Chapitre 5 : Partie 2

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La patience se perdit, Elwynn mit dehors Lycure, bon débarras. Aucune place à une négativité qui s’immisçait dans les esprits comme une moisissure s’étendrait sans arrêt. Elle devait l’extraire, soigner cette contamination pour préserver la pureté.

— Laisse tomber Eddy, il essaye de te déstabiliser. Tu t’es pris la tête avec Alannah, elle est allée se plaindre à lui, c’est tout.

— Pourquoi il ferait ça ?

— D’après toi. Les deux seules personnes affectées à la zone abandonnée, ce sont eux. Lycure, qui a été récupéré de l’extérieur. Et Alannah, dont son père qui a tué un porte-parole. Faut pas chercher plus loin. Un jour, ils feront une faute et les sentinelles les arrêteront.

Pour servir la cité quelques mois avant de recommencer, pensa-t-il. Ils n’avaient pas été envoyés dans la zone abandonnée pour le plaisir. Ils avaient manqué aux règles, et ils continuaient. Ça lui sauta à l’esprit, elle l’avait menacé !

Elle t’a menacé. Elle t’a ciblé. Pour la première fois, c’est toi qu’elle veut. Ce n’est plus une colère lancée dans le néant, cette fois, elle te cogne.

— Elle m’a menacé. Bordel, elle m’a dit de me méfier d’elle. Et son père est un meurtrier ! Un meurtrier, tu te rends compte ? Qui fait ça encore ? Qui tue ? À part ceux de l’extérieur. Et elle, elle est encore ici, libre.

— Calme-toi. Tu parles sous une impulsion, elle ne va rien te faire. Il y a des sentinelles partout. La sécurité a encore été renforcée depuis ce drame avec l’ancien porte-parole. Elle ne peut pas s’en prendre à toi.

— Tu l’as entendue, toi ? Et les autres ? Personne n’a entendu ses menaces. Ça peut être pareil pour mon futur assassinat. Personne ne va le voir.

— On parle des sentinelles. C’est pas rien quand même. Elles ont été développées exprès pour ça. Faudrait déjà qu’elle arrive jusqu’à toi. Non, impossible. Y a trop d’étapes. Penser à s’en prendre à toi, puis te trouver, puis le faire. Les sentinelles l’auront déjà arrêtée depuis longtemps.

Elle avait raison. Si en des siècles, il n’y avait eu qu’un crime, un malheureux crime, il n’en serait plus possible depuis. Sept ans auparavant, le père d’Alannah avait étranglé pendant treize minutes le porte-parole chez lui. Il n’avait aucun antécédent, il respectait tant les règles qu’il n’avait jamais eu de différend avec autrui. Un citoyen modèle quoi, sans problème avec personne. Sauf lui. Étrange.

Des rumeurs insinuaient qu’il avait fait ça par amour, l’amour malsain et toxique, de la jalousie après avoir découvert la relation extraconjugale entre sa femme et sa future victime. D’autant plus étrange que ce n’était pas son genre. La preuve que l’on pouvait cacher qui on était.

Depuis, chaque logement avait un système d’alerte en cas de violence. Les chercheurs avaient doublé la production de sentinelles pour en encombrer les rues. Ces intelligences artificielles, sûrement la meilleure invention d’Elesi.

On les avait programmées pour analyser le rythme cardiaque des individus et l’associer à l’environnement et déterminer un potentiel danger. Une technique incroyable pour deviner les émotions, par conséquent leurs intentions. Elles ne se trompaient que rarement, mais la justice ne tenait pas qu’à elles, heureusement.

Le tribunal où les potentiels coupables étaient jugés se positionnait à deux kilomètres de l’assemblée. N’importe qui redoutait cet acte, aussi sacré et symbolique fut-il. C’était la peur d’être mauvais, d’avoir trahi les camarades.

