Chapitre 19 - Saorsa
Je me faufilai vivement entre les branches d’arbres. Je me demandais combien de temps j’allais encore être tranquille. Ne pas penser à cela. Les forêts de l’est étaient immenses, différente de celle du nord, avec moins de dénivelé, mais quand même, je me sentis bien mieux une fois le pied enfoncé dans l’humus de la forêt. Mes poumons se gonflèrent de l’odeur humide de l’endroit, de la senteur des feuilles en décomposition et de la terre. Il avait plu la veille au soir et des gouttes glissaient sur les feuilles pour tomber au sol. J’avais fini par voler quelques vêtements pour essayer de ne pas trop souffrir du froid. Mon nez remua, des loups… Il y avait des loups ici, je resserrais l’écharpe que j’avais autour du cou, je commençai à fatiguer, j’étais en permanence sur mes gardes et c’était long. Trouver des loups… Quitte à rester en permanence…
Craquement.
Sur ma droite. Je tournai la tête, mais ce n’était pas l’odeur de Sadralbe, elle était musquée, l’odeur d’un loup, je pivotais très lentement pour soutenir un regard très clair. Je souris doucement, sans découvrir mes dents. L’homme portait les cheveux courts, noirs, une peau sombre, et une barbe. Il me dévisageait et son odeur trahissait son statut, non pas d’Alpha, mais de chef. Un bêta. J’inclinais poliment la tête vers lui et il m’imita avant de parler d’une voix grave :
« D’où viens-tu petite louve ? »
C’était parfaitement universel ce surnom. Il était grand, large d’épaule et portait négligemment sa chemise sur son épaule. Je souris simplement en secouant légèrement la tête tout en ouvrant mes mains pour montrer que je n’avais aucune arme.
« Du royaume des Montagnes et des Neiges. Mais cela fait dix ans que j’ai été retenu chez Wilkin contre mon gré.
- Dix ans. C’est long. Et ta meute ? »
Ma gorge se serra à cette pensée et je ne pus que secouer la tête pour seule et unique réponse. Je ne pouvais pas faire plus. L’homme fronça les sourcils :
« Morts ? Je comprends. Comment tu t’appelles ?
- Ma mère m’a nommé Saorsa. Et toi ? Tu ne viens pas non plus d’ici.
- Non, je viens des îles du sable et du soleil. On aime pas beaucoup les loups là-bas. Je m’appelle Vahagn. »
Les cicatrices qui couvraient son torse n’avaient pas besoin d’explication, on l’avait chassé lui aussi. Je fis un pas vers lui, il ne bougea pas, soutenant mon regard avec un mince sourire et huma mon odeur :
« Toi aussi t’as souffert. »
Il désigna mon ventre et mes bras, la chemise s’était déchirée et effectivement on voyait des cicatrices sur ma peau, et cela malgré ma magie du sang. Je hochai la tête sans en dire plus, je crois qu’il n’y en avait pas réellement besoin, la souffrance de la torture et de la chasse c’était visiblement universel pour les Lycans… Vahagn reprit la parole :
« Tu veux rester ici ?
- Est-ce que cela ne te dérangera pas ? Tu es le bêta de ta meute et moi une alpha, si tu as cré un équilibre…
- Si les dieux t’ont poussé jusqu’à nous… c’est qu’il y a une raison.
- Je ne rêve que de retourner parmi les loups depuis qu’on m’en a arraché. »
Il me sourit avec douceur et m’invita à le suivre dans les bois, je lui obéis et lorsque je passai près de lui, il me saisit le bras, remonta ma manche et posa deux doigts sur une cicatrice, je sentis sa magie m’envahir une fraction de seconde, mon souffle se figea et la sensation disparue tout aussi brusquement. Je le regardai sans savoir ce qu’il venait de faire, Vahagn haussa les épaules :
« Lecture des souvenirs sur un an. J’ai eu assez d’information sur toi pour savoir ce qu’il y avait besoin.
- Une technique venant de chez toi ?
