Printemps 4

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Marie sent les fleurs des champs.

Même au fond des bois, elle a gardé la coquette habitude de faire sa cueillette matinale en se frottant la cou de coquelicots et de myosotis. Elle dit « Il faut sentir bon pour l’amour qui vient, on ne sait jamais, il faut être prête aux baisers ». Je ne comprends pas encore tout son charabia, car Marie a les confidences qui font des allers-retours, elle avance, elle recule, elle m’en dit un peu puis se couvre de mystères. Je comprends qu’elle a plus d’expérience que moi dans les choses du corps – mais à vrai dire, je n’en ai aucune. Je devine un amant plus âgé, le goût des caresses dans son cou et le creux de son corsage généreux. Je devine une histoire défendue. Je devine, et je n’ai pas tout à fait envie de comprendre ce que je crois apercevoir, alors je fuis, je virevolte ma pensée autour de ses non-dits, pour ne pas trop les voir, je change de sujet, je lui dit qu’elle sent bon.

Le soir, sur notre lit de fougères, je me serre fort contre elle. Les nuits sont encore fraiches, surtout sous le couvert des chênes, et nous évitons le plus souvent de faire du feu car le foyer est mal aéré, nous inondons à chaque fois notre cabane d’une fumée épaisse. C’est nouveau pour moi, ces sensations de corps chaud, de fleurs dans le cou. Elle dort comme un tout petit bébé, sur le côté, les genoux recroquevillés contre sa poitrine. Moi j’aime me blottir derrière elle, mes mains sur ses hanches, je dépose mon visage dans le cocon de ses cheveux. C’est doux, et ça sent bon les myosotis.

Nous occupons nos journées en parodiant les animaux. Le matin nous fourrageons les broussailles à la façon de la mésange qui s’en va chercher sa pitance, ou du renard qui recherche les baies sauvages. Quand viennent les heures chaudes, souvent, nous jouons aux lézardes. Allongées parmi les herbes hautes, nous dévorons notre part de soleil.

Marie vit moins bien que moi ce séjour forestier. La peur l’habite encore, et nous avons beau courir les prairies, monter aux arbres, chanter au milieu des coquelicots, je vois bien que cela ne suffit pas. Je lui prépare des tisanes de millepertuis pour calmer ses angoisses, mais cela prend du temps, il faut boire et boire encore, dormir sous les hêtres, regarder le ciel en laissant filer les nuages. Alors souvent elle dit « J’ai le cœur serré, je ne peux respirer au grand air ».

Je trouve cela étrange, évidemment, de se sentir mieux dans notre minuscule cabane enfumée que sur les sentiers et les pistes animales. Mais je ne dis rien, j’accepte sa peur (que faire d’autre), je l’attrape par la taille et la serre contre moi en espérant transmettre un peu de mon insouciance. Je suis plus petite qu’elle et je me retrouve encore une fois à renifler les parfums sous son menton. Peut-être que c’est à moi qu’ils font le plus de bien, ces câlins.

Il y a des heures longues où Marie s’enferme dans la cabane car l’ouvert lui cause trop grand frayeur. Je finis toujours par la laisser, et je vais cheminer à travers les fourrées.

Nous vivons dans une forêt qui n’a pas de nom. Quand je vivais au village, je l’appelais simplement « la forêt ». Pour les gens des hameaux alentours, je suppose que « les bois de Cursac ». Il n’y a pas de nom de rue, ou de maison dont je connaitrais les surnoms. C’est couillon, mais cela me manque. Sans trop y prendre garde au début, puis consciemment, j’invente des petits noms pour mes lieux et passages préférés. Il y a le Champs des Coquelicots pour ses belles fleurs rouges, le Sentier du Chevreau pour cette jolie bête croisée un jour au crépuscule (il était plus surpris que moi), la Fraiche-Combe où je me réfugie les jours de grosses chaleurs.

Il y a un autre endroit qui occupe une place particulière dans cette cartographie imaginée. Je l’appelle Vive Boucle. C’est un coin particulier du ruisseau, où celui-ci dessine un long ruban en serpentant entre les tilleuls. Des benoites des rives ont poussé en constellation un peu partout, en dessinant des massifs sauvages ici et là. Au creux des racines, des poches d’eau apparaissent les jours de pluie.

En gagnant la forêt, j’accède au luxe : j’ai des bains publics pour moi toute seule.

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