« Lalye, ça va ? »

Au second étage de la maison, les pièces se comptent par dizaines et on y trouve pêle-mêle la chambre de Lalye et de ses parents ; des chambres d’amis ; une seconde bibliothèque remplie de livres de droit ; et enfin un escalier menant au grenier, là où sont installées les commodités pour le personnel quand ils ne peuvent rentrer chez eux.

La décoration chez Lalye est… comme Lalye : couleurs rose manga, posters d’idoles de K-pop et figurines grandeur nature. C’est une pièce de gamine, mais il y a du style. On dirait qu’elle a engagé un designer pour rendre esthétique le mauvais goût.

À l’intérieur, l’hôte de la soirée est assise à son bureau, pleurant comme une madeleine. Je réfrène mal un petit rictus qui apparait sur mon visage lorsqu’elle prend un mouchoir dans une boite en forme de grosse poupée kawaï.

« Lalye ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Elle a tout gâché…

— Gâché quoi ? Et… qui ?

— Ben devine, l’autre pauvre. 

— La pauvre ? Aline ?!?

— Elle a tout gâché. Elle m’a vomi dessus. »

Lalye se retourne et me montre son haut de robe. Une tache liquide faite de morceaux de nourriture lui recouvre la poitrine et le ventre.

« Ah oui, quand même ! … »

Je ne sais pas quoi dire. Contrairement aux mecs, j’ai jamais été très douée pour remonter le moral des filles. Puis Lalye et Aline, cela a toujours été compliqué. Je ne suis pas du côté d’Aline, très loin de là, mais Lalye devrait cesser d’être si superficielle.

Heureusement, un bruit à l’extérieur coupe le silence de la pièce.

Je m’approche de la fenêtre et vois la coupable mi-nue et mouillée, qui danse au milieu d’autres garçons sous le regard de… Fred mi râleur, mi-inquiet.

« Fred, je t’ai dit de la ramener. », marmonné-je ?

« Tout est gâché, continue à pleurer Lalye.

— Quoi ?!? Mais non ! Vois par toi-même, tout le monde s’amuse.

— Et comment t’expliques ÇA ?? »

Elle me tend son portable, Facebook est déjà au courant. Plusieurs invités viennent de poster des vidéos où l’on voit Aline sortir de l’eau, suivie de Lalye qui la sermonne et… la réponse laconique sous forme d’une gerbe magistrale. On pourrait reconnaitre les alcools à leur couleur tant les vidéos sont de qualité.

Au fond de moi, cela me fait rire, surtout vu ma responsabilité dans l’histoire. Mais cela, je me garde de le dire à la pleurnicharde.

« Oui, mais t’inquiète, dis-je sans trop savoir quoi rajouter.

— Je vais être la risée de l’école. J’imagine déjà les gros titres du genre “Lalye n’est même pas capable d’organiser une soirée ! Pourquoi l’aimer ?”

— Euh… oui, tu sais, je ne crois pas qu’une soirée entre étudiants soit en première page d’un quelconque quotidien. T’as pas à t’en faire de ce côté-là…

— Sniff, mais… et Facebook alors ?

— Tu ne touches à rien. C’est ce genre de mésaventure qui fait que cela devient inoubliable. Tu te souviens de la soirée chez les Josh l’année passée ?

— J’y étais pas, j’étais en croisière avec mes parents, mais j’ai entendu que c’était une chouette soirée.

— Ben non ! C’était une des soirées les plus nulles auxquelles j’ai participé. »

Lalye me regarde, abasourdie.

« Quoi ! Mais tout le monde, et même toi…

— Moi, j’ai menti, comme souvent ; et les autres, ils se souviennent de quoi ? De Max sur le bar, de bouteilles cassées dans la télé et… et… d’un type bizarre sur son canard gonflable. Crois-moi, si tu veux rentrer dans l’histoire des soirées mémorables, tu as besoin de plus d’Aline, alors laisse — là se ridiculiser d’elle-même. »

Mais qu’est-ce que je viens de dire, moi ? Je veux bien qu’il faille lui remonter le moral, mais pas au point d’arguer qu’Aline est utile…

« T’es sûre ?

— Mmmm, si cela te remonte le moral… allez… oui. »

Je me dirige vers la porte de la penderie.

« Change-toi et descends avec le sourire, c’est la meilleure décision que tu puisses prendre. Je suis sûre que tu as d’autres vêtements resplendissants ! »

J’ouvre et tombe sur un couloir bien profond rempli de part et d’autre de jupes, pull et de chaussures.

« Ouaw ! »

Si je possédais la moitié, voire le quart de ses vêtements… Je devrais peut-être lui demander de m’en prêter, on fait à peu près la même taille.

« C’est moi ou cela s’est agrandi ici ?

— Sniff, oui. Je manquais de place après la collection de l’hiver passé.

— Ah ben vi, juste… Bon ! Choisis quelque chose et souris, d’accord ? Et surtout ne laisse pas tes invités sans toi, sinon c’est ça qu’ils retiendront. Tu ne veux pas que dans les journaux il y ait marqué en grand “Lalye abandonne ses convives” ?  

— Non,… Sniff.

— Alors tu sais ce qu’il te reste à faire. »

Je me dirige vers la porte d’entrée de sa chambre et, avant de fermer, je la contrains de me sourire et lui dis que je fais passer le message qu’elle arrive encore plus resplendissante. Évidemment je n’en fais rien, car c’est moi qui aurais besoin d’un remontant. Je n’arrive à rien et cela me désole. Boire ou draguer, il faut choisir, et même si la moitié des mecs sont des pochtrons, je le suis plus qu’eux. Je sens que je ne vais rien toucher de vivant ce soir.

C’est décidé : Un, toilette. Deux, Uber. Trois, je rentre chez moi.