015 Simon Temton

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Le siège du ministère planétaire de l’industrie était un bâtiment imposant de style néo-industriel, c’est à dire qu’il mélangeait, avec un mauvais goût parfait, l’aspect barbare des grands ensembles industriels du 19eme siècle avec les matériaux modernes de l’architecture contemporaine. La façade principale comtenait une inclusion d’un haut-fourneau du milieu du 20eme siècle dans un revêtement translucide jaune. Bien sûr, le haut-fourneau n’était pas un vrai : il ne s'agissait que d’une silhouette de faible épaisseur, mais le trompe l’œil était réussi et l’aspect archaïque de la technologie ne choquait pas vraiment sur cette petite planète reculée, où les techniques utilisées n’étaient pas si éloignées que ça des débuts de l'ère industrielle.

C’est d’ailleurs ce qui désolait Simon Temton, le ministre en exercice. Il avait espéré que, sous sa gestion, Solera allait connaître un renouveau technologique, mais il s’était heurté aux contingences budgétaires des grandes compagnies des mines et de la sidérurgie, qui entendaient exploiter à bas coût les ressources naturelles, quitte à surexploiter une main d’œuvre prise en otage, dans un environnement de chômage endémique. Et maintenant que la catastrophe prévisible avait fini par se produire, on lui demandait de résoudre la crise. Ils étaient loin ses rêves de gloire, lui qui aspirait à faire partie du conseil galactique, et pourquoi pas plus encore. Décidément, lorsque l’on était un cul terreux de la galaxie, il était très dur de faire carrière.

Il soupira et appuya sur un bouton sur le bord de son bureau. La surface, qui imitait le bois, devint translucide, et des icônes apparurent. Il en effleura un de la main, et avec dextérité il arpenta les méandres informatiques, jusqu’à obtenir un ensemble de documents textes et graphiques. Pendant un moment, il compulsa les données, la tête dans les mains. Nombre de morts, de blessés, importance du chômage technique, que des mauvaises nouvelles. Un petit timbre discret retenti. Sur le coin du bureau l’image de sa secrétaire s'afficha.

- Monsieur le Président de la société intergalactique des mines pour Solera est arrivé.

Il poussa un profond soupir.

- Faite-le entrer

D’un geste, il obscurci son bureau qui repris son aspect de bois verni. La porte de la pièce s’ouvrit et la secrétaire introduisit le visiteur.

Le protocole imposait d’accueillir à la porte de son bureau les hôtes de marques, et de rester assis pour les autres. Mais Simon Temton était impressionné par le Directeur Général des mines de Solera, car celui-ci venait d’une planète bien plus importante : toujours le complexe du provincial devant le citadin. Il transigea et fit quelques pas pour aller à sa rencontre.

- Monsieur le Président de la société des mines, comment allez-vous ?

- Monsieur le Ministre, mes hommages. Je vais bien, je vous remercie. Enfin, je veux seulement dire bien mieux que mes affaires.

Il eut un petit rire. Les deux homme se serrèrent cordialement la main, hypocrites comme le sont toujours les politiques et les patrons, lorsqu'ils vont entamer un bras de fer. Simon Temton invita le Président à s’asseoir, puis reprit sa place derrière son bureau.

- Je ne dirai pas que je suis heureux de votre visite, mais il était de toute façon important que nous fassions le point.

- Je suis à votre disposition.

Le Président affectait la décontraction, alors que Simon Temton était très crispé.

- Heu... Je crois que c'est vous qui avez sollicité cet entretien. Je suppose donc que vous avez des choses à m'apprendre.

Le sourire carnassier du président s'élargit.

- En fait, je pensais que vous seriez désireux de faire une mise au point avec moi sur la situation actuelle. Nous avons certes, sur le sujet, des vues, ou plutôt des perspectives, différentes, mais les événements commandent et notre marge de manœuvre à tous les deux est fort réduite.

Simon Temton attendit la suite, mais le président laissa le silence s'éterniser, pour le forcer à reprendre l'initiative du débat. Dans ce domaine, il était le plus fort, et le ministre le savait bien. En soupirant, il se décida à entrer le premier dans le vif du sujet, quitte à se mettre d'entrée en position de faiblesse.

- Dans un contexte économique disons... morose, l'arrêt de la production de votre mine, et ipso-facto le chômage en découlant, ont un retentissement sur la santé de notre économie. Vous comprendrez donc mon inquiétude à ce sujet. Je n'irai donc pas par quatre chemins : quelles sont les perspective de reprise de votre activité; espérez-vous pouvoir la relancer bientôt ?

