Aline-6 (version 0.5)
Ce qu’il y a de bien avec les trous de mémoire de lendemains de soirée, c’est qu’on a une excuse toute prête : « J’étais bourrée, je ne me souviens de rien… désolée. » Par contre, cette excuse n’est efficace que pour les autres, et elle est totalement inutile pour soi-même.
Le réveil est dur, très dur… trop dur. J’ai un mal de crâne et je ne sais pas où je suis. Le soleil est déjà haut dans le ciel et ses rayons transpercent difficilement la tenture de ma chambre… Hein ? J’ai pas de rideaux, moi…
J’ouvre les yeux et prends conscience de tout : ma vue myope d’abord, et le fait que je suis nue ensuite… Oh mon dieu, qu’est-ce que j’ai...
Je me retourne et une tignasse noire me sourit. Un garçon tourné vers le mur dort sur le ventre. Putain, Fred, qu’est-ce que tu m’as fait boire ou fumer ?
Silence.
Mais c’est Fred !!!!
Oh mon dieu ! Non, pas lui… j’ai couché avec Fred. Mais quelle conne !
Je me laisse tomber dans le coussin en pensant aux conséquences. Je regarde mon corps, une inscription y est apposée juste en dessous de mon cou. C’est illisible et délavé; tant pis, on verra plus tard. Je lève la couette, on est tous les deux nus. Plus de doute là-dessus, et en plus, mes affaires sont étalées par terre, jusqu’à mes sous-vêtements.
Doucement, j’essaie de m’extirper du lit sans le réveiller, je n’ai pas tellement envie d’avoir une conversation avec lui maintenant. Et avec un peu de chance il est plus défoncé que moi, et lui non plus ne se souviendra de rien.
Une fois rhabillée en silence, je me dirige vers la porte, mais la lumière s’allume…
Je tourne la tête et espère être invisible. Son visage est totalement défait, du menton à sa tignasse, ses yeux sont des yeux de pandas et il a de la salive séchée au coin de la bouche. Fred a une des gueules les plus défoncées que je n’aie jamais vues. Ai-je la même ?
On se regarde en chiens de faïence, sans un mot. Dois-je parler la première alors que je ne sais pas quoi dire ? Et puis non, j’ouvre la porte et sors promptement, espérant qu’il ne me suive pas.
Je descends les escaliers, observe autour de moi et attrape mes chaussures avant de claquer la porte d’entrée… J’écoute, mais n’entends aucun bruit.
Au fait, où je suis ?
C’est un quartier qui ne me dit rien, il ne s’agit ni d’un endroit pauvre, ni du quartier de Lalye évidemment. Je sors mon GSM et allume le GPS. Il m’indique 20 minutes à vélo.
J’attrape ma bicyclette posée contre le garage et, comme un rat désertant le navire, je quitte la bourgade. Avant de tourner au loin, je regarde une dernière fois la maison. Un instant, j’ai cru être observée de la fenêtre de Fred, mais rien.
À peine rentrée chez moi, je me dirige directement vers la salle de bain. J’en avais besoin, mes vêtements puaient tellement que j’avais du mal à bien respirer en roulant. Puis cela fait du bien une douche, même avec une gueule de bois.
De retour dans ma chambre, un essuie autour de la poitrine, je me frotte les cheveux, pensant encore dormir deux-trois heures avant quoi que ce soit d’autre.
Mon GSM vibre, j’ai reçu un message… c’est Fred et il est limpide.
« IL FAUT QU’ON PARLE ».
Tss, moi qui croyais que c’était une phrase de gonzesse…
Un instant, j’hésite à réagir, mais je me dis que de toute façon, nous devrons nous confronter tôt ou tard.
« Je suis désolée, j’ai des trous de mémoire. Qu’est-il arrivé, hier soir ? »
Envoyé.
Il me répond.
J’attends.
« Le mieux pour savoir, c’est d’aller sur la page Facebook de la classe et de l’école, tu es devenue la reine… tout le monde ne parle que de toi. »
La reine ? pensé-je. Je n’ai pas le temps d’aller voir qu’un autre message apparait.
« Non moi, je veux te parler… d’autre chose. Peut-on se voir aujourd’hui ou demain ? Face à face ».
Putain, il souhaite déjà parler ! Laisse-moi le temps d’émerger et de savoir ce qui s’est passé.
