007 Le Prophète

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Devant l'hôpital, la situation était chaude. Les manifestants scandaient «libérez le prophète», en tapant sur des bidons pour scander la mesure. Le surnom de "Prophète" avait été utilisé la première fois par un mineur, lors d'une interview télévisée, et tout de suite il avait été adopté dans les médias. Les malades, de leur coté, étaient collés aux fenêtres de leurs chambres pour voir ce qui se passait dehors.

Les autorités, débordées, décidèrent d’organiser une conférence de presse afin de désamorcer la crise.

Tout d’abord, le directeur de l’hôpital lu un compte-rendu sur la santé de son patient. Il allait aussi bien que possible mais il revenait de très loin. Son état général restait faible, il lui faudrait encore un certain temps pour reprendre des forces. Ses blessures étaient bénignes et il souffrait principalement de fractures à l’épaule et au poignet droit. En définitive, il avait surtout besoin de repos et de tranquillité mais cela n’excluait nullement quelques visites pas trop longues.

Le responsable de la sécurité lui succéda, expliquant que l’isolement, dans lequel le rescapé avait été maintenu jusque là, n’était justifié que par son état de santé. Il était évident, qu’après sa déclaration télévisée lors de son sauvetage, beaucoup trop de personnes voulaient le rencontrer.

Enfin le rescapé lui même fit son apparition dans un fauteuil roulant. Il était pâle, mal rasé, le bras en écharpe et une perfusion au bras. La surprise venait de la personne qui manœuvrait le fauteuil puisqu’il s’agissait d’Alter Pavi. Ses confrères firent grise mine, sentant le coup tordu.

Le rescapé prit la parole d’une voix faible et mal assurée. Il expliqua que tout les malentendus étaient dissipés entre l’administration et lui. Il reconnaissait qu’il était encore trop faible pour recevoir tous ceux qui désiraient le rencontrer. Par conséquent, il chargeait Alter Pavi d’être son porte-parole durant sa convalescence. Un brouhaha monta de l’assistance, des questions fusèrent de partout, dans une cacophonie indescriptible. Alter se pencha et lui dit quelques mots à l’oreille. Le rescapé leva la main gauche et un semblant de calme revint dans la salle. Une journaliste en profita pour poser sa question dans un silence relatif.

  — Pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre message?

Le rescapé baissa la tête et se concentra longuement avant de parler. Cette fois le silence était…«religieux».

  — Quand je suis descendu dans le puits numéro quatre, je n’étais qu’un simple mineur qui allait gagner sa vie en pratiquant un métier dur et dangereux… Lorsque j’en suis ressorti, beaucoup plus tard, je n’étais plus le même homme: ma vie ne m’appartenait plus. J’avais maintenant une mission. Je veux que les gens sachent qu’à partir de maintenant toutes mes forces, jusqu’à mon dernier souffle de vie, seront consacrées à témoigner de ce que j’ai entrevu, ressenti, compris lorsque j’étais prisonnier au fond du puits.

Comme il se taisait pour reprendre son souffle, un murmure monta de l’assistance. Il leva à nouveau la main et repris d’une voix plus grave et plus ferme.

  — Écoutez-tous ! Écoutez et comprenez. Vous êtes dans un tunnel long et sinueux. Vous ne voyez pas la lumière de la sortie à cause des virages. Vous êtes dans l’obscurité et vous vous heurtez à la paroi. Il vous semble ne pas y avoir d’issue. Pourtant, après une longue acclimatation, vos yeux vont percevoir une vague lueur au delà du virage qui vous masque la sortie. Vous avancez et, merveille, un petit peu de jour resplendit au loin. Vous marchez alors de plus en plus fermement et finalement vous aboutissez dans la lumière. Rappelez-vous : les ténèbres ne sont jamais assez obscurs pour qu’il n’y ait pas une lueur, un reflet, qui vous permette de garder l’espoir. Pour ceux qui voudront bien me suivre, je montrerai le chemin dans le noir. Mes yeux détecteront pour eux l’infime lumière, ma bouche leur dira combien elle est belle et douce et bientôt ils verront eux aussi.

Le rescapé, maigre et tassé au fond de son fauteuil roulant, avait soudain pris la stature d’un géant et tous l’écoutaient, médusés. Quand il se tut, il y eu un grand silence, puis les journalistes retrouvèrent leurs automatismes et lancèrent à nouveaux leurs questions à la cantonade. Mais Alter pilotait déjà le prophète en dehors de la salle et ils s'égaillèrent afin d’enregistrer leurs commentaires.

Le Président et Donerio Dornier étaient devant leur mur d’images, assis dans des fauteuils confortables, en train de siroter des verres de scotch ambré.

