Chapitre 44 - Liliraele
Ma sœur avait du mal à se dire que tout était fini, qu’elle n’aurait plus jamais de devoir supporter Sadralbe, elle avait l’impression parfois de l’entendre ou de le voir. Je ne savais pas ce qu’il se passait avec elle, Itham et Vahagn veillaient sur elle chacun leur tour. Aolis soupira en la regardant s’entraîner au glaive avec son père, je levai les yeux vers lui.
« Elle va guérir ?
- Oui. Cela va prendre du temps, onze ans de captivité… Cela ne s’efface pas avec juste une vengeance. Tout ira bien pour elle, elle va être surveillée et aider par les autres. Et puis elle doit assumer son rôle d’héritière cela ne va pas l’aider !
- Pourquoi ? »
Je ne connaissais pas assez bien les coutumes des loups pour saisir ce que cela impliquait ? Aolis indiqua du menton d’autres loups qui semblaient observer Saorsa. Elle n’était peut-être pas brillante à l’épée, mais elle faisait de son mieux en tout cas ! Il n’allait pas la juger simplement sur ça quand même ? Si ? Je fronçai les sourcils et Aolis soupira :
« Rajoutons à cela que ma mère va bientôt désigner officiellement l’héritier.
- Tu sais qui cela va être ? Bien sûr.
- Pourquoi Eoran n’est pas dans la course à ce titre ?
- Ma mère voulait qu’il soit son héritier, il a lui-même refusé ce titre, il préfère être simplement général des armés.
- Avait-il peur qu’on remette en cause son autorité à cause de son handicap ? »
Aolis me fixa, surpris, avant d’éclater de rire en secouant la tête :
« Non ! Eoran n’aurait pas été le premier roi handicapé ! Juste que cela l’ennuie profondément la politique alors qu’il y ait très doué. Il préfère être un militaire. »
Ah ? Étrange !
« C’est un guerrier enragé ?
- Lui ? Oh non ! Aucun de nous trois d’ailleurs. C’est un très bon combattant et un stratège de génie surtout. »
Je le croyais sur parole, ce n’était pas moi qui connaissais Eoran, mais j’aurais aimé le voir combattre en réalité, s’il était si impressionnant que ça. En tout cas ma sœur s’entraînait durement et surtout son père ne semblait pas connaître le mot pitié, mais visiblement ça ne la dérangeait pas le moins du monde. Pourquoi être aussi dure avec elle ? Elle avait le droit à la douceur ! Je fermais les yeux un instant avant de les rouvrir en entendant un grondement de douleur et d’une épée qui tombait au sol. Saorsa venait de se prendre un coup dans l’estomac et de tomber au sol. Je fis mine de me précipiter, Aolis me retient par le bras, pour m’interdire d’aller. Mais c’était ma sœur ! Je devais l’aider !
« Tu vas l’humilier si tu l’aides. Regarde elle se relève déjà. »
Je serrais les dents avant de me détourner et de faire mine de quitter l’endroit quand un gros rire moqueur. Un homme s’avança et parla à Saorsa, je ne compris pas ce qu’il se passait, mais visiblement personne n’aimait ce qu’il se disait, Aolis cracha au sol en marmonnant une injure.
« Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Il est en train de défier Saorsa lui et d’autres pour mettre leur héritier à sa place à la tête de la grande meute.
- Seulement lui ?
- Non, quatre proposent leur rejetons. Regarde. »
En effet… et Saorsa visiblement s’agaçait, elle écarta vivement les autres loups d’un signe de main, elle jeta ses vêtements à son oncle avant de prendre sa forme de loup, ses quatre adversaires prirent aussi leur forme de loup. Je n’avais pas fait attention à leur sexe, mais cela n’avait pas d’importance. Chez les loups je n’étais pas sûre que cela change grand-chose le sexe pour l’alpha. De ce que je compris des quelques mots lancés, c’était un combat à mort et Saorsa prenait les quatre en même temps. Ce n’était pas rien ! Quatre adversaires en même temps ! Il fallait avouer aussi qu’elle était plus musculeuse et plus grosse que ses adversaires.
Le combat commença et les quatre avaient l’air de s’allier pour la tuer, je pressais mes mains l’une contre l’autre, le sang tâcha la fourrure de Saorsa. Le combat faisait rage sous les cris des autres loups. Rapides, vifs, mortels, ils mordaient, griffaient, cherchaient à mettre au sol ma sœur qui en crocheta un au cou et déchira brusquement sa gorge. Il tomba au sol avec un jappement et convulsa alors que déjà Saorsa fondit pour déchiqueter la patte arrière du second, avant de venir presque lui sectionner la queue puis lui broyer la nuque… Elle avait trouvé le rythme ! Elle pouvait vaincre ! Même si l’un lui saisit la joue laissant une large trace de morsure, d’un coup d’épaule elle l’arracha à elle avant de finir le troisième qui tomba au sol la tête broyée par ses crocs. Le dernier, blessé lui aussi, recula en gémissant. Et ouais ! Fallait pas se frotter à ma sœur ! Elle s’avança en lâchant un grondement de colère et s’avança, mais visiblement le dernier n’avait pas envie de mourir et il se coucha montrant son ventre, suppliant pour sa vie, je vis Saorsa hésiter avant qu’elle ne s’approche lentement, laissant des gouttes carmin tomber dans le sable et d’abattre ses griffes sur le visage du loup qui couina avant de bondir en arrière et reprendre sa forme humaine, la marque des cinq griffes de ma sœur marquant son visage au travers de son œil. Saorsa reprit forme à son tour, nettement en moins bon état et avec la trace de morsure sur sa joue gauche. Elle toisa les corps des loups et s’en détourna sans plus de cérémonie, la mine très sombre, reprenant ses habits, sa magie du sang pansant déjà ses plaies. Elle observa avec attention autour d’elle et gronda à nouveau quelque chose. Tout le monde secoua la tête en reculant. Seuls restaient les cadavres des loups que les leur reprirent pour les enterrer un peu plus loin. Quoi que c’était plus les brûler, il n’y avait pas d’enterrement dans le nord.
