La lame trancha avec précision ma gorge, je sentis quelques gouttelettes carmin atterrirent sur ma tunique, les prêtresses levèrent les mains et mon sang s’éleva dans les airs, j’entendis la voix de Wilkin et être repoussé en arrière par les gardes. Mon sang dessina un ruban dans les airs sous les mains des prêtresses, je le sentais sortir et entrer dans mon corps alors qu’il était purifié avec soin pour le rendre aussi pur que possible. De minuscules fragments sombres, résultats du rassemblement des drogues et diverses empoisonnements, tombaient au sol. Je sentais presque la force me revenir progressivement. L’air entrait dans mes poumons délicatement, Aalrika caressant doucement ma tête. Les prêtresses dansaient avec mon sang et je les laissais faire, que le Phénix les bénisse. Elles lisaient mon sang, mon avenir… Je fermais les yeux avant de les rouvrir pour voir ma pierre de sang se former doucement par des fragments de mon propre sang, les très fins maillons se formèrent également, la plus jeune des prêtresses s’avança pour le prendre et me regarder droit dans les yeux.

« Veux-tu en confier une partie à un des tiens ? »

D’un mouvement de doigts, je fis répondre mon sang à ma place et la pierre se sépara en deux. Du regard, je désignais Itham, à genoux, son bouclier toujours au sol, il accepta de porter un fragment de ma pierre. Il saurait ainsi si j’étais en vie ou non. La religieuse s’avança et glissa le collier autour de mon cou, liant les maillons entre eux sans qu’aucun système de fermeture ne soit visible. Il était l’heure de lire mon avenir dans mon sang. L’Ancienne étendit mon sang comme une toile d’araignée et je sentis mon cœur cogner contre ma poitrine, attendant le jugement…

« Fille des loups ! Fille de la déesse ! Que ton destin se dessine devant nous ! Fit la cadette, les mains levées. »

J’inspirais profondément à nouveau, sensation très étrange quand on avait la gorge tranchée, attendant le verdict, si c’était la mort pour abreuver le phénix, que cela soit la mort. Au moins je mourrais pour les miens, je mourrais pour le phénix et rien d’autre. Pour sa gloire. La douleur de ma gorge était à peine soutenable, mais je la renvoyais au fond de ma conscience pour être tranquille. J’attendis avec angoisse, à nouveau les coups réguliers sur les boucliers et la voix du chanteur s’élever à nouveau, demandant à la lune et au phénix de montrer mon destin à la prêtresse. Le silence se fit au moment où elle leva la main, mon sang coulait toujours pa ma gorge s’élevant dans les airs puis revenait dans ma gorge.

« Le Phénix et Tungl ont parlé ! Elle sera la reine ! La reine du royaume des Montagnes et des Neiges ! Sous son règne, nous ne formerons plus qu’une seule tribu ! Elle nous élèvera ! La reine louve ! Héritière des meutes ! Héritière d’Aalrika ! Le phénix la désigne comme l’équilibre, la force, le courage et la paix ! Elle sera notre reine ! »

Il eut un silence et mon sang rentra à nouveau dans mon corps. Reine ? Moi ? Si le phénix avait décidé, je ne pouvais dire non. La plus jeune des prêtresses s’avança et caressa mon cou, la plaie se referma immédiatement, ne laissant même pas une cicatrice, la douleur s’arrêta net. Aalrika m’observa, ce n’était pas étonnant si lors de la danse de l’héritier j’avais fait courber tout le monde, me faisant appeler, le temps d’une danse « Reine ». Le phénix approuvait mon choix, ma force. J’avançai dans le cercle sous le regard des autres avant de regarder Itham et lui sourire. Je me sentais forte, je me sentais belle. Je me sentais moi. J’avançai vers le prince et tendis les mains vers lui. Il les prit et me tira vers son torse où je me nichais. Il eut des rires et des sifflements, je m’en moquais, mais le bruit de quelqu’un fendant la foule me fit me tourner, Liliraele me regardait avec attention, elle était livide, ah oui… j’aurais peut-être dû la prévenir ? Le pire c’était Wilkin qui était rouge de rage et qui s’approcha de la reine, qui le dominait quand même en taille et qui dû baisser les yeux sur lui.

« Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous avez usé d’une magie noire en ce lieu et pourquoi vous avez égorgé ma fille ?! »

Je grondai légèrement et il eut des remarques parmi les miens. La reine n’eut qu’un fin sourire :

« La magie du Sang n’est pas une magie noire, nous venons de rendre hommage au Phénix. Quant à Saorsa… »

Elle me fit signe de la tête et je souris doucement en repoussant en arrière mes cheveux. La pierre de Sang pendait à mon cou, le poids que je sentais était très rassurant, une simple petite pierre longue comme deux phalanges, rouge comme mon sang, taillé en six facettes et légèrement en pointe, mes doigts la caressèrent doucement, elle était chaude.

« J’ai choisi et accepté d’être offerte au Phénix. Je savais très bien dans quoi je m’engageais. »

Wilkin serra les poings, vert de rage, et me dévisagea, je devinais ce qu’il allait dire, sans même avoir besoin de l’écouter, cependant, il se tourna d’abord vers Aalrika.

« Et si votre magie n’avait pas marché sur elle ?!

- Elle aurait rejoint le phénix. Dit-elle tranquillement en haussant les épaules.

