XXXII. La Ballade des cœurs noirs
La Ballade des cœurs noirs
Sous le terreau, de rouges cœurs mûrissent,
Emprisonnés dans le delta des âmes,
Là où l’ébène et le sapin pourrissent,
Incessamment, vaisseaux privés de rames.
Crevé, déchu, cramoisi et tordu,
Ivre, couché au fond d’un lac inerte,
S’y abreuvant d’une pourpre perdue
Qu'il vomissait autrefois gueule ouverte,
L’antique peuple habitant les girons
N’a que l’écho pour lui remémorer
Les battements rythmés pris par Charon,
Toutes ces vies envolées, enterrées.
Chacun de nous garde un de ces ascètes
Dont le seul vice est en fait son trésor :
L’angle soudain du temps où il s’arrête ;
Finalement nous sommes tous des morts.
Son court séjour ne durant qu’une vie
Certains ont dit qu’il fallait en jouir vite –
Son rouge éclat qui nous avait ravi
Pâlit et meurt, grisonne puis s’effrite.
Nos cœurs battants dansent puis se fracturent,
Enveloppés d'écarlates noirceurs,
Accumulant d’irréelles fêlures,
Cueillant la nuit, la fureur et la peur ;
Ce cœur de sang est toujours plus obscur.
Sous la peinture une clarté trépasse,
C’était l’ultime à vivre encor derrière
Une pénombre asphyxiée qui s’efface,
Un grand tableau tombé dans la misère.
Après la toile, au fin fond du formol
On voit les cœurs de conserve s’enfuirent,
Idolâtrant tous leur mortel envol,
Brûlant, chutant, laissant fondre leur cire.
Tombez ! tombez dans vos gouffres amers !
C’est un déclin éternel à vrai dire…
Vos chéris murs de chairs se muent en pierre,
Cette prison reniée perd ses désirs.
Ces vagabonds dorment sur les abîmes
S’y incrustant d’ombres et de poussière,
Éparpillés, jonglants comme des rimes,
Leur noir impact est sourd et sans cratère.
Les jours s’en vont, et les poumons flétris
Voient revenir mendier en cohortes,
Remplis de sang et de larmes taries,
Épuisés, les cœurs près de l’aorte.
Nos cœurs battants dansent puis se fracturent,
Enveloppés d'écarlates noirceurs,
Accumulant d’irréelles fêlures,
Cueillant la nuit, la fureur et la peur ;
Ce cœur errant est toujours plus obscur.
Sous les gisants aux yeux froids et déserts,
Paralysés dans leur cage à nouveau,
Des décennies privés de guerres,
Les tristes coeurs haïssent leur caveau.
Une rumeur s’engouffre entre les voûtes,
Vrombit de joie en prenant de l’ampleur,
Traçant dans l’air d’interminables routes
Ailées, chemins brouillés de la chaleur.
Le soupir d’or qu’exhalent les cercueils,
Cet oiseleur de rêves prédateurs,
Raz-de-marée submergeant tout écueil,
Cambriolant le musée des rancœurs,
Ce blanc phénix défaiseur de visages –
En un éclair et un cri fusionnés,
Une révolte absoute de sa rage,
En un instant de meurtre passionné –
Au grand Néant réduit mille passés,
Piétine les souvenirs falsifiés,
Hurle à son dieu qu’il n’est qu’une pensée
Et disparaît, étoile mystifiée
Nos cœurs battants dansent puis se fracturent,
Enveloppés d'écarlates noirceurs,
Accumulant d’irréelles fêlures,
Cueillant la nuit, la fureur et la peur ;
Ce cœur de feu est soudain moins obscur.
Sous un fin drap de braises, le délire.
Le fugitif est pris et enfermé.
Le dénouement oublie ses souvenirs
Quand le chaos brisé part en fumée.
L’incendie torve a laissé choir le cœur
Carbonisé, sans son sang bouillant,
Plongé dans une anthracite torpeur,
A tout jamais balafré, terrifiant.
Cette dépouille pour toujours camouflée,
Exubérante en dehors de son corps,
Ce tendre écrin inanimé, gelé,
L’organe-roi accepte d’être mort.
Les longs sanglots laissent place au sommeil ;
Les cauchemars vibrent, s’immobilisent ;
La nostalgie rance des temps vermeils
Veut oublier que le bleu nuit l’enlise.
Les cieux obscurs se dissolvent enfin,
Abandonnant dans l’autrefois des rides,
Des sentiments décolorés défunts,
Une poignée de poussière... ou le vide.
Nos cœurs battants dansent puis se fracturent,
Enveloppés d'écarlates noirceurs,
Accumulant d’irréelles fêlures,
Cueillant la nuit, la fureur et la peur ;
Ce cœur cendré est pour toujours obscur.
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