Chapitre 22 - Saorsa
Je fixai Wilkin droit dans les yeux, les poings serrés, toujours en silence, il parlait seul depuis une heure, comment dire que ses inquiétudes, ses peurs, sa déception… Qu’est-ce que j’en avais à faire ?! J’avais eu une meute et à nouveau Sadralbe avait tout détruit. Bien, je recommencerais encore une fois. Au stade où j’en étais je m’en foutais, que je meurs en essayant, au pire je serais débarrassé de lui, bon je serais morte aussi, mais je rejoindrais aussi ma mère et la déesse, est-ce que c’était si grave que cela ? J’en doutais presque, de ce que j’avais écouté d’une oreille, Sadralbe avait parlé d’une capture de bandit ou quelque chose dans ce goût-là.
« Tu m’écoutes Midelia ?! »
Je baissai vaguement les yeux vers lui, je regardai le plafond, avec un dédain peint sur le visage sans même chercher à le cacher. Qu’est-ce que j’en avais à faire ? Je n’avais plus envie de cacher, déjà que je ne l’avais jamais caché !, mais maintenant encore moins.
« Non. »
Il devient tout rouge et je le vis bien, avec sa peau nettement plus pâle que la mienne ce qui était un comble, je retiens un sourire insolent, quand même Sadralbe était là je n’avais pas non plus envie de souffrir plus que ça, oh quand même… Il me saisit la mâchoire, je ne bougeai pas, les poings serrés alors que je soutenais son regard.
« Tu crois que j’ai que ça à faire d’envoyer un de mes gardes à ta recherche ?!
- Visiblement, cela fait trois… quatre mois que j’étais partie, j’espère qu’il ne t’a pas trop manqué. »
Il enfonça ses doigts dans mes joues, je ne bougeai toujours pas, la porte s’ouvrit brusquement et Gaïa entra, impériale, dans ma chambre et foudroya son mari du regard.
« On t’entend hurler dans tout le palais. Si tu voulais montre à Ta fille que tu tenais à elle et que tu l’aimais ce n’est pas ainsi que tu vas réussir. »
Gaïa, si tu savais comme je t’aime, tu étais bien l’une des seules que j’aimais bien ici. Wilkin resta silencieux et recula devant le regard son épouse. Sadralbe, debout près de la porte bouillait de rage, il détestait qu’elle intervienne, moi j’adorais ça. La reine s’avança et son regard me détailla avec attention avant qu’elle ne me tende les mains, après une courte hésitation j’y déposais les miennes.
« Avant de hurler Wilkin, assure-toi au moins qu’elle puisse boire, manger et avoir un bon bain chaud. Viens Saorsa. »
Elle me tira en avant et j’obéis à son impulsion pour la suivre, son époux m’attrapa le bras, Sadralbe fit un pas sur le côté pour barrer la porte.
« Gaïa ! Je n’ai pas fini de parler avec elle et c’est hors de question qu…
- Je m’en moque. »
La voix de la reine claqua comme un fouet et elle serra ma main plus forte dans la sienne, j’observai la reine, le roi, Sadralbe qui émit un grondement :
« Votre majestée si je puis me…
- Silence Sadralbe. Je n’ai que faire de vos jérémiades. Vous avez ramené Midelia, mais visiblement vous n’avez pas jugé bon de l’aider à faire une toilette, ou l’habiller comme il faut. Et elle est tellement maigre qu’on pourrait presque voir ses os et ses veines !
- Elle a passé quatre…
- J’ai entendu, mais elle semble ravie d’être revenue. Alors, occupez-vous tous les deux pendant que je m’occupe de ma belle-fille. Saorsa, viens. »
Note pour moi-même : ne pas énerver Gaïa, Sadralbe hésita un instant devant la reine qui finit par l’écarter elle-même avant de m’entraîner derrière elle. Je la suivis sans attendre, toujours pieds nus sur les dalles froides du palais. J’attendis d’être loin pour regarder Gaïa :
« Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi vous m’aidez ? »
Elle m’observa avec attention tout en continuant de marcher, ma main toujours dans la sienne, elle resta silencieuse, avançant toujours à un rythme soutenu.
« Liliraele m’a dit la vérité, elle t’adore et tu lui as sauvé la vie.
- C’était il y a très longtemps.
- Tu as sauvé ma petite quand même et elle t’aime vraiment. Tu n’es pas une fille méchante, tout ce que tu veux… c’est retourner chez, je ne peux pas dire… que je t’aime réellement, mais non je ne te déteste pas. Et je n’ai aucune excuse pour ne pas être intervenu avant. Peut-être que lorsque je t’ai vu si triste… je me suis dit que je ne pouvais pas plus rester sans rien faire, tu avais l’air si forte et te fiche de Sadralbe, de mon époux. Comme-ci rien ne pouvait te toucher, et j’avais peur de ce que tu pourrais faire sous ta forme de louve. Lorsque tu es partie, Lili… était si triste, mais elle voulait tellement que tu réussisses à fuir, que tu puisses retrouver les tiens… »
Liliraele… Je hochai la tête sans rien dire de plus. Les appartements de Lili, forcément, nous serions plus serions plus tranquilles. Elle ouvrit la porte et entra avec moi. Ma sœur me sauta au cou et après une toute petite seconde d’hésitation, je la serrais à mon tour contre moi, je la repoussai tout doucement pour lui prendre le visage entre mes mains.
« Ne pleure pas. Tout ira bien, d’accord ? »
Elle eut un rire et hocha la tête. Je n’étais pas sûre que Sadralbe me laisse en permanence avec la reine et sa fille, mais soit, c’était déjà ça quelque part. Liliraele me guida jusqu’à la salle de bain, l’eau était chaude dans la baignoire, mais me débarrasser de la crasse, de la poussière, du sang et de tout ce que j’avais de sale sur le corps. Ça faisait du bien, Liliraele attendit que je ressorte de l’eau et que je finisse de passer une chemise et un pantalon propre.