Le Président était rêveur, Donerio lui plutôt contrarié.

  — C’est un vrai c... ou bien il fait semblant d’après toi ? grogna-t-il.

  — Hum c’est beau ce qu’il dit…Un peu littéraire peut-être.

Un sourire amusé flottait sur les lèvres du Président. Son bras droit reprit :

  — Ce sont des niaiseries surtout. On raconte une belle histoire, on fait des promesses que personne ne peut tenir et on a le monde entier qui bave d’admiration à ses pieds.

Le Président fronça les sourcils.

  — Qu’est-ce qui t’énerve tant ? Tu ne vas pas me faire croire que ce prophète aux petits pieds t’inquiète.

  — Je suis allé le voir comme prévu. J’ai trouvé en face de moi un homme simple, sans instruction. J’étais sûr qu’il n’avait rien à dire, qu’il n’était même pas capable de dire quelque chose d’intéressant. Et voilà qu’il se met à parler comme un livre. Alors ou il s’est foutu de moi dans les grandes largeurs, ce qui m'étonnerait, ou il est manipulé.

  — Le journaliste de StarCom ?

  — Ça se pourrait bien. C’est lui qui a recueilli ses premiers mots au sortir de la mine, c’est lui qui a réussi à contourner notre blocus et maintenant c’est lui qui parle par la bouche du prophète.

  — Il est dangereux tu crois ?

Donerio haussa les épaules.

  — De deux choses l’une : ou il profite de l’occasion pour booster sa carrière, ou il a de grosses ambitions en dehors de son métier.

  — Je penche pour la deuxième solution.

  — Moi aussi.

Le président resta songeur quelques instants avant de poser sa question :

  — Tu crois qu'il est dangereux ?

  — Pas forcément. Mais, à cause de lui, cette histoire de vision de Dieu risque de prendre des proportions qui pourraient finir par être gênantes.

  — Alors tu vas lui rendre une petite visite à lui aussi ?

  — Non, toi.

Etonné le président pointa un doigt vers sa poitrine.

  — Moi ? Mais mon rôle est de mettre pas les politiques, pas les petits trublions.

  — C’est un petit trublion mais il se croit peut-être plus que ça. Si je me présente à lui, il va très mal le prendre. Je vais avoir droit aux couplets sur la liberté de la presse, etc… En plus il s’y attend. Si c’est toi, au contraire, il va être impressionné, peut-être déstabilisé, et sera plus sensible à tes arguments.

  — Quels arguments ?

  — Laisser croire aux gens qu’il y a une lumière au bout du tunnel OK, tant qu’ils ne descendent pas dans la rue pour la trouver.

  — On peut faire le bonheur des gens en leur donnant l’espoir, mais on peut aussi faire leur malheur en les entraînant dans de mauvais combats.

  — Très bien, encore mieux même. Tu apprends vite. Alors tu vas aller le voir ?

Le président émis un petit rire.

  — Bien sûr, et je pense même que cela va beaucoup m’amuser. Cependant, tout ça me fait penser à un sujet de philo au lycée pour lequel j’avais eu une très bonne note. Nous devions disserter sur une maxime de George Bernard Shaw. Je l'ai toujours en mémoire. Je cite : "L'homme raisonnable s'adapte au monde; l'homme déraisonnable s'obstine à essayer d'adapter le monde à lui-même. Tout progrès dépend donc de l'homme déraisonnable". A l'époque j'étais persuadé que je serai un homme déraisonnable. Je crois que j'avais raison, sauf que mon but n'a jamais été le progrès mais le pouvoir. J’espère que ce journaliste n’est pas un homme déraisonnable.

  — Moi aussi.

Donerio se leva pesamment et, songeur, se dirigea lentement vers la porte. A peine celle-ci refermée, le Président zappa le mur d’images sur un nouveau canal. La chambre du prophète apparue, filmée par une caméra cachée dans un coin du plafond. Le Prophète était allongé dans son lit, visiblement épuisé. Une infirmière à la chevelure d’un roux flamboyant s’activait auprès de lui, tandis que le journaliste, assis à son chevet, lui parlait calmement. Le Président ne pris pas la peine de monter le son. En présence de l’infirmière, il était peu probable que des secrets soient échangés. Et, de toute façon, il avait une équipe qui surveillait la chambre vingt quatre heures sur vingt quatre et qui lui faisait des comptes-rendus réguliers. Donerio était malin mais il était loin de tout savoir.

« A bientôt Monsieur Pavi, murmura le Président. Je crois que vous allez avoir une drôle de surprise. ».

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