« Lundi plus tôt ? Avant l’école. »
Et il me répond : « Lundi matin avant l’école, à l’arbre. OK »
Relisant le premier message, j’essaie de comprendre ce qu’il a voulu dire par « la page Facebook ». D’accord, j’ai un trou noir, mais je ne devais pas être la seule. Pourquoi moi spécialement ?
J’allume mon PC, un peu intriguée, et il ne me faut pas cinq minutes pour découvrir le cauchemar. Parmi toutes les vidéos de la soirée, les plus likées et les plus commentées sont celles où j’apparais, et pas en bien. Je clique sur la première et, estomaquée, je m’aperçois en train de vomir sur Lalye avec « MATHILDE » écrit… sur mes nichons ?!?
« Nooooooonnnn. Mais qu’est-ce que j’ai fait ? »
Je clique sur la deuxième, je montre mes seins à deux gosses de 2e ou 3e.
« Mais c’est pas vrai… »
Je clique sur la troisième et… je me jette en sous-vêtements dans la piscine…
Je n’ai plus de mots et suis obligée de me tenir la tête, affligée par tant de médiocrité.
« … »
J’ai besoin de me reposer. Je me couche dans mon lit, me glisse sous ma couette et pense à moi, Max… et Fred. Où ira cette histoire ? Nulle part avant lundi en tout cas.
Je m’endors pour quelques heures puis passe le reste du weekend à me faire des tisanes, promettant de ne plus jamais toucher ni à l’alcool, ni aux joints.
Je n’ai jamais vu un jour arriver aussi vite que ce lundi. À croire que même lui veut se rendre à l’école. J’arrive bien en avance et les rares étudiants présents me dévisagent comme s’ils me connaissaient depuis des années. J’accours vers l’arbre la tête dans ma veste. Je m’attendais à être la première mais Fred est déjà là.
« Salut !
— Salut, me répond-il. Comment va la tête ?
— J’ai vomi trois fois ce weekend et j’ai rien mangé depuis samedi matin… Pfff, c’est difficile.
— Trois fois ? Cela fait quatre avec Lalye. T’as vu la vidéo ?
— Oui… Qu’est-ce que tu m’as fait ?
— Moi ? Rien. T’as pas arrêté.
— T’as… t’as profité de moi ? »
Première fois que je vois Fred faire les grands yeux.
« Mais… comment, j’ai profité ? C’est même le contraire…
— Le contraire ? C’est pas mon genre.
— Parce que c’est ton genre de montrer tes seins aux gamins de deuxième avec « Mathilde » écrit dessus ? T’as vu la vid…
— Oui, ça va, j’ai vu. Pas la peine d’en rajouter. Mais par contre, comment je me suis retrouvée chez toi ?
— Pour faire simple : tu t’es déshabillée dans l’aquarium, j’ai voulu te retenir, t’as été te jeter dans l’eau, puis t’as vomi sur Lalye, ce qui l’a rendue furax. Je t’ai ramenée à ton vélo mais t’arrivais pas à rouler, et… comme j’habitais plus près, j’ai voulu te mettre dans le canapé pour dormir mais… eh bien, t’as insisté pour… on a passé la nuit ensemble.
— Ouaw… Ah oui… désolée… Tu m’en veux ?
— T’en vouloir, pourquoi ?
— Ben, je t’ai fait honte.
— Honte ? T’as vu Facebook, tu es quasi plus aimée que Mathilde.
— Ah bon ? »
Je souris. C’est vrai que les rares commentaires que j’ai yeutés allaient dans le bon sens.
« En fait, si je voulais te parler, c’était pour te demander un truc.
— Me demander un truc ?
— Oui… Comment dire ? »
Je sens Fred gêné, c’est bizarre et marrant à la fois. Pourtant, il n’a jamais eu de problème à me demander des copies de cours, ou bien même de l’argent quand il n’a rien sur lui. Qu’est-ce qui pourrait le mettre en difficulté ?
« Tu voudrais qu’on sorte ensemble ? »
Silence.
« Quoi ?
— Ben, vu qu’on a couché… enfin, je veux dire… autant faire le reste… »
Un mec ? Fred ? Euh…
« Si tu veux pas, c’est pas grave. Juste que j’ai bien aimé être av… »
Mais je ne le laisse pas terminer sa phrase. Je m’empare de sa main et lui souris… simplement.
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