Il s’appelait Saber et ce matin-là, il n’avait eu besoin de personne pour s’en rappeler. Cette information avait percé son inconscient d’une manière si vivace, qu’il n’en pouvait douter. Il se réveilla bien plus serein qu’il ne s’était couché : en son esprit raisonnaient alors les angoisses encore vives de l’Oubli et celles-ci lui avaient volé le sommeil jusqu’à tard. Mais il s’était endormi et avait fini par rêver, du moins le pensait-il; il gouttait encore en son esprit ce qu’il pensait être une caresse, celle qu’y laissent les rêves en s’évaporant. Il se leva.

Il avait retrouvé sa place – Sénder était déjà loin devant à creuser un nouveau sillon de par le monde et Harga assurait ses arrières – il était au centre, comme toujours. Cette tactique les avait sortie plus d’une fois de situations désespérées, auxquelles d’autres n’avaient pas survécu. Cette longévité était d'ailleurs leur meilleur publicité et elle leur rapportait gros. Il n’y avait pas, dans cette partie du monde, de trouveurs plus demandés. Ils refusaient même parfois des contrats, quand ceux-ci ne paraissaient pas assez intéressants : c’était un luxe que beaucoup n’avaient pas. En allant à bonne allure sur le chemin nouvellement tracé, Sàber se rappela pourquoi ils étaient là, à chasser une ombre sur l’horizon : selon le client, il s’agissait de la Citée. Si cela s’avérait exacte, il pourrait y abreuver sa mémoire pour le restant de son existence, et plus encore, sans compter la renommée supplémentaire que cette découverte leur apporterait. Il y avait des risques, bien sûr, mais cela ne les avaient pas dissuadés : des risques, ils en prenaient tous les jours, pour bien moins que ça. Sàber observa au loin la superstructure, c’était une question de jour avant qu’il pût confirmer la rumeur : Paraula était réapparue.

Ils marchèrent longtemps à travers les hautes herbes, l’un traçant le sentier, les autres le suivant religieusement – comme le disait souvent Sénder, une sortie de route dans les herbes, c’est plus merdique qu’au pieu. Ils s’avisèrent donc à ne pas en sortir, malgré la chaleur qui liquéfiait leurs réflexes. Nulle brise en ce lieu, la saison chaude s’éternisait et l’humidité des mangroves empirait le tout. Avancer coûtait cher en énergie, plusieurs fois Sàber se senti partir en avant, somnolent, mais Harga veillait et le retint à chaque chute. Ils auraient voulu s’arrêter un moment, mais ils n’avaient pas suffisamment avancé et le lieu n’était pas propice au repos – ils leur faillaient atteindre des hauteurs avant d’envisager un arrêt, mais pour le moment, rien du genre ne se profilait.

Ils continuèrent ainsi une bonne heure, leur corps surchauffés par l’effort et les rayons solaires – seul Sénder semblait être dans son élément, à nager dans cette mer herbeuse, comme l’on nage dans une bassine – avant d’en sortir. La planète avait continué sa rotation et le jour n’en avait plus que pour quelques minutes. Il leur fallait trouver un refuge pour la nuit. Sàber chercha alors le chasse-chemin, se retournant vers Harga plusieurs fois pour savoir si sa vue était meilleure : elle hocha que non autant de fois qu’il le lui demanda. Les mains sur les genoux, légèrement courbé en avant, il tentait de se reposer autant que possible, sans faire l’erreur de s’asseoir : ne jamais s’asseoir à moins de vouloir dormir disait l'adage. Il soufflait avec difficulté, sa régulation corporelle était en surcharge. Au moment du crépuscule, alors qu’il parvenait à refaire surface, Harga pausa son gant sur son épaule, montrant de l’autre une ombre sur les hauteurs : Sénder avait trouvé un refuge quelque part dans ses vallons, ils allaient pouvoir souffler un peu.