- Voilà une question bien directe…

- Ne perdons pas notre temps en bavardages, alors que la situation est trés préoccupante. Il n’y a pas que les mines qui aient des problèmes : l'activité sidérurgique est par exemple liée à votre production de minerai. Comprenez que tout cela m'inquiète quelque peu, et que le gouvernement de Solera veut éviter que cette catastrophe industrielle ne provoque, par effet domino, un cataclysme économique.

- Je suis désolé de devoir vous décevoir, mais la reprise de notre activité s’annonce difficile. Les sites un et trois devraient pouvoir être exploités à nouveau rapidement, quand au deux et au quatre, des travaux de sécurisation sont indispensables. Il me paraît même douteux que le quatre puisse rouvrir. Je pense donc avoir du travail pour le tiers du personnel que j’employais auparavant.

- Le tiers seulement ? Pourtant il vous reste deux sites sur quatre, trois bientôt.

- Oui, mais ce sont ceux qui produisent le moins. Et ce n’est pas tout. Pour les rouvrir, j’ai besoin d’un climat social propice. En ce moment, il y a un peu trop d’agitation, et je crains des manifestations qui gêneraient, voire empêcheraient, la reprise du travail, dès que le plan de licenciement sera connu.

« Nous y voilà, pensa le ministre. Je viens de lui demander de remettre en route ses mines, et il me renvoie le problème dans les pattes, en parlant du climat social. Tu parles, le climat social ! Il y est quand même pour quelque chose »

- Mon cher ami, le climat social n’est certes pas …«favorable», mais, pour une fois, les préoccupations populaires sont plus centrées sur les conditions de travail que sur le pouvoir d’achat en général. Compte tenu de ce qui s’est passé, je pense que vos employés ont besoin avant tout d’être rassurés. Travailler, ils le veulent bien, ils en ont besoin de toute façon. Mais si c’est pour y rester… Il y a eu quand même un peu trop d’incidents ces temps derniers. Il faut les comprendre.

Le Président eu un sourire crispé.

- Mes mines n’ont pas le monopole des...«incidents» comme vous dites. J’ai entendu dire que les syndicats des aciéries considéraient leurs conditions de travail comme d’un autre âge, statistiques des accidents à l’appuie. Je veux bien faire un effort en ce sens, mais je ne peux pas à moi tout seul résoudre tous les problèmes sociaux de la planète.

Le ministre poussa un profond soupir.

- Depuis que j’ai hérité de ce portefeuille, je ne cesse de tirer la sonnette d’alarme. Il était évident que, socialement parlant, nous allions dans le mur. Ceci tout simplement parce qu’aucun acteur important de l’économie de cet planète n’a la volonté de manager son entreprise d’une manière moderne et ambitieuse. Je n’ai constaté aucun investissement important, depuis que je suis à ce poste. Vous nous imposez tous, et quand je dis "tous" je parle des entreprises majeures de notre économie, la votre comprise, vous nous imposez donc tous une industrie moyenâgeuse. Ne comptez pas sur moi pour gouverner d’une manière moyenâgeuse !

Le sourire poli s’effaça de la bouche du Président. Son regard était cette fois plein de colère.

- Monsieur le Ministre, dites-moi exactement ce que peut espérer un gouvernement comme le votre, en entrant en conflit avec les acteurs majeurs de l’économie de cette planète, pour reprendre votre expression. La société que je représente, n’en a rien à foutre de ces petites mines minables. La Société galactique de l'industrie sidérurgique se moque bien de la production anecdotique des usines locales. Pour toutes nos sociétés, nos implantations ici nous rapportent plus de soucis que d’argent. Alors, ou nous continuons à trouver une attitude compréhensive auprès des responsables politiques, ou bien nous nous retirons de Solera, pour notre plus grand bien.

Le visage du ministre vira d’un coup au rouge.

- Vous débarquez ici avec des méthodes d’un autre âge, vous vous en mettez plein les poches pendant des années, et ensuite au revoir, vous reprenez vos billes et vous nous laissez dans la merde. N’oubliez pas qu’une bonne partie de la population a émigré ici, parce que vous leur proposiez du travail. Si je me souviens bien, vous avanciez même l’argent du voyage et de l'installation familiale. Vous avez la responsabilité morale de ces gens !

Le Président éclata de rire.

- Monsieur le ministre, ne confondez pas. La responsabilité morale ne fait pas partie de notre vocabulaire. La seule responsabilité que nous reconnaissons, est juridique. Nous avons fait signer des contrats de travail à des émigrants, prévoyant de leur avancer l’argent du voyage, certes, mais en aucun cas un emploi à vie, ni des conditions de retour à la case départ en cas de problème. Ça, c’est leur affaire, pas la notre. Vous, par contre, lorsque vous faites campagne pour être élu, vous prenez des engagements moraux. Si vous ne les tenez pas, vous serez sanctionné par vos électeurs lors du scrutin suivant.

