Chapitre 9 : le royaume d'Elliora
Un grand carrosse était parti de Rosya pour se rendre à l’ouest. D’après la lettre de Kenosuke, un bateau les y attendrait. Et grâce à la Force du Roi, les Magmariens évitèrent soigneusement de s’approcher, ayant encore en mémoire la fureur dans laquelle leur Roi s’était mis. L’attelage progressé tantôt au trot, tantôt au galop et plus rarement au pas.
-J’ai trop hâte ! s’exclama Frieda. Papa, il est comment ce Ken ?
- Il m’a fait penser au même genre d’ordure qu’était Kenny.
- Qui ça ?
- Son oncle, dit sa mère. Mais il est mort. C’était un homme assez vilain dans son genre.
- Un vrai salopard, oui. Il m’a abandonné avec un couteau alors que j’étais qu’un gamin.
- Si j’étais lui, je serai parti avec le couteau, lança Jean.
Levi le fusilla du regard.
-C’était pour rire, caporal-chef !
L’homme soupira. Shun regarda son père aux cheveux gris.
-Papa Kiunju ? Il a un Magmarien, le roi d’Elliora ?
- Un monstre de la pire espèce. Sûrement plus instable que Magmar.
- C’est possible, ça ?
- Il est vicieux et imprévisible, tantôt docile, tantôt fou furieux. Kenosuke doit avoir un mal fou à le maitriser.
- Magmar est un peu pareil, non ? A faire ce qui lui chante.
- A la différence qu’il ne passe pas de calme à violent en une demi-seconde, rétorqua Alex. Quoi que.
Les Eveils du colosse lui traversèrent l’esprit. En cela, Magmar constituait un être finalement plus instable et difficile à maitriser.
-Deux monstres imprévisibles et surpuissants, dit Jean. Et c’est à se demander comment Paradis est encore intacte.
- Pas faux, ajouta Connie.
Le voyage fut long et ennuyeux pour Frieda et Shun. Les discussions de grandes personnes ne les intéressaient pas. Et dans un espace aussi minuscule, difficile d’imaginer des jeux. Quelques Magmariens suivaient toujours l’attelage. Ils semblaient suivre une formation. Deux de dix mètres sur les côtés, un de vingt mètres à l’arrière et un de deux mètres devançant le carrosse et courant partout.
-Ils sont collants, dit Levi en penchant la tête. Pourquoi ils font ça ?
- Je ne sais pas, répondit Kiunju.
-Peut-être pour nous escorter ? Supposa Eléonore. C’est possible, non ?
Alex acquiesça. Un tel comportement était certes nouveau mais pas vraiment surprenant. A cette allure, ils arriveraient le soir même au bateau. Armin prenait des notes sur ce qu’il observait, sur les agissements des créatures.
Le soleil se couchait lorsqu’ils arrivèrent sur la plage. Les Magmariens les abandonnèrent à l’orée de la forêt et s’en allèrent. Le carrosse évolua sur le sable jusqu’à un frêle ponton de bois auquel était amarré un grand bateau. Tout le monde mis pied à terre et Kiunju fut mis dans son fauteuil.
-Waouh ! Dit Jean.
Ce n’était pas une embarcation de bois et elle était bien différente des navires de guerre Mahr. Cela ressemblait plus à un petit transporteur de troupes prévu pour être rapide. Un homme les attendait. Le capitaine, sûrement.
-Nous vous attendions, dit-il. Veuillez monter à bord.
Faire embarquer les chevaux et le carrosse fut plus ardue qu’ils ne l’auraient crus. Cela prit une bonne heure avant que le bateau ne soit prêt à partir. La corne de brume hurla bruyamment et l’embarcation quitta le quai. Il fit demi-tour et se dirigea vers une île à l’horizon d’où on percevait quelques lumières.
-Cet engin est super rapide ! Dit Armin. Tu ne trouves pas, Mikasa ?
-Si.
Frieda et Shun finirent par s’endormir après un long moment de jeu. Il faudrait deux ou trois heures pour atteindre Elliora. Et lorsque ce fut le cas, les ambassadeurs d’Eldia restèrent sans voix. La technologie était un cran au-dessus de celle de Mahr. Les voitures étaient plus grosses et robustes, quelques deux-roues motorisés circulaient et la ville semblait bien éclairée. On les fit débarquer. Un véhicule les attendait justement.
-Dingue…, dit Jean.
