039 Tractations
Simon Temton se présenta de bonne heure au Ministère de l’Industrie. Le Président de la Société Intergalactique des Mines lui avait téléphoné, à son domicile et à une heure indue. Il voulait le rencontrer d'urgence, pour faire le point sur la situation dans la mine. Sans doute pour l'amadouer, il lui promettait de bonnes nouvelles.
En examinant rapidement les divers renseignements qu’il possédait, il doutait fort qu'elles puissent être si bonnes que ça. Les mineurs avaient bien sûr appris la fermeture probable des mines. Logiquement, ils avaient décidé de recourir à la force, afin de faire pression sur leur employeur comme sur le gouvernement. Pour cela, on pouvait faire confiance à ce jusqu’au-boutiste de Tenos. Le ministre de l'industrie n'avait donc pas été étonné par la montée de la violence.
Par contre, après une nuit d’affrontements, la situation semblait très confuse sur le site de la mine. A priori, les mercenaires engagés par le président avaient réussis à résister à l'assaut, ce qui était plutôt une surprise vu le nombre d'individus qu'ils avaient face à eux.
Si cette situation perdurait, le ministre des armées serrait forcé d'intervenir pour rétablir l'ordre. Ce serait la victoire du président Firmlage. La fermeture définitive des mines serait validée, cela allait être une catastrophe pour l’économie de Solera. Tel était le bilan des derniers événements.
Simon Temton se demandait s'il n'avait pas lui-même joué à l'apprenti sorcier. Ce Tenos était vraiment un homme dangereux, y compris pour lui-même. L'armer n'était peut-être pas une idée si brillante que ça. Et comment se faisait-il que les mineurs ne se soient pas rendus maîtres des lieux comme prévu ?
Le Président se présenta au rendez-vous avec une ponctualité affectée. Une fois de plus, Simon Temton admira avec envie la qualité de son costume et l’élégance naturelle avec laquelle il le portait. Il remarqua aussi que le président ne semblait pas vraiment affecté par la situation. Il avait même l’air de s’en amuser. Après la vigoureuse poignée de main habituelle, il s'assit confortablement dans le fauteuil que son hôte lui désignait. Il laissa s'installer un long silence, pour déstabiliser son vis-à-vis, puis il prit la parole, sur un ton de conversation mondaine, assez décalé ici.
— Monsieur le Ministre, la situation semble grave. Mais je vous assure qu’il ne faut pas se contenter de la juger superficiellement. Je viens vous demander de l’aide, mais je suis capable de la payer, et plus cher que vous ne pourriez l’espérer.
— Permettez que je ne partage pas votre optimisme. La fermeture des mines est une catastrophe économique. La réaction des mineurs est une vraie guerre civile, et vous me promettez le bonheur pour demain ! En plus, vous annoncez pouvoir payer cher mon aide, alors que votre filiale de Solera n'est quasiment plus solvable!
Le président balaya les arguments qui lui étaient opposés, d'un geste négligeant de la main.
— Procédons par ordre. Tout d’abord, ce qui se passe en ce moment est très ennuyeux. Il serrait souhaitable que le calme revienne rapidement. Une partie de mon personnel est prise en otage. Je demande donc l’intervention immédiate de l’armée, pour rétablir l’ordre, un ordre qui est de la responsabilité de votre gouvernement, je vous le rappelle.
Le ton avait changé: il s'agissait quasiment d'un ordre, presque d'une menace. Simon Temton bondit sur l'occasion pour essayer de se débarrasser du problème.
— Si vous voulez l’armée, adressez-vous au ministre compétent. Mon domaine d’activité c’est l’industrie, je vous le rappelle.
Le président eut un petit sourire plein de sous-entendus.
— Je sais. Mais c’est avec vous que je souhaite négocier, personne d'autre.
— Négocier quoi ? Votre entreprise est à l'arrêt, définitivement si j'ai bien compris. Pour pouvoir négocier, il faut avoir quelque chose qui intéresse l'autre partie.
Le président ne fut pas déstabilisé, bien au contraire. Il se pencha en avant, brandissant son index pour donner plus de poids à ses paroles.
— Suivez-moi bien. Vous allez convaincre votre collègue des armées, de restaurer l’ordre sur le site des mines. Parallèlement à cela, nous allons signer un petit accord.
Il marqua une pause théâtrale avant d’enchaîner :
— Suite à la décision de fermeture, la Société Intergalactique des Mines m’a nommé syndic de faillite de ce site. Je sais que cela vous surprend, mais nous avons des juristes très pointus et les lois de Solera sont parfois... comment dirais-je... imprécises. Ma mission est donc de vendre toutes nos possessions, terrains et matériels.
