004 Alter et Prita
Avertissement: je ne suis pas responsable des réflexions machistes de mon personnage. Mesdames évitez de me lapider svp.
Alter Pavi était journaliste d’investigation. Du moins c’est ainsi qu'il se présentait. Mais être pigiste à Starcom Vidéo, une petite chaîne privée spécialisée dans les informations « peoples », n’avait rien de glorieux. Il n’était qu’un petit correspondant, sur une petite planète habitée principalement par des mineurs et des sidérurgistes. Ici, il ne se passait pratiquement rien. D'ailleurs, les fameux « peoples » n'y mettaient jamais les pieds.
Son rôle « d'investigation » n'était guère plus valorisant que la tenue de la rubrique des "chiens écrasés". Le bureau local de Starcom Vidéo était surtout chargé de faire quelques compte-rendus des événements intérieurs à Solera. Ils n'intéressaient que les habitants du coin. Par conséquent, ils n'avaient aucune chance d'avoir, un jour, les honneurs de la une d'une des grandes chaînes galactiques. Notre cher journaliste n'avait d'ailleurs qu'à s'en prendre à lui-même, si sa carrière végétait. Il avait eu le malheur de faire, sur son blog, un portrait au vitriol d'une personne importante ce qui n'avait pas plu à l'intéressé. Maintenant, il était blacklisté chez les médias importants.
Trente ans, célibataire, il prenait la vie du bon coté, et si son job actuel risquait fort de ne jamais lui apporter la gloire, au moins son prestige lui facilitait la tâche auprès de la gent féminine. D'ailleurs, son physique était, lui aussi, avantageux : grand brun, les cheveux courts, un visage d'homme d'action, comme on en voit au cinéma. Bref, elles craquaient toutes ! C'est, du moins, ce qu'il disait à ses confrères.
« J’ai rencontré Dieu » Et moi j’ai touché le jack pot !
C’était l’occasion de s’en sortir. Ce mec, cet illuminé, qu’il ait véritablement rencontré Dieu ou qu’il soit fou, peu importait. Il avait besoin de passer un message, Alter Pavi serait là pour le recueillir et le retransmettre à la galaxie toute entière. Ce prophète ne pourrait plus faire un pas sans qu'Alter Pavi ne soit derrière lui, dire un mot sans qu'Alter Pavi ne lui tende un micro, manger sans qu’Alter Pavi ne lui passe le sel, sauter une fille sans qu’Alter Pavi ne soit sous le lit. Désormais, leurs vies étaient liées.
Mais, pour cela, il fallait d'abord arriver à lui parler, à le convaincre de se confier à lui car, visiblement, certaines personnes ne souhaitaient pas que le message divin passe. La chambre d’hôpital était gardée par deux vigiles, fort peu courtois, qui éjectaient promptement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un journaliste ou même simplement un curieux. Mais il en fallait plus pour décourager Pavi. La solution à son problème lui était apparue en compulsant les reportages de ses confrères. L’un d’eux avait réussi à prendre le prophète en photo au moment où la porte de sa chambre s’ouvrait, pour laisser passer l'aide-soignante lui apportant son repas. L’image n’était pas de très bonne qualité, mais on y voyait une infirmière à son chevet et Alter l’avait reconnue sans peine : Il s’agissait de Prita Saldanera, une rousse flamboyante avec laquelle il avait eu une liaison quelques années plus tôt.
Il l’avait rencontrée lors d’une soirée à l’école des infirmières. À l’époque, il passait beaucoup de temps à écumer les lieux propices aux «brèves rencontres». Elle n’était peut être pas major de sa promo, mais elle avait d’autres atouts dans son jeu : à commencer par des formes épanouies et une fantastique chevelure rousse. Son énergie sur une piste de danse était tout aussi remarquable, avec elle « ça bougeait » dans tous les sens du terme. Ils s’étaient fréquentés un bref printemps, puis leurs routes avaient divergé. Elle travaillait à l’hôpital avec des horaires souvent décalés. Quant à lui, il était toujours par monts et par vaux à traquer le scoop. Et puis, ni l’un ni l’autre n’était fidèle !
Un appel téléphonique au service dans lequel était soigné le prophète lui confirma qu’elle était présente. Il suffisait donc de la guetter à la sortie du personnel, lors du changement d’équipe.
Posté sur le parking, notre journaliste attendait donc la providence, tout en fumant une cigarette et en se remémorant les quelques mois passés avec elle. Alter aimait ces moments qui précèdent l’action, le stress positif qui exacerbait ses sens. Un vent chaud venu du désert apportait de grosses bouffées d’air sec. Les véhicules passaient en sifflant sur la voie rapide. Il avait l’impression que le temps s’étirait comme s’il visualisait un film au ralentit.