- Tout le monde sait faire ça chez moi. Et y en a qui savent… »
Il agita la main sans finir sa phrase, je n’en aurais pas plus que ça, mais soit, j’imaginais que c’était lié aux pouvoirs particuliers des îles du sable et du soleil. L’esprit des autres, lire leur esprit. J’inclinai légèrement la tête sur le côté en me faufilant derrière lui. Il avançait vite et je mémorisai le chemin sans rien dire pendant un moment avant de reprendre :
« Et tu es satisfait de ce que tu as vu ?
- C’est des flashs, pas quelque chose d’intrusif, je n’ai pas vu en détail simplement… le gros de l’histoire, si on peut dire ça. »
Il me fit un simple sourire énigmatique avant que je ne reprenne la parole :
« Tu sais ce qu’il y a à savoir quoi.
- T’es poursuivie petite louve. Mais tu es assez maligne pour l’avoir semé, si tu avais été un danger pour ma meute, je t’aurais arraché la tête. »
Il était direct au moins et j’eus un rire léger en me glissant entre les buissons et les branches. C’était étrange pour moi de me retrouver dans un environnement comme cela. Mais, par la même occasion, j’avais l’impression de revivre, de respirer enfin, après dix ans. Je restais surprise quand je vis apparaître une clairière et dans les arbres une dizaine de cabanes. La meute s’était installée en hauteur ?
« Combien êtes-vous ?
- Seize maintenant. Ça te plaît ? »
Il me sourit doucement et me tendit doucement sa main, je la saisis sans hésitation pour qu’il m’entraîne au centre de la clairière en appelant les autres loups. Quatorze, des adultes, ou des jeunes qui s’arrêtèrent dans leur activité pour s’approcher et écouter leur bêta qui me présenta chacun d’eux. C’était étrange de retrouver une meute. Il y avait trois enfants avec qui je discutais un peu avant de rencontrer les autres membres, Vahagn me fit signe de monter dans sa propre maison et je le suivis sans peur, l’intérieur était simple, un lit à même le sol avec une couverture, quelques vêtements pliés avec un coffre et des affaires plus privé dans un coin. Il y avait une peau de cerf à même le sol sur lequel s’assit le bêta avant de prendre la parole :
« En plus d’être Alpha tu sais faire quelque chose ?
- Je suis guérisseuse. Plantes…
- Je sais ce qu’est un guérisseur. »
J’eus un simple sourire en inclinant légèrement la tête sur le côté sans savoir quoi dire. Il enfila, dommage, sa chemise avec un léger sourire, je secouai la tête pour chasser les mèches de mon visage, attendant qu’il reprenne la parole, il était bêta et moi Alpha, mais pour l’instant il gérait la meute, pas moi, pour l’instant je devais lui obéir, c’était très codifié les liens entre loups sur certains points, même si notre côté humain adoucissait beaucoup de chose.
« J’ai pas besoin de t’expliquer le fonctionnement d’une meute : si tu veux manger tu aides… tout ça… Saorsa… »
Son accent faisait chanter mon nom agréablement, je hochais la tête avec grâce, je savais très bien quoi faire et comment le faire. Il me sourit tout doucement en caressant la cicatrice qui lui barrait la gorge en partie, qu’est-ce qu’il lui était arrivé ? Ce n’était en tout cas pas le moment de lui poser la question, mais ce n’était pas l’envie qui me manquait.
Mes pieds s’enfoncèrent dans l’eau glacée alors que je remplissais les seaux d’eau avant de les mettre sur le côté, j’en remplis quatre autres, avec quelques fluides du vent je réussirais à les ramener sans aucun problème. Un peu plus de deux mois que je vivais ici et j’avais enfin repris un poids normal, et si les autres allaient aux villages proches pour vendre fourrures ou herbes, je restais loin de tout être humain, vraiment, j’évitais soigneusement, c’était beaucoup mieux pour moi, mais Vahagn était revenue avec des habits pour moi ainsi qu’une sacoche. Il était amusant, cynique, toujours un peu mystérieux avec son sourire en coin. Cependant, le plus fascinant chez lui… c’était son loup. Il était Albinos et je trouvais ça fascinant, la déesse l’avait embrassé pour qu’il ait cette chance ! Nous avions passé un long moment à discuter tous les deux alors que nous chassions et cela avait été… agréable. Je me sentais bien avec lui, en sécurité dans les bois. Et j’avais beau avoir pris plus ou moins la tête de la meute sous ma forme de louve, il en restait le premier référent sous forme humaine, c’était totalement normal. Il neigeait doucement, c’était tellement agréable. Les forêts où nous vivions étaient très proches de la frontière du l’est et bien plus haute en altitude que les plaines du centre du royaume, alors il y faisait bien plus froid et ça me plaisait. J’enfilais rapidement mes chaussures avant de rentrer à la clairière, les sceaux lévitant autours de moi, les autres étaient rentrés du village.