Saorsa pivota sur elle-même, essuyant le sang de son visage, elle semblait écouter quelque-chose. Elle recommençait. Enfin… Ce n’était pas sa faute… Même mort Sadralbe venait troubler ma sœur. Itham passa un bras autour de ses épaules et lui murmura quelque chose avant de la confier à Vahagn qui posa juste son front contre la tempe de la louve avant de l’écarter du terrain. Je me mordis la joue, mal à l’aise de voir ma sœur quelque part si vulnérable… Et je ne pouvais absolument rien faire ! Ça me rendait folle. J’inspirais profondément pour essayer de me calmer un peu.
« J’espère que personne d’autre va vouloir la défier. Et qu’elle va pouvoir enfin vivre en paix. »
Fis-je en regardant le dernier adversaire de Saorsa qui avait le visage en sang d’avoir eut l’oreille tranchée. Les corps n’avaient pas repris leur forme humaine, Aolis haussa doucement les épaules :
« Elle va encore faire couler le sang.
- Quoi ?! Mais ne peuvent-ils la laisser en paix ?
- Oh ! Ça fait longtemps qu’elle sait qu’elle va devoir faire ça. Cela aura lieu bientôt.
- J’imagine que tu ne me diras pas ce que c’est. »
Il me fit un simple sourire énigmatique sans en rajouter. J’avais bien compris que cela ne servait à rien d’insister avec lui, je préférais reporter mon attention sur Itham et Eoran étaient en train de s’entraîner au combat. Torse nu, les deux jeunes hommes se battaient sans retenir leur cours. Et même à terre, sans user de sa magie, Eoran se défendait bien, frappant aux endroits ou d’habitude personne n’aurait pensé et Itham maniait sa hache comme personne. Les deux étaient vifs et visiblement parfaitement entraînés, les autres combattants s’étaient installé pour regarder avec une certaine délectation ce qu’il se déroulait sous leurs yeux et j’entendais des cris d’encouragement tout comme je pouvais deviner des bourses passer de mains en mains. Ils pariaient sur les victoires de leurs propres prince l’un contre l’autre ? J’allais me tourner vers Aolis pour réclamer, à nouveau, des explications, mais il n’était plus là… Je compris en entendant un brasier jaillir de nulle part. Il les avait rejoints ? Foudre, eau et feu ! Cela promettait en effet un beau combat ! J’abritais mes yeux derrière ma main pour éviter de finir aveugler. Ils ne s’arrêtaient nullement. Je restai à observer, fascinée, leur ballet et leur attaques. Je comprenais très bien qu’ils ne plaisantaient nullement lorsqu’ils affirmaient savoir se battre et qu’eux, la guerre ils connaissaient très bien au vu des cicatrices et des marques qu’ils arboraient sur leur peau.
Il faisait nuit noir et seul un maigre quartier de lune éclairait vaguement la scène accompagnait de quelques torches disparates. J’inspirais profondément et un frisson de froid remonta le long de mon dos alors que j‘étais enveloppée de peau. Était-ce vraiment ça ? De là où j’étais je ne pouvais réellement ressentir la chaleur des flammes des torches alors que leur lumière me piquait les yeux. L’ambiance était étrange. Dans l’après-midi, Saorsa avait été reconnue comme héritière et princesse des loups, par tous et plus aucun n’avait fait la moindre réflexion sur son silence ou sa manière de faire. Mais ce soir, alors que, de ce que j’avais compris entre deux brides de langues anciennes du Nord, beaucoup des puissants chez les loups étaient là. Tout comme chez la noblesse. Je ne comprenais pas. À nouveau il se passait une chose et j’avais l’impression d’être en retrait, Aolis n’avait rien voulu me dire et je devais souffrir d’être ignorante. Quoi que même lui ne semblait pas du tout serein. Ni lui, ni Aalrika, ni Eoran qui se tenait assit, non pas dans sa chaise, mais sur un tronc d’arbre.
