Chapitre 25 - Saorsa
J’entendais les chevaux arriver, j’inspirais profondément pour essayer de calmer l’excitation qui grandissait au creux de mon ventre. Aalrika arriva, très droite sur son cheval, une Perle noire, et un grand ! Eoran était derrière elle sur Bardes aux membres blanc et noir, tout comme Itham et Aolis qui en chevauchaient des grands aussi, dorés par contre. Le reste de la troupe montait des Tölt et des Tyrolt, je reconnaissais les blasons et les tenues de certains clans des montagnes, mais aussi quelques-uns venant plus des plaines et des souterrains. Aalrika avait réussi à stabiliser à nouveau tous les clans autour d’elle ? Elle n’avait pas beaucoup changé d’ailleurs, ses cheveux blonds cendrés étaient toujours aussi courts, lui arrivant à peine aux épaules, plaqué à son crâne par des tresses, elle portait son épée à son flanc, mais je voyais aussi sa hache sur le côté de sa selle. Armure en cuir et sa pierre de sang pendait à son collier. Son visage était dur et ses yeux noirs alertes. Eoran avait des cheveux de jais, rasé sur les côtés, relativement courts avec juste une petite queue de cheval à l’arrière. Il avait un visage très doux, aux traits harmonieux et des yeux aussi clairs que les miens ainsi qu’une fine barbe. Aolis et Itham étaient de vrais jumeaux, un visage tout aussi doux et harmonieux que celui de leur cadet, leurs cheveux étaient blonds cendrés comme ceux de leur mère, mi-long, rasé sur le côté et rassemblé en des queues de cheval parsemé de tresses et eux aussi portaient des barbes courtes. Mon cœur se serra en regardant Itham… il n’avait presque pas changé… Et comme le trio m’avait manqué ! Je notai aussi le carrosse, l’épouse d’Eoran avec quelques-unes de ses suivantes sans doute. Aalrika mit pieds à terre d’un geste souple, ils avaient tous les bras nus, pas de fourrures : comme moi ils avaient trop chaud. La reine s’avança souplement, pour l’instant elle était la seule à avoir mit pieds à terre. Tant qu’elle ne dirait rien, hommes et femmes du nord au visage dur et à l’air sombre, ne bougeaient pas, ni ne faisaient mine de mettre pieds à terre.
« Majesté Wilkin. »
Elle salua tour à tour les princes, princesses… son regard croisa le mien et un sourire étira ses lèvres, je fis une révérence polie
« Reine Aalrika.
- C’est comme ça que tu me salues maintenant Saorsa ? Je t’ai connu plus expansive. »
J’eus un large sourire et me glissai entre les princes pour venir me nicher dans ses bras, elle les referma autour de moi, son odeur n’avait pas changé, elle passa ses doigts dans mes cheveux en baisant doucement mon crâne. Je l’entendis donner l’ordre de mettre pieds à terre et elle me lâcha, prit mon visage entre ses mains et me caressa les joues du pouce.
« Tu n’as pas changé petite Saorsa… »
Je lui souris avec tendresse, les jumeaux avaient salué la famille royale du sud et Aolis m’attrapa par les épaules pour me tirer à lui, j’entendis Wilkin derrière moi :
« Vous connaissez Midelia ?
- Si vous parlez de Saorsa, oui, elle était la fille de ma meilleure amie. »
Aolis éclata de rire avant de m’ébouriffer les cheveux et me serrer contre lui sans douceur. Il me dépassait de trois têtes, sa mère que de deux, et tout comme son jumeau et son frère, ils étaient larges d’épaules. Je faisais encore plus petite à côté d’eux. Il me pinça gentiment la joue avant de s’écarter, mes yeux rencontrèrent ceux d’Itham. Tout doucement il tendit la main pour caresser ma joue. Je sursautai presque en sentant ses doigts calleux effleurer ma peau, ma main cherchait celle qu’il avait de libre et nos doigts s’entremêlèrent. Il finit par poser son front contre le mien, Itham était plus… calme et plus en retenue qu’Aolis. Mais je lisais dans ses yeux tout ce qu’il n’arrivait pas à me dire.
« Tu m’as tellement manqué, Saorsa… »
Sa voix grave n’avait pas changé, toujours empreinte de douceur et d’un milliard de choses qu’il n’arrivait pas à dire et qu’il n’exprimait que par des gestes. Je fermai les yeux en inspirant profondément. Je ne voulais pas pleurer… Pas devant tout le monde.