« Saorsa ! »
Je posais les sceaux avant de me retourner vers Vahagn, j’adorais la façon dont son accent faisait danser mon prénom. Je m’approchai rapidement, un soupir jaillit de ses lèvres en voyant que, comme d’habitude, même si je portais une chemise épaisse et une tunique longue, je n’avais pas de cape. Il nota que le bas de mon pantalon était humide si bien qu’il ôta sa propre cape pour en draper mes épaules et repousser une de mes mèches en arrière.
« Tu vas finir par tomber malade. »
Entre deux discussions avec lui, j’avais fini par apprendre sa langue, si bien qu’il la parlait toujours avec moi et j’étais sûre qu’il aimait ça. Un sourire étira mes lèvres et je rajustai la fourrure sur mes épaules :
« Je viens du royaume des montagnes et des neiges, j’ai l’habitude du froid.
- Dis ce que tu veux, mais fait attention.
- Frileux »
Je lui tirais la langue et il rit doucement avant que je ne reprenne la parole :
« Sinon, tu m’appelais ?
- Ah oui ! Viens voir ! »
Il me saisit la main pour m’entraîner dans sa maison où je logeai toujours. Même si mon propre logement avançait bien, mais j’aimais vivre ici. Il referma la porte derrière lui, il faisait bon ici, même sans beaucoup de feu : les tentures pendues aux murs, comme dans chaque cabane, isolaient bien. Je m’assis à même la peau de bête, comme d’habitude, et il saisit quelque chose dans son sac, tout excité qu’il était. Machinalement, il se frotta la cicatrice de sa gorge, il avait manqué de se faire tuer quand sa famille, des grands cartographes, avaient découvert sa nature de loup. Il n’était qu’un enfant, il avait survécu grâce à la déesse et de fils en aiguille il en était venu à vivre ici, ça faisait cinq ans, depuis qu’il avait seize ans, qu’il vivait ici. Et trois qu’il commençait à avoir une meute.
« Il y avait un marchand des îles ! Et il avait quelque chose que j’adore ! Ferme les yeux. »
J’obéis sagement, posant mes mains sur mes cuisses, attendant simplement qu’il s’approche. Je sentis une odeur sucrée, ses doigts présentèrent quelque chose à mes lèvres et j’entrouvris doucement la bouche, croquant quelque chose de moue et de sucré. Je restais surprise et il glissa entre mes lèvres le reste. Je mâchai avec lenteur avant de rouvrir les yeux avec surprise, finis ma bouchée avant de demander en me léchant les lèvres.
« C’est délicieux ! C’est quoi ?
- Des dattes séchées. »
Il me fit un clin d’œil avant d’en attraper une autre pour la croquer, je ris et me rapprochais doucement de lui sans pour autant lui en voler une. Il me tendit la moitié de sa confiserie et je secouais la tête :
« Savoure, ça te rappelle chez toi.
- J’ai un nouveau chez moi, maintenant. »
Il me sourit gentiment et leva doucement la datte pour la pousser contre mes lèvres, j’avalai doucement sans le lâcher des yeux, ses doigts remontèrent le long de ma joue, glissèrent une mèche derrière mon oreille. Je sentis ma bouche s’assécher, mais je ne fis aucun mouvement.
« On ne pourra pas toujours rester ici petite louve… avec la meute… Il va falloir partir un jour.
- Sans doute… Je connais bien un royaume où on serait en sécurité.
- Ah oui ? »
Je ne savais si c’était de l’amour entre nous, ou si c’était de l’affection ou juste une attirance physique, je crois que je ne voulais pas savoir, je tendis la main pour effleurer sa cicatrice de sa gorge, je sentis son frémissement sous mes doigts.