« Je suis fiancée, avec le prince Aolis. »
Je recrachai la gorgée de lait au miel que j’étais en train de boire, je toussai un peu avant de m’essuyer la bouche d’un revers de main :
« AOLIS ?! Tu es fiancée à Aolis ?! »
Alors là, je m’assis, les jambes coupées. Aolis. Si la reine avait choisi Aolis… Liliraele rit et s’assit également en face de moi, Gaïa avait fini par partir pour nous laisser un toutes les deux, c’était étrange, mais elle m’avait manqué aussi quelque part. Je passais une main dans mes cheveux encore trempés et elle reprit la parole :
« Je peux présumer que tu le connais du coup ?
- Pas trop mal oui, on passait parfois au palais avec ma mère, on y restait quelques semaines, en été ou en hiver. Même si parfois l’hiver on restait plus longtemps… Ça nous est arrivé une fois. »
Ma gorge se serra un peu et je secouai la tête pour chasser la tristesse, Liliraele posa une main sur mon bras et le serra tout doucement avant de reprendre la parole.
« Tu le connais bien du coup Aolis ?
- S’il n’a pas trop changé oui, c’est un garçon assez comique, très gentil, qui adore rire. »
C’était un peu l’inverse d’Itham qui était beaucoup plus calme… et discret. Itham prenait beaucoup plus le temps de réfléchir, Aolis avait… le sang bouillant. Dirons-nous. Itham était plus discret aussi. Si Aolis était le soleil, Itham était la lune… Et Eoran l’équilibre parfait, l’aube et le crépuscule. Je secouai un peu la tête, ça voulait dire…
« Ils vont venir ?
- Oui. Ils attendaient que la neige fonde. Tu étais où d’ailleurs ? Je pensais que c’était à toi que je devais cette alliance…
- Non, j’étais à l’Est, mais je n’avais pas quitté le royaume, on était à la frontière, c’était trop évident si je me rendais dans le Nord. J’ai trouvé une meute dans l’est et nous partions pour le royaume des montagnes et des neiges quand Sadralbe est arrivé. Les autres sont partis, je ne pense pas qu’il puisse les rattraper.
- Je vois. »
Elle était désolée, mais elle entreprit de me montrer la robe qu’elle brodait avec sa mère. Bleue et grise. C’était joli, les motifs restaient très simples et surtout beaucoup trop longue pour danser convenablement avec un nordiste. Les robes là-haut étaient courtes, au niveau du genou dans des tissus le plus fluide possible. Il fallait dire que dès que nous dansions, le froid on l’oubliait bien vite. Mais elle ne dansait pas comme une nordienne, elle n’avait pas besoin d’une robe courte. Moi oui.
« C’est joli. »
La porte s’ouvrit brusquement. Sadralbe… forcément qu’il n’allait pas me laisser tranquille. J’avais à peine eu le temps d’avaler quelques petites choses… Un verre de lait, c’était déjà pas mal en quelque sorte.
« Princesse Liliraele, Midelia doit se reposer. »
Je me levai en m’étirant longuement il ne nous laisserait pas tranquilles et il allait insister jusqu’à ce qu’on cède ! Liliraele vient me serrer contre elle en affirmant haut et fort qu’on se verrait demain pour coudre ensemble, si la princesse ordonnait Sadralbe n’avait qu’à obéir. Je hochais la tête, je savais déjà quelle teinte et quels motifs je voulais sur le tissu. Sadralbe me raccompagna et dès que la porte fut claquée il me décocha un coup dans le ventre qui me plia en deux, j’étais trop mince et le moindre coup touché mes os en passant. Je roulais au sol et il attrapa une poignée de cheveux et me tordit la nuque en arrière avant d’enfoncer un bâton entre mes dents jusqu’à ce que je sente la bille me remonter dans la gorge et que je ne vomisse sur les joncs, je toussai un peu et il me donna à nouveau un coup dans le ventre, un nouveau jet acide me brûla la gorge alors qu’il me crachait dessus. C’était reparti pour une séance de torture et comme d’habitude, je laissais mon esprit vagabonder dans mes souvenirs…
Je glissai une mèche derrière mon oreille sans rien dire en regardant le tissu rouge que j’étais en train de broder avec ma mère. C’était sa nouvelle robe pour l’une des fêtes avec la meute. Sans manche avec une jupe au-dessus du genou, un corsage très simple et une ceinture autour de la taille. Elle allait être la plus belle ! Je plantai l’aiguille dans le tissu et tirai doucement jusqu’à arriver au bout du fils, c’était de beaux motifs de fleurs et de plantes.
« Tu sais que la reine va venir nous voir ? »
Je levais le nez vers ma mère qui me fit un doux sourire, elle souriait toujours gentiment, je ne savais pas comment elle faisait, mais elle avait l’air toujours joyeuse, toujours heureuse ! Et c’était pour ça qu’elle était la grande amie de la reine Aalrika ! Elle et personne d’autre. Elle m’avait raconté que c’était elle, Isean, la guérisseuse, aussi fragile qu’un oisillon. C’était Caenar qui l’avait appelé comme ça quand ils étaient petits.
« Ah ? Elle amène les garçons ? »
Je sentis la douleur refluer de mon corps et je repris plus ou moins place dans la réalité, visiblement l’autre avait fini de me torturer un peu. J’avais encore des ongles, mais il devait faire attention, dans le palais… Il me traîna à nouveau et me bourra de drogue plus que de nourriture avant de m’attacher pour la nuit. Bon retour dans tes geôles Saorsa.
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