Temton fronça les sourcils, sentant venir l'arnaque. Il se garda d'intervenir, attendant la suite de l'exposé. Son vis-à-vis continua :
— Pour des raisons sur lesquelles je ne m'étendrai pas, je me suis porté acquéreur du tout, avec, dans l'esprit, de le revendre rapidement, si possible avec plus-values. Malheureusement, les derniers événements remettent en cause mon plan. Voici donc ce que je vous propose: dès que l’ordre sera revenu, je pourrais effectuer mes petites affaires. Elles n’ont aucun rapport avec l’extraction du minerai. Dans trois semaines, je quitterai Solera. D'ici là, je suis prêt à revendre les mines pour une somme « très raisonnable ». Contrairement à ce que l’on croit en haut lieu, le filon est loin d’être épuisé. Si quelqu’un d’ici les remet en exploitation, il sauve l’économie de la planète, devient un héros local, et les prochaines élections seront pour lui. Et, ce qui ne gâte rien, il aura fait un bon placement financier croyez-moi.
Simon Temton eu un vertige en réalisant l’énormité de la proposition. En même temps, il sut d’instinct, que tout ce que disait le Président était vrai. S’il obtenait le contrôle des mines, il détenait à la fois, le pouvoir politique et le pouvoir économique. Restaient quelques obstacles à surmonter. Il faudra d'abord persuader son collègue de la défense d’intervenir pour rétablir l’ordre, c’est à dire taper sur de futurs électeurs. Pour cela, il sera nécessaire de le mettre dans le coup, et donc de restreindre les bénéfices financiers. Tans pis : il faut se lancer. Restait aussi à trouver le financement de l'opération, mais pour ce dernier point il avait une idée.
Le président s'était tu. Il observait attentivement le ministre, semblant lire sur son visage le développement de ses pensées. Après une dernière hésitation, Simon Temton se lança :
— Votre proposition est très surprenante, mais je suis prêt à jouer le jeu. Ce que je ne comprends pas cependant, c'est pourquoi vous agissez à l'encontre des intérêts de votre société.
— Tout simplement parce que je ne fais plus partie de leurs effectifs. Maintenant, je travaille pour moi.
Simon Temton fut médusé par cette nouvelle.
— Mais tout le monde pensait que vous alliez succéder à votre père...
Le président haussa les épaules et fit une moue désabusée.
— Les mines, toujours les mines ! C'est trop salissant ! Cela ne m'intéresse plus.
Comme d'habitude, il en faisait trop dans son jeu de scène, surjouant le dégoût. Il continua son numéro d'acteur:
— Voyez vous, mon cher ministre, je fais un gros pari sur l'avenir. Seuls les jeux risqués sont grisants. Je pense que nous avons chacun un destin hors du commun. Vous êtes quelqu'un de courageux et d'intègre. Je sais que l'argent que vous gagnerez avec la mine, vous l'utiliserez pour accomplir votre destin politique. Vous irez très loin. D'ailleurs, vous êtes le seul sur cette foutue planète à avoir une vision ambitieuse de l'avenir. Ce fut un plaisir de traiter avec vous, même si je vous ai un peu... « malmené » parfois.
— Jusqu'à ce jour, je ne pouvais pas dire que ce plaisir soit partagé. Mais, il semblerait que nous partions aujourd'hui sur de nouvelles bases.
— Ne vous méprenez pas, je n'ai rien d'un philanthrope. Notre accord est dû aux circonstances et ne présume en rien de notre avenir commun. Qui sait, nous serons peut-être ammenés à nous opposer à nouveau. Et dans ce cas, je ne serai pas plus gentil que sur Solera.
Le sourire du président mit Simon Temton mal à l'aise.
Une fois seul le ministre de l 'industrie contacta Arthur Nitzer. Celui-ci ne s'était pas contenté d'inventer le concept audacieux des « Belles Roches ». Il était aussi un créateur d'affaires infatigable. Lui seul saurait gérer cette mine et lever les capitaux nécessaires. Les deux hommes se connaissaient bien : Nitzer avait « téléguidé » les premiers pas de Temton en politique à la place de son fils Vincent, qui avait préféré l'art délicat de la restauration. A eux deux, ils allaient faire une équipe gagnante.
Le nouveau destin de Solera était en marche.
Annotations
Versions