- Sadralbe, raccompagnait Midelia dans sa chambre. »

Sadralbe hocha la tête et s’approcha de moi, Itham inclina légèrement la tête, mais je me dégageai gentiment avec un dernier sourire. Je ne laissais pas Sadralbe me toucher et grimpai tranquillement dans mes appartements. Il me suivait, son souffle dans ma nuque, je n’aimais pas ça, mais s’il pouvait avoir un peu d’importance il en aurait.

« Tu es fière de toi ?! »

Il avait claqué la porte derrière nous. Je haussai les épaules en observant ma chambre plongée dans l’obscurité. Je craquais ma nuque en libérant mes cheveux de leur coiffure complexe.

« Je te parle chienne !

- Tu me parles, je t’entends, mais je n’ai pas envie de te répondre. »

Je l’entendis hoqueter de rage avant que je ne me tourne vers lui et que je n’incline la tête sur le côté :

« Il y a une chasse demain. »

Je lui tournais à nouveau le dos, mes sens étaient focalisés sur lui alors que je m’installais en tailleurs sur mon lit, le regard rivé sur le mur devant moi. J’inspirais profondément avant de fermer les yeux pour me plonger en quelques respirations dans une méditation profonde. Il m’injuria et essaya de me faire réagir avant de sortir en claquant la porte, je n’avais pas bougé et je ne le fis pas avant un long moment. Ma tunique tachée de sang tomba au sol, rejoint rapidement par le pantalon, j’étirais longuement tous mes membres avant de me glisser sous les draps et de fermer les yeux. Mon sommeil me guida dans les yeux de mon loup, dans les forêts épaisses de chez moi, le soleil timide au travers des branches, le vent…

Les forêts d’ici étaient bien différentes, mais avec une troupe de guerriers et de traqueurs du Nord, l’ambiance était très différente. Pas de chien ici, on y allait à cheval ou parfois à pied, mais les flèches étaient encochées et les chasseurs particulièrement attentifs. Je donnais une petite tape sur l’épaule d’Itham qui pivota aussitôt vers moi avec inquiétude, je le rassurais d’un sourire :

« Il n’y a pas autant de prédateurs dans le sud que chez nous. »

Il s’arrêta un instant avant de saisir et de rire avec un petit hochement de tête. Sadralbe puait la colère, la haine et la jalousie et tout un tas de chose dont je me moquais. Je reniflais soudain l’air et je sentis les regards des nordistes sur moi, je fis signe qu’il y avait une proie dans le coin. Ce fut un cerf qu’Itham abattit dans un tir en pleine tête magnifique. Il sauta aussitôt à terre et couru vers le corps encore chaud du cerf, sortit sa dague pour égorger le cerf, l’odeur du sang me fit légèrement dresser sur ma selle, le prince ouvrit le corps encore chaud du cervidé, pour plonger ses mains dans ses entrailles pour en retirer le cœur, je me pourléchais les lèvres et il s’avança vers moi, le cœur dans sa main recouverte de sang, pour me le tendre. Toujours en scelle, je me penchai pour venir planter mes dents dans le cœur, le sang était chaud, goûteux, il me coula le long du menton, la chair était élastique, mais délicieuse, offrir le cœur d’un cerf à une louve c’était un beau cadeau, les cerfs étaient un mets de choix, surtout le cœur. Ma langue glissa le long des doigts d’Itham qui soutenait toujours mon regard pour récupérer les derniers petits morceaux de chair. Il porta ses doigts encore souillés de sang à ses lèvres avant de me sourire. Je mis pieds à terre et la grande prêtresse sourit avant de prendre la parole d’une voix claire :

« Tungl t’autorise à te joindre à la chasse et de te parer de ta fourrure de louve. »

Je souris et sentis ses ondes se mêler aux miennes alors que je me mettais à courir, la louve gonfla mes muscles, étira mes os, et me couvrit de poil. Mon corps se changea en une fraction de seconde en une énorme louve noire qui atterrit sur le sol dans un bruit sourd. Je me retournais sous ma forme à quatre pattes, presque aussi grosse qu’un poney, Itham s’approcha de moi en s’agenouilla pour enfouir ses mains dans ma fourrure. Je vis Wilkin se tendre, Sadralbe porter la main à son épée, Liliraele ne semblait pas surprise de me voir sous cette forme, je m’ébrouai, heureuse d’être sous celle-ci qui me plaisait beaucoup plus.

« Qu’est-ce que cela signifie ?! Ma fille n’est pas censée pouvoir se transformer sans la pleine lune, et pourquoi lui avoir fait manger un cœur de cerfs ?!

- Tungl a accepté qu’elle se transforme maintenant, pourquoi s’en priver. Le cœur était un cadeau de Itham à Saorsa. Fit simplement la prêtresse. »

Je baillai longuement découvrant ainsi ma puissante mâchoire avant de m’ébrouer pour me mettre en chasse moi-même, Itham, puisque nous étions toujours liés par le contrat, mais, je savais qu’il me suivait par plaisir après tout. Ce n’était pas la première fois que nous chassions ensemble. Même si avant je n’avais pas cette taille. Le groupe se sépara en deux groupes, moi et Itham d’un côté, le plus gros de la troupe de l’autre. Une chasse à deux… Mes crocs déchiquetèrent la chair d’un cerf et Itham s’approcha de moi, passant une main dans ma fourrure en douceur. Il ne toucha pas à la viande, il n’était pas un loup, lui la manger le rendrait malade.