« Pourrais-je lui dire bonjour aussi ? »
Eoran avait fait avancé son cheval et Itham s’écarta, lâchant à regret ma main. J’avançais vers le prince perché qui se pencha pour me serrer contre lui alors que j’étais hissée sur la pointe des pieds. Il me caressa aussi la joue avec douceur. Autour de nous la foule des nordiens s’était mise en branle, déchargé leur affaires et déjà une grande partie des chevaux se dirigeaient aux écuries. Eoran était le dernier sur son cheval. Son épouse était elle-même sortie, jeune, le teins très pâle et des cheveux d’encre, elle portait un curieux mélange des habits de son pays aux couleurs vives et aux motifs complexe et du style nordique, plus brute et plus simple.
« Prince Eoran, peut-être pourriez-vous mettre pieds à terre, vous ne comptez quand même pas entrer à cheval dans le palais ? »
Étocle. Toujours aussi… peu aimable, Aalrika fronça les sourcils et ouvrit la bouche, mais Eoran leva la main pour lui signifier que ce n’était pas la peine. Je m’écartai un peu et il rassembla ses rênes avant de donner un ordre à son cheval qui ploya les membres pour se coucher sur le sol. Le jeune prince bascula sur le côté et Aolis poussa vers lui son fauteuil, son cadet refusa de l’aide et s’y traîna seul avant de s’y installer, toujours sans aide, avant de s’adosser au dossier de son fauteuil, rajustant simplement ses jambes qu’il n’avait jamais pu bouger. Pourtant, il n’en avait pas honte et au contraire, il en faisait une force, le lourd silence planant sur la cours l’indiquait, il releva le menton, emplis de la fierté nordienne :
« J’aurais adoré pouvoir vous faire une révérence ou m’incliner devant vous et votre famille en signe de respect Prince Étocle, mais comprenez bien que malgré tous mes efforts… je crains ne pouvoir le faire, vous m’en voyez désolé. »
Ou pas, Eoran se moquait d’eux. Étocle reprit la parole, légèrement mal à l’aise :
« Je crains qu’aucun serviteur ne…
- Je sais me débrouiller seul, l’interrompit le prince. »
Ne jamais sous-estimer Eoran. Aalrika observa le roi puis son fils avec attention :
« Tu voudras que je te fasse quelques rampes ?
- Mama… Pas sûr qu’il aime que tu démontes leur château.
- J’en ai rien à foutre Eoran, ils n’ont qu’à prévoir. »
La reine secoua la tête et se tourna à nouveau vers moi et me fit signe de venir avant de passer ses doigts dans mes cheveux. Je crois qu’elle adorait ça, et moi aussi…
« Nous aurons à parler toutes les deux, seule à seule, tu as bien des choses à m’expliquer»
Je ne fis qu’un petit hochement de tête avant que Gaïa ne convie ses hôtes à l’intérieur du palais. L’épouse d’Eoran s’avançait à côté de lui alors qu’il faisait rouler son fauteuil seul. En passant beaucoup des gars guerriers et guerrières accompagnant Aalrika et ses fils me saluèrent et j’eus le droit à quelques accolades franches et des tapes dans le dos à m’en briser les os. J’avais presque oublié leur côté… brute de décoffrage. Ou la douceur typique du nord, au choix. Liliraele finit par se glisser vers moi :
« Tu les connais tous ou quoi ?
- Pratiquement oui. »
Elle gloussa derrière sa main et je lui fis un clin d’œil, des mains me saisirent à la taille pour m’arracher du sol alors que je poussais un cri de protestation : Aolis ! Il me posa sur son épaule comme un sac à patate !
« Toi, on t’a perdu une fois dix ans, maintenant tu restes avec nous ! »
J’éclatai de rire en me débattant un peu, ça me faisait tant du bien de rire ! Et surtout de voir qu’Aolis n’avait pas trop changé. Itham s’ouvrit au jeu de son jumeau en riant doucement avant de tendre les bras :
« Aolis ! Donne-la-moi !
- Non ! C’est ma mienne ! »
J’en pleurais presque de rire, ils étaient toujours aussi complices les deux ! Je finis par me faufiler hors des bras du fiancé de ma sœur avant de poser les pieds au sol. Eoran venait de s’arrêter et observait le haut escalier, Étocle eut un sourire presque moqueur :
« De l’aide Prince Eoran ? »
Il ne lui répondit même pas et dirigea son fauteuil vers l’escalier, en usant de ses fluides d’eau, il matérialisa deux fines bandes aqueuses qui s’enroulèrent autour de ses roues et le montèrent sans difficulté en haut des marches en moins de temps qu’il aurait fallu à un valide pour le monter. Ma sœur se pencha vers moi :
« Il est toujours aussi efficace ?
- Oui.
