024 Qui se ressemble...
Le « Galaxie Royale » faisait partie d'une chaîne de palaces, généralement un seul par planète sauf sur les plus peuplées. Ici le luxe était la règle. Luxe dans la surface de la suite, dans la qualité esthétique du mobilier et enfin dans les prestations hôtelières. Pour Hugues c'était une chose normale, quasiment habituelle, de descendre dans tel établissement. Il était célibataire, gagnait bien sa vie et comme sa clientèle était très aisée, il avait pris l'habitude d'avoir un standing de vie en conséquence. Il profitait également de l'occasion pour s'inspirer de ce qu'il voyait afin d'améliorer la qualité du service sur son yacht.
Pourtant, même si habiter dans une suite luxueuse d'un grand palace tel que celui-ci paraît être une situation envieuse, Hugues commençait à trouver le temps long. Solera n'offrait pas les prestations touristiques ou culturelles auxquelles il était habitué. Il avait certes la possibilité de se rendre à la piscine à moins qu'il ne trouve un partenaire pour le tennis. La dernière fois qu'il avait eu l'occasion de taper dans une balle, son adversaire était si faible qu'il avait du retenir son bras en permanence pour ne pas l'humilier, ce qui n'est guère gratifiant. Restait le golf mais le temps n'était pas favorable aux activités d'extérieur. La meilleure solution était donc de se plonger dans la lecture d'un bon livre. La bibliothèque de l'hôtel en possédait d'intéressants sur l'histoire de la colonisation des planètes récemment découvertes. Ce serrait mieux que rien, mais enfin il aurait aimé assister par exemple à un concert de musique classique de qualité. Malheureusement, ils étaient rares, leurs programmes peu audacieux et les interprètes... ne soyons pas méchant, disons de seconde zone.
Son oreillette l'avertit que l'on cherchait à le joindre depuis l'accueil de l'hôtel.
— Monsieur Milton? Monsieur le président de la société intergalactique des mines sur Solera désirerait vous rencontrer.
Hugues aurait été stupéfait s'il n'avait pas été mis en garde par Maroco. Que pouvait bien lui vouloir un tel personnage? La curiosité l'emporta.
— Je descends tout de suite. Vous avez un salon de libre?
— Bien sûr Monsieur, nous installons votre visiteur dans le salon « Orion ».
— Offrez-lui du champagne pour le faire patienter. Celui que je prends habituellement, pas la piquette fabriquée sur cette planète.
— Bien Monsieur.
Tout en enfilant un costume en rapport avec son statut social il se demanda comment le président avait pu faire pour le retrouver. Savait-il ses liens avec les trois autres ou s'agissait-il d'autre chose ? Il haussa les épaules. Peut-être venait-il tout simplement en tant que client potentiel.
En arrivant dans le salon « Orion », il eut un choc en le voyant. Il était très jeune, beau comme un archange, et Hugues savait que son pouvoir était comparable à celui d'un archange. Vêtements d'une grande classe portés avec décontraction, mains parfaitement manucurées, cheveux blonds mi-longs très fin. Hugues se sentit pris de vertige. C'est avec effort qu'il se présenta.
— Hugues Milton, à votre service.
— Antony Firmlage mais les gens m'appellent « Président ».
Il ajouta d'une voix plus douce:
— Mes vrais amis, eux, ont le droit de m'appeler Tony.
Hugues répondit d'une voix blanche:
—J'espère avoir ce privilège un jour.
Les deux hommes se turent et s'observèrent. Le président souriait mais son regard, lui, était inquisiteur, jaugeant son vis à vis avec curiosité. Les deux hommes s'étaient reconnus et n'avaient nul besoin de mots pour se comprendre. Ils connaissaient le chemin et en savaient l'issue. Ce fut le président qui repris l'initiative de la discussion.
— J'étais venu pour des motifs qui m'apparaissent maintenant futiles. Mais respectons les usages. J'ai entendu dire beaucoup de bien des prestations que vous offrez avec votre « Étoile filante », en particulier par une de mes relations, le directeur régional des aciéries de Solera. Il est revenu enchanté de sa croisière, pour son anniversaire de mariage si je me souviens bien.
— C'est toujours un grand plaisir pour moi de pouvoir offrir mes meilleures prestations aux clients qui savent les apprécier.
Le président soupira.