« Oui… nous pourrions aller au nord… Repartir chez moi… Les loups y sont les bienvenus…
- Et comme tout le monde te connaît… »
Il ne finit pas sa phrase, son odeur musquée me montait au nez, son souffle vient chatouiller ma peau lorsqu’il s’approcha de moi, laissant les dattes sur le côté. Je capturai ses lèvres en premier, venant goûter sa langue de la mienne, il se laissa faire et je sentis ses mains glisser sur mes épaules, il rompit le baiser et me regarda avec attention avant de revenir m’embrasser avec plus de passion, je sentis ses mains descendre de mes épaules sur mon buste, je le laissai faire m’inclinant doucement sur la peau de bête, il s’arrêta brusquement et soutient mon regard, caressant tout doucement mes lèvres.
« Tu veux ? Vraiment ? Tu es sûre ? »
Je le regardais avec attention, j’eus brusquement la menace de Sadralbe en tête, c’était lui qui voulait mon corps, Vahagn fronça aussitôt les sourcils, ses doigts sur ma peau… il venait de lire mon esprit, un grondement jaillit de ses lèvres, mais ce fut moi qui expliquai :
« Je ne le laisserais pas me toucher comme ça. C’est toi que je veux maintenant.
- Alors je vais cartographier ton corps. »
Il eut un sourire et revient m’embrasser alors qu’il me débarrassait de ma tunique. Nos mains et nos doigts finirent de nous déshabiller. Je l’examinai avec soin, ses cicatrices, ses marques, ses muscles puissants… Il frôla doucement mon corps nu avec attention, un petit sourire en coin, ses doigts exploraient doucement le terrain, frôlant mes courbes, les deux petites collines, déposa un doux baiser au creux de la vallée, il effleura les lits asséchés des rivières de sang sur mon corps, j’eus un frisson et les larmes me montèrent aux yeux. C’était la première fois depuis dix ans qu’on me touchait ainsi avec autant de douceur, le loup était un animal social et moi j’étais en plus très tactile. Il s’arrêta immédiatement, glissa ses mains le long de mon crâne, se pencha et vient doucement embrasser mes larmes pour les sécher, il était inquiet.
« Un mot de toi et tout s’arrête.
- Continue. Répondis-je simplement. »
Il attrapa ma main, la posa sur son pectoral et j’entrepris à mon tour de caresser tout doucement son corps, suivant le plateau que dessinait son muscle, il n’avait pas l’intention de me faire mal, ma peau eut un frémissement et mon souffle s’accéléra. Méticuleusement, il cartographia mon corps de ses mains avant d’y apposer ses lèvres dessus ainsi que le bout de sa langue et de descendre vers le sud pour s’abreuver à la source du plaisir.
Je repris doucement mon souffle dans les bras de Vahagn, nos jambes étaient encore emmêlées par notre étreinte peu discrète. Il avait fait très attention à ne pas me faire mal et à ce que je jouisse dans ses bras. Il caressa tout doucement mes cheveux et me sourit avec douceur, je lui rendis en tirant un peu plus la peau de bête sur nous.
« Saorsa ? Que veux-tu que nous soyons ? Je t’apprécie énormément… Mais je ne suis pas sûr… que ça soit de l’amour.
- Vahagn, cela fait deux mois que nous nous connaissons… Il est sans doute tôt, beaucoup trop tôt, pour dire un « je t’aime »… Mais je t’apprécie également beaucoup. Nous avons tout le temps… tout le voyage jusqu’au nord… pour le savoir.
- C’est grave à tes yeux ?
- Non, je n’ai pas envie de me presser, j’ai envie d’avoir le choix. »
Il me sourit et je lui rendis doucement avant de revenir me nicher contre son torse. Il m’embrassa le front. J’aimais son odeur, la douceur de sa peau, mais nous ne pouvions pas passer toute la journée dans les fourrures même si j’en mourrais d’envie. Je le sentis bander à nouveau lorsqu’on se leva et il caressa doucement mes fesses, je souris en le regardant dans les yeux.
« On se retrouvera ce soir, mais là il faut aller retrouver notre meute. »
Il rit doucement et caressa doucement mes hanches.
« À tes ordres, mon alpha. »
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