Une femme sortit du bâtiment, visiblement pressée. Peut-être une mère de famille qui, après sa journée de travail à l’hôpital, allait en commencer une autre avec les tâches ménagères en attente chez elle. Deux hommes la suivaient en discutant calmement, puis trois jeunes femmes (jeunes filles ?) exubérantes qui parlaient fort avec beaucoup de gestes. Il prit la peine de les observer. Deux d’entre elles étaient assez communes, rien pour attirer l’œil du chasseur. La troisième, par contre, avait soigné son look avec des vêtements provocateurs, courts sur les cuisses et décolleté vertigineux, le visage agrémenté d'un maquillage "appuyé". Elle avait visiblement l’habitude d’être au centre du monde et de considérer ses collègues comme des subalternes. Alter sourit en se disant qu'il ne devait pas se laisser tenter. Ce genre de fille n'est bonne que pour les embrouilles. Après avoir tiré une dernière bouffée, il jeta son mégot par terre et l’écrasa avec le pied. Fumer en public était rigoureusement interdit et risquait de lui coûter cher, mais cela faisait partie du personnage qu'il s'était créé et qu'il incarnait avec beaucoup de décontraction :
« C'est interdit de fumer ici ? Encore une connerie de nos édiles. Bientôt, on aura plus le droit de pisser contre les murs ! »
Lorsqu'il prononçait cette tirade, il soulevait l'indignation de la gent féminine pour mieux la captiver ensuite ; les jeunes femmes adorent être choquées et celui qui ose peut tout obtenir. Telle était sa devise.
Quand il releva la tête, celle qu'il attendait était là, à dix mètres de lui. Il fit deux pas dans sa direction. Elle le regarda, fronça les sourcils, puis sourit en s'approchant.
— Alter ! Quelle surprise ! Mon petit journaliste préféré qui fait le pied de grue devant l’entrée de service, comme au bon vieux temps.
Elle lui posa un baiser rapide sur les lèvres. Le parfum de la jeune femme éveilla en lui des tas de souvenirs.
— Ne me dis pas que c’est moi que tu attends ?
— Mais si, c’est bien toi. Qui d’autre pourrais-je avoir envie de retrouver ici ?
La jeune infirmière s'écarta de lui pour mieux l'observer.
— Flatteur….ou plutôt baratineur. Mais je ne me laisserai plus prendre à ton bagout. Alors je n’ai qu’une question : combien ?
Alter la regarda avec des yeux ronds. Elle semblait fort satisfaite de l'avoir désarçonné en lui coupant les effets qu'il avait préparés.
— Combien quoi ?
Elle frappa son talon contre le sol d’agacement.
— J’ai horreur que l’on me prenne pour une conne. Cela fait bien trois ans que l’on ne s’est pas vu et tu débarques comme ça, la bouche en cœur, pour me faire croire que tu as seulement envie de parler du bon vieux temps. Alors je renouvelle ma question : combien es-tu prêt à me donner pour que je t’aide à interviewer le prophète ?
Alter faillit se lancer dans un numéro de séduction, en invoquant leur passé, les sentiments qu’ils avaient eu l’un pour l’autre, mais le regard de la jeune femme l’arrêta net. Il faisait fausse route et elle était au courant de tout ce qu’impliquait la présence du prophète dans son service. Il décida de jouer franc-jeu.
— Tu as déjà eu d’autres propositions ?
Elle fit oui de la tête tout en le regardant avec un sourire moqueur.
— Je peux te demander qui et combien ?
Elle fit non de la tête.
Alter soupira. Il hésita à avancer un chiffre, sachant fort bien que certains de ses confrères disposaient de trésoreries bien plus abondantes que lui. Pris d’une inspiration il proposa :
— Si tu es libre je peux t’emmener au restaurant. Qu’en dis-tu ?
— Tu veux me faire encore ton numéro de tombeur de ses dames…
— Non, mais je trouve sordide de discuter d’argent comme ça dans un coin de parking.
Prita hocha la tête, visiblement séduite.
— Ça pourrait se faire. Mais je voudrais d’abord passer chez moi pour me changer.
— Pas de problème. Je peux t’emmener, j’ai droit à un véhicule de fonction. Tu habites toujours cours du Progrès ?
— Tu t’en rappelles ? Non, j’ai déménagé, mais c’est dans le même quartier.
Ils montèrent dans une camionnette. La jeune femme fit la moue en découvrant l’intérieur spartiate du véhicule.
— J’ai l’impression que le carrosse n’a pas attendu minuit pour se transformer en citrouille.
Alter rit.
— C’est un engin destiné aux transports urgents d'équipes et de matériel de tournage sur les lieux des événements. Je n’ai pas droit aux limousines des grands chefs.
Il mis le contact et le véhicule avança vers la sortie du parking.
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