— Malheureusement le moment est vraiment mal choisi pour moi : vous n'êtes pas sans savoir les difficultés rencontrées dans l'exploitation des mines. Peut être aurais-je besoin de vos services si je devais quitter précipitamment cette planète. J'ai horreur des transports de bestiaux que sont devenus les vols réguliers, même en classe affaire.
— Pour le moment je suis en attente du retour d'un client mais tout est envisageable, c'est une question de timing.
Le Président se cala dans son fauteuil et dégusta une gorgée de champagne. Il ferma les yeux pour mieux en apprécier le bouquet puis il regarda Hugues en souriant.
— Fameux ! C'est aussi ma cuvée préférée. Décidément nous avons des goûts communs. A propos de votre client actuel, je me suis laissé dire qu'il s'agissait de « sœur Ceyla »?
Le visage de Hugues se ferma.
— Vous ai-je laissé entendre une chose pareille? Aimeriez-vous que je clame tout haut que vous désirez quitter rapidement cette planète?
— Ne vous fâchez pas. Je sais que la discrétion fait partie intégrante de votre métier et que vous n'avez pas envie de parler de votre cliente avec moi. Mais, voyez vous, je trouve qu'il se passe décidément de drôles de choses ici, depuis la catastrophe de la mine. La naissance d'un mouvement... « spirituel », appelons-le comme ça, est déjà en soi un événement surprenant. Je n'aurais jamais cru que l'on puisse rencontrer Dieu au fond de mon puits numéro quatre!
Hugues le regarda surpris avant de comprendre l'ironie fine qui enveloppait son discours. Décidément le président était quelqu'un de fascinant à plus d'un titre.
— Mais ce n'est pas tout : une authentique princesse noire débarque au beau milieu de tout ça, pour donner une caution supplémentaire au prophète, qui n'en avait pas vraiment besoin. J'avoue être fasciné par ce phénomène et ses implications dans la vie politique et sociale de Solera. Vous savez que j'ai ce que l'on appelle « le bras long ». Et dans mon cas, je vous assure qu'il est « très long ». Alors je rassemble le maximum d'informations sur tout cela et j'espérais, en venant ici, que vous pourriez m'en dire plus sur votre cliente, sachant que le principal, à savoir son identité, m'étais déjà connue.
Hugues hésita et pour s'octroyer le temps de la réflexion but à son tour un peu de champagne.
— Malgré votre plaidoyer je ne souhaite pas transmettre des informations qui pourraient peut être porter du tord à ma cliente. Mais il se trouve que je ne sais rien de bien palpitant. Il s'agit d'une princesse, vous l'avez déjà dit, très bien élevée, cultivée, raffinée même, mais peu bavarde. J'ignorais tout de ses projets et j'ai été très surpris en regardant les informations télévisées.
— Hum... Bien sûr. Mais vous m'avez dit que vous l'attendiez. Elle ne compte donc pas rester sur Solera?
— En me quittant elle n'en savait rien elle-même : ou elle repart rapidement, ou elle reste et me libère d'une attente... payante bien entendu. Mais en quoi cela vous intéresse-t-il?
— Diriger la succursale d'une multinationale c'est tout d'abord faire de la politique. Et faire de la politique, c'est être au courant de tout ce qui fait la vie de cette planète. Le prophète me surprends et l'ampleur que prends son mouvement m'inquiète. Alors j'enquête pour ne pas me faire dépasser par les événements.
Hugues secoua la tête en signe de compréhension. Un silence s'installa entre les deux hommes qui burent encore une coupe de champagne pour garder une contenance. Le président se leva le premier.
— Je vous remercie de votre patience et de votre hospitalité. Je crois que je vous ai dérangé pour pas grand chose et j'en suis désolé. Mais au moins notre rencontre m'aura valu le plaisir de vous connaître.
Hugues était resté volontairement assis.
— Ne partez pas si vite. Vous louez mon hospitalité mais vous n'avez guère eu le temps de l'apprécier. Puis-je me permettre de vous inviter à partager mon repas ? Les meilleurs plats ne peuvent être appréciés qu'en présence d'un connaisseur et je suis las de me retrouver seul devant mon assiette.
Un sourire voltigea sur les lèvres du président.
—Si vous présentez cela comme un service, je ne peux pas refuser votre invitation.
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