Je sursautais quand les tambours se mirent à résonner dans la nuit, manquant de peu d’avaler ma langue tant je ne m’y attendais pas. Itham avança brusquement, torse nu, les cheveux libres, ses marques et tatouages semblaient presque irréels sous la lumière étrange de la lune et des torches. Je vis aussi Caenar brusquement sortir de l’ombre pour se mettre à chanter en rythme avec les tambours et la danse hypnotique du jeune guerrier qui montrait visiblement sa force et son endurance. Qu’est-ce qu’il se passait ? Un grondement sourd fit tout se stopper et je me tournai pour voir Saorsa sous sa forme de louve fendre la foule. De près elle était encore plus impressionnante, je pouvais à peine la distinguer dans l’ombre alors que tous s’écartaient sur son passage pour ne pas la gêner ou simplement ne pas la toucher, je ne savais pas. Le rythme entêtant des tambours se figea brusquement et Itham se laissa tomber à genoux en regardant droit dans les yeux sa belle. Caenar s’écarta laissant sa nièce entrer dans le cercle de danse. Elle montrait ses crocs avant de se figer devant le prince. J’inspirai à nouveau, la gorgée nouée par une tension que je ne comprenais pas, mais que je ressentais.
Le sang gicla brusquement, éclaboussant le sol alors que Saorsa venait de planter ses crocs dans le flanc d’Itham qui devient livide, mais retient un hurlement. Aolis retient un mouvement brusque, Eoran se redressa un peu, ses mains serrées l’une contre l’autre. Saorsa se mit à tourner autour de lui avec attention alors qu’Itham tomba au sol et se mit à convulser. Une main couvrit aussitôt ma bouche pour m’empêcher de crier. Itham ne put retenir un hurlement de douleur digne d’une bête en pleine souffrance lorsque les convulsions devinrent plus violentes. Ses cris furent bientôt accompagnés de craquements d’os et du claquement de ses muscles et tendons. Ses cris se turent progressivement, remplaçaient par des grognements de douleur. Il… était en train de se transformer en loup ! Progressivement ses membres se transformèrent en pattes et son corps se couvrit d’une fourrure grise, noire et blanche, épaisse et il se gonfla. Il n’était pas aussi gros que Saorsa, mais restait impressionnant et il semblait prêt à attaquer. Ce fut ce qu’il se passa, il se jeta sur son alpha et elle répliqua aussitôt. J’observai le combat. Itham semblait comme fou, plus proche de l’animal que de l’humain. Était-ce normal ? Sans doute il venait de prendre sa forme animale. Saorsa luttait contre lui pour le plaquer au sol sans lui faire du mal. Le combat dura un petit moment jusqu’à que ma sœur réussisse et le maintienne au sol. Avec lenteur, le prince reprit sa forme humaine en respirant avec violence, ses deux pierres de sang pendaient à son cou, sa partenaire redevient humaine à son tour, la sienne effleura sa peau et il eut un rire avant de caresser sa joue. Elle se laissa faire avant de tendre la main pour la poser sur la seconde d’Itham qu’elle ôta de la chaîne pour la joindre à celle qui pendait à son cou. Elle avait enfin sa pierre complète. Un rire éclata dans l’ambiance étrange. Le sien. La voix d’Aalrika résonna dans la nuit :
« Saorsa, fille d’Isean, est à partir d’aujourd’hui l’héritière du trône du Royaume des Montagnes et des Neiges. »
J’entrais dans le salon où était Saorsa, elle leva les yeux vers moi, alors qu’elle était penchée sur un texte. Elle était fatiguée, mais elle semblait heureuse. Semblait, je voyais toujours cette ombre dans son regard, l’ombre de tout ce qu’elle avait vécu. J’avalais ma salive avant de m’avancer et de m’installer en face d’elle.
« Comment tu te sens ?
- Bien, et toi ?
- Ce n’était pas trop dur hier ?
- Dur ? Non ! C’était prévu depuis longtemps. »
Elle me fit un petit sourire et tripota sa pierre sans rien dire pendant encore une minute avant de soupirer longuement et d’expliquer, enfin ! La situation :
« C’était un contrat entre les meutes et Aalrika, c’est souvent le cas entre les rois et les meutes en réalité. C’est comme un mariage si tu veux. On a signé que je serais celle qui le transformerait ce qui est un honneur.
- Mais tu as déjà mordu des gens, non ? Ils ne se sont pas tous transformés !
- Principalement parce que je les ai tués avant. »
Elle eut un sourire cruel avant de secouer la tête.
« En réalité, c’est un peu plus compliqué qu’une simple morsure. De base, mordre quelqu’un sans le tuer ce n’est pas anodin, et quand un loup-garou sauvage, ne dominant pas sa part animale comme Itham, pour l’instant, va tuer plus que chercher transformer, ce sont des incidents ou des survies miraculeuses si tu veux. Quand on contrôle son loup, on contrôle la sécrétion qui transforme. Du coup, je peux mordre, sans transformer. Si j’ai envie.
- Pourquoi avoir choisi le flanc ? C’était dangereux.
- Si je le mordais à un endroit trop facile il aurait été montré du doigt. Le flanc c’est bien, ça montre sa force. »
Je n’étais pas convaincue… mais je ne pus lui faire qu’un sourire, d’ici quelque temps elle partirait, je partirais avec elle, faire le tour du royaume.
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