- Viens là, ne t’éloigne pas. »
Itham venait à nouveau d’intervenir dans la conversation en me soulevant dans les airs pour me poser sur son épaule. Il garda une main au travers de mes cuisses et j’en passais une dans ses cheveux sans rien dire, il me rendit un sourire heureux, les garçons avaient toujours adoré me porter sur leurs épaules, mais là je devinais son froncement de sourcil :
« Tu es trop maigre.
- Je sais Itham.
- Itham ! Je veux aussi la porter ! »
Eoran n’était pas en reste. Il m’en avait fait faire des courses sur son fauteuil alors que j’étais assise sur ses genoux. Et à nouveau je viens l’y rejoindre en posant mon front contre son épaule. Eoran était Eoran, je ne l’aimais pas comme je pouvais aimer Itham. Il m’observa avec attention :
« On a eu une drôle de visite il y a quelques mois. Un certain Vahagn. Il nous a raconté bien des choses…
- Il est en vie ?! Merci ô phénix ! Merci !
- Il est arrivé, il a parlé, puis il est reparti. Rejoindre une meute sûrement.
- Elles ne sont toujours pas revenues au palais ? J’avais une lueur d’espoir.
- Non, je suis désolé. Nous n’avons que des contacts limités avec les meutes, elles continuent leur travail aux frontières, mais nous n’avons pas plus de contact que ça. Aucun alpha, bêta ou quoi depuis dix ans. Nous savons que Caenar est encore en vie, cependant rien d’autre. »
Caenar était vivant, j’eus un large sourire avant de descendre de ses genoux et de hocher la tête. Son poignard cérémoniel était accroché à son torse, ses frères et leur mère et quasiment tous les autres nordiens le portaient à la ceinture. Sadralbe me suivait, ou il essayait, mais il n’inspirait pas confiance aux gardes et guerriers. Devant, j’entendais Wilkin et la reine Aalrika discuter, Itham glissa sa main autour de la mienne, alors que j’écoutais la conversation des deux souverains :
« J’ignorais que Midelia vous connaissez si bien, reine Aalrika.
- Soit vous ne lui avez pas posé la question, soit elle n’a pas jugé bon de vous le dire. J’ignorais de mon côté que vous aviez récupéré Saorsa, cela fait bientôt onze ans qu’elle a disparu et de mémoire, si sa mère mourait c’était son oncle qui devait s’occuper d’elle. »
Coincé. Wilkin secoua la tête :
« Elle est ma fille. »
Aalrika ne dit rien, mais je devinais à la contraction de ses épaules que ça ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout, cependant, elle ne dit rien, trop maligne pour cela ? Ou alors elle réfléchissait déjà à autre chose, tout était possible avec elle. Itham observa en arrière Sadralbe et fronça les sourcils :
« Qui est ce chien qui ne te lâche pas des yeux ? Il semble bouillir de rage.
- Sadralbe. Un chien de garde, je n’ai jamais accepté d’être ici. Soufflais-je sur le même ton. »
Il contracta les muscles de sa mâchoire et Aolis se glissa à nos côtés, il lui répéta ce que je venais de lui dire dans une vieille langue du nord, impossible de la connaître sauf quand on y avait vécu quelques années. L’information fut transmise à Eoran qui fronça les sourcils avant de traduire tranquillement à son épouse qui me sourit à son tour en inclinant la tête vers moi. Et bien, une nouvelle langue à apprendre, j’allais adorer, je reviens à la conversation devant :
« Vous restez bien deux semaines ?
- Tout à fait. »
Du coin de l’œil je vis les cinq autres femmes qui étaient dans le carrosse avec Akiyama, l’épouse d’Eoran, vêtues de tunique à longues manches blanc argenté pur avec des flammes rouges-oranges brodées. Les prêtresses de la Lune et du Phénix sanglant. Elles avaient toute la même attitude fière, des coiffures complexes avec des tresses un peu partout et des bijoux d’or, de métal, des éclats d’os aussi… Je m’inclinai doucement devant elle et elles me rendirent des sourires ou juste un hochement de tête. Elles firent signe cependant à Aalrika qui s’excusa au près du roi pour venir leur parler une prêtresse de la lune et du phénix aurait toujours plus d’importance qu’un roi voisin. C’était normal. Liliraele me fit signe que nous devions aller nous préparer et laisser du temps aux autres. Un à un je saluais tous les nordiens encore présent, je déposais un baiser sur la joue d’Eoran et d’Aolis, mais Itham me saisit à nouveau la main et la serra en posant son front contre le mien :
« Tu danses toujours ?
- Soit mon cavalier. »
Il m’embrassa avec tendresse le front avant de me lâcher. Aalrika fit signe à ses fils de venir, puis se tourna vers moi lâchant avec un certain détachement :
« Le contrat tient toujours avec Itham. »
Je sentis ma mâchoire se décrocher. Le contrat tenait encore ! Tungl merci…
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