Le Président s’était penché en avant, brandissant un doigt accusateur vers son interlocuteur. A la fin de sa tirade, il resta une seconde immobile, puis se laissa aller doucement contre le dossier, reprenant son allure décontractée. Le ministre était devenu très pale. Un ange passa.

- Monsieur le Ministre, il ne sert à rien de nous disputer. L’un comme l’autre, nous ne sommes que des instruments. Si vous voulez survivre aux prochaines élections, il vous faut résoudre cette crise. Quand à moi, personnellement je préférerais ne pas être celui qui ferme les mines. Ce ne serait quand même pas très bon pour la suite de ma carrière. Vous voyez que nous avons des intérêts communs.

- Et, après avoir soufflé le chaud et le froid, vous allez me proposer votre solution sur un plateau, je suppose ?

Le Président eu un petit rire.

- Ce n’est pas si simple. Pour le moment, je ne peux pas faire grand chose. Il est impératif que le travail reprenne au plus vite, sinon la décision de fermeture viendra de bien au-dessus de moi. Et très vite. Par contre, une fois la situation financière revenue à un semblant de normalité, nous pourrions nous associer à des initiatives disons …sociales.

- Qu’entendez-vous par-là ?

- Mais, c’est à vous de me faire des propositions. Voyez cela avec vos collègues du gouvernement. De mon coté, je m’engage à inciter mes alter-égaux des autres entreprises à se montrer…solidaires. Le tout, c’est que nos ouvriers comprennent que l’on prend soin d’eux, qu’ils ne sont pas abandonnés. Tenez, un exemple : que diriez-vous de la création d’un centre de soins pour les infirmes, suite à des accidents du travail. Le financement pourrait être réparti entre le régime de santé, la solidarité sociale, et bien sûr les employeurs. C’est une idée mais nous sommes ouverts à toutes les suggestions.

- Et à quelle hauteur pourriez-vous participer ?

- Cela dépend. Il serait peut-être judicieux de revoir, à la baisse, certaines taxes qui nous accablent, et qui ont considérablement augmenté ces dernières années.

- Autrement dit, vous seriez prêt à investir généreusement ce qui ne serait en fait qu' un cadeau fiscal du gouvernement.

- Ne soyez pas négatif. Si l’initiative vient de vous, votre cote va remonter. Et les élections ne sont pas loin.

- Je ne gouverne pas avec des sondages.

- Réfléchissez-y. Vous pourriez très bien ne plus gouverner du tout.

Le Président se releva souplement. Le sourire était revenu sur ses lèvres.

- Monsieur le Ministre, je vous remercie de votre écoute, et j'attends avec impatience vos propositions. Ne me raccompagnez-pas, je connais le chemin.

Simon Temton le regarda partir sans réagir. Les idées se bousculaient dans sa tête. Ce qui était sûr, c’était qu’il n’avait jamais été humilié à ce point, et par un petit con prétentieux en plus.

Il secoua la tête. Non, le Président était peut-être infatué de sa personne, mais il n’était certainement pas "con". Dans beaucoup de petites planètes, les grands patrons détenaient le vrai pouvoir, par le chantage économique. En abandonnant leurs entreprises sur celle-ci, leurs sociétés ne perdraient pas grand chose. Alors ils brandissaient cette épée de Damoclès au dessus de la tête des dirigeants politiques, pour dicter leur propre loi. Le moyen âge politique, le moyen âge économique, le moyen âge industriel. Voilà le pauvre destin d’une pauvre planète dans un coin paumé de la galaxie.

De rage, il tapa du poing son bureau. En même temps, il sentit le coté dérisoire de son ressentiment. De toute façon, les choses se feraient ainsi, qu’il le veuille ou non. A moins que…

Il appuya sur un bouton de son bureau. L’image de sa secrétaire réapparut dans un coin de son plan de travail.

- J’aurais besoin de rencontrer discrètement celui que les médias appellent « le prophète », ou à défaut le journaliste qui lui sert de porte parole. Discrètement, j’insiste.

- Bien Monsieur.

Il interrompit la liaison et se cala dans son fauteuil, songeur. L'idée qu'il venait d'avoir était audacieuse, mais si cela pouvait marcher, il porterait le combat chez l’adversaire. Et là, ce serait lui qui aurait l’initiative.

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