On les fit monter dans la grosse berline qui démarra. L’intérieur même était plus sophistiqué. Il y avait même une radio.
-Trop cool…, lança Connie. Tu trouves pas, Eléonore ?
- Si. C’est dingue qu’un tel peuple puisse avoir ce niveau de connaissance.
On les mena jusqu’à un hôtel. Ils iraient à la capitale le lendemain. Le groupe fut réparti entre plusieurs chambres luxueuses.
-Eh bien, dit Levi.
-C’est génial. Bon, je couche Frieda et je vais à la douche.
-Tu me feras une place.
La femme acquiesça et allongea sa fille sur le grand lit à la couverture en velours immaculé. Puis elle se rendit dans la salle de bain. Une grande baignoire semblait l’attendre. Elle sourit et vint allumer l’eau qui se mit à couler.
Kiunju était sur le lit. Shun dormait juste à côté.
-Kiun ? Demanda Alex. Ne crois-tu pas que c’est un piège ?
- Magmar m’en aurait averti.
- C’est dingue que vous puissiez communiquer ainsi. Il arrive à parler, tu te rends compte ?
- Oui. Mais je n’ai jamais eu l’impression de ne pas l’entendre.
- C’est vrai. Vous communiquiez différemment, autrefois.
Alors, Alex vint prendre son mari. Celui-ci se servit alors de ses membres dorsaux pour se déplacer. Le jeune homme eut un sourire et ils se rendirent sous la douche. Tous deux se serrèrent l’un contre l’autre.
-C’est dommage, tu ne pourras plus m’enlacer.
-Ce n’est pas ça qui va nous empêcher de continuer notre vie. Que je devienne asexué ne nous empêche pas de faire des folies, si ?
- Non, mais… maintenant tu ne peux plus bouger du tout et tu ne vois rien. C’est triste.
- C’était un petit prix à payer pour sauver l’Humanité.
- Mais jusqu’où tu vas aller…
- Aussi loin que tu me le demandera, Alex. Et même ainsi, sois sûr que je te porterai s’il le faut.
-Tu ne t’arrêtera donc jamais ?
- M’arrêter ? Pourquoi faire ?
Alex soupira et entreprit de savonner son mari. Celui-ci laissait l’eau couler sur son corps.
Le lendemain, la voiture prit la route de la ville d’Algeïsia. Du goudron noir permettait de délimiter le chemin. Peut-être était-ce là l’œuvre du roi d’Elliora. Là encore, les heures furent longues jusqu’à la capitale. Eléonore et ses amis n’en crurent pas leurs yeux.
-J’croyais avoir déjà tout vu mais ça…, dit Connie.
De toute évidence, l’économie d’Elliora était florissante et d’une grande importance. Les voitures étaient plus luxueuses encore. Frieda et Shun aussi étaient émerveillés. La voiture vint s’arrêter non loin d’un grand château. Ils descendirent.
-Bon, on entre j’imagine ? Demanda Eléonore.
Un groupe de soldats arriva pour les mener à l’intérieur, les informant que Sa Majesté Kenosuke les attendait. Ils entrèrent dans le grand château et furent escortés jusqu’à la salle du trône.
-Oh !
L’homme se tenait sur son siège. Derrière se tenait Darkmar, assis tel un animal. La bête fixa les invités et émit une sorte de sifflement menaçant. Kenosuke lui donna l’ordre d’arrêter. Il se leva et descendit les marches.
-Je suis navré de cet accueil glacial, dit-il. Mais Darkmar n’a pas digéré la précédente défaite. Il est rancunier.
Il arborait un sourire et ne semblait plus vouloir leur faire de mal. Il vint surplomber qui ne leva pas pour autant les yeux.
- Seigneur Kenosuke Tashiba. Quel est la raison de notre présence ici ? Demanda Eléonore.
- C’est tout simple. En voyant le Roi Démon à l’œuvre, j’ai compris que peu importait mes efforts, je ne serai jamais en mesure de le vaincre. J’ai…
- Tu veux pas abréger ? Lança Kiunju.
L’homme le regarda, un instant déconcerté. Les ambassadeurs d’Eldia se crispèrent. Alors, Kenosuke sourit. Bientôt, il se mit à rire à gorge déployée, à la stupéfaction de ses invités. Darkmar plissa les yeux et gronda. Son Détenteur était différent. Il ne le reconnaissait pas. Mais après tout, il s’en fichait bien. Il vivait pour le servir, et non pour réfléchir.
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