n’est pas un amoureux du sport mais à l’inverse, je n’ai jamais vu Fred avec des yeux aussi explosés et un teint si blanc. En plus, il est squelettique, rachitique, et a beaucoup de mal à se déplacer en se tenant droit ; ses lèves, aphteuses, sont toujours humides, voire baveuses.

Pourtant, il a tout d’un type sympa, d’ailleurs, il me propose son propre joint.

« Merci », m’apprêtai-je à dire, mais Fred m’interrompt.

« Aline, prends plutôt le mien.

— Quoi ? dit Garry. Mais le mien est un joint de pure qualité. Et… et… et.. Et même pur… tout court.

— Justement, Aline n’est pas une grande fumeuse. En plus, le tien est trempé.

— C’est pour le goût… »

Fred se retourne vers moi.

« Tremper, cela veut dire : rajouter de l’héroïne… »

Il me montre un sac de poudre blanche déposé sur le muret situé non loin de là. C’est la première fois que j’en vois de ma vie et cela n’a rien à voir avec ce qu’on nous dépeint dans les films. La texture n’est pas farineuse mais plutôt cristalline, à un point tel que l’ami de Garry qui est en train « de tremper » un joint est obligé de l’écraser entre ses doigts tels de petits morceaux de sucre.

“-_- ? Ah oui… ? Euh… je vais commencer doucement, Garry, si cela ne te dérange pas.

— Comme tu veux. »

Cela discute de tout pendant plusieurs minutes et mes pensées, à force de « tirer », deviennent floues mais contrôlables. Je parviens même de temps en temps à faire rire la galerie. C’est cool de se sentir un peu aimée.

À 23 heures, je me sens bien. Nous n’avons toujours pas bougé des garages et… mis à part quelques visages reconnaissables de loin, je n’ai pas rencontré grand monde de la classe encore. Malheureusement, la pire arrive.

« Mmmm, Mathilde ! » s’exclame Fred bien fort en ouvrant les bras.

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