Elder n’avait rien à craindre. Et puis, il accordait une confiance aveugle en Elesi. Tout ce système était fait pour vivre les yeux fermés. Ne plus se soucier des risques avec un esprit apaisé. Malgré ça…

— Elle l’a déjà faite, cette première étape. Quand elle m’a menacé devant l’assemblée. Et rien n’a été fait. Je ne peux pas me laisser faire en attendant qu’elle agisse. Il faudrait… hésita-t-il, une demande de surveillance à son égard.

La demande de surveillance, une action particulière qu’on n’autorisait que peu. Par exemple, l’enfant malade qui venait de pénétrer la cité, il valait mieux la faire.

Pour aller sur le droit chemin, garantir un avenir plus sain, on appréhendait. Imaginer, deviner, émettre des hypothèses, penser à toutes les possibilités que le monde réservait. Une fois qu’on définissait une infinité de dimensions, chaque seconde passée était analysée pour déterminer celle qui s’approchait. Comment faire ? L’observation, le suivi de cet élément, de ses conséquences, de ses mystères.

Cet enfant pouvait être la fin d’un monde, alors toutes les semaines, il devra voir un spécialiste et les sentinelles annoteront ses actions chaque jour. Son dossier sera complet, jusqu’à sa dernière conversation, sa première querelle, son premier amour, tout sera évalué.

Ça arrangerait bien Elder d’enfermer son opposante dans ce système de garde. Il saurait sa position, pour l’éviter, mais aussi la confronter. Lui serait libre, surtout d’elle.

S’il pouvait en arriver là, s’il le pouvait tant, il le rêvait, le suppliait. Qu’elle s’éloigne, qu’elle s’en aille pour qu’il continue de partager son altruisme. En fait, il avait été blessé.

Ce n’était pas tant la peur qu’elle l’agresse, qu’elle prenne le relais de son père et qu’elle le tue, qui pouvait savoir, elle finirait par trouver le moyen de le faire. Il était terrorisé d’être décelé, il doutait de lui, un manque de confiance en soi qu’il comblait par son statut.

Il balaya cette réflexion avant qu’il ne puisse en profiter, ses espoirs anéantis par le recul dont il avait besoin. Elwynn, elle, n’avait pas peur. De rien. Elesi ne permettait pas d’avoir peur. Cette suggestion, un peu ridicule quand elle y songeait, elle la vira des idées comme la bêtise qu’elle était.

— Non non ! Ça va pas de penser à ça. Elle n’a encore rien fait, concrètement je veux dire, tu peux pas la faire surveiller.

— Il faut que j’attende qu’elle passe à l’action ?

— Pour faire une demande de surveillance, tu dois récolter dix signatures des élus. Eux sont en dehors de ça. Elle ne leur a rien fait.

— Mais ça, c’est rien. Je peux me débrouiller pour les convaincre. Tout le monde se méfie d’elle, ça ne sera pas difficile.

— Mais c’est injuste. C’est de la manipulation. Tu ne peux pas en arriver là parce que tu paniques. Fais attention à toi, oui, mais aie confiance aux sentinelles. Ne laisse pas ta rancune prendre le dessus.

Elder n’avait pas pris en compte ce facteur, était-il un manipulateur ? Non, il influençait. Cette nuance importait, car elle changeait tout, absolument tout. C’était un don, il donnait, il partageait une partie de soi, de son être. C’était pour les autres, et non pour lui. Il n’avait rien à y gagner, de la pure charité.

Il produisait des comportements, possible. Mais des bons. Pas ceux néfastes, vicieux, toxiques de la manipulation. Il était franc, il affichait ses intentions, il laissait le choix. Il réfutait cette volonté centrée sur soi de cacher la vérité pour l’obtenir. Cette vérité, elle devait être objective, pour tous, acceptée de tous, réclamée de tous.

Imposer, non, solliciter la surveillance d’Alannah serait bénéfique pour la société. Rien à voir avec l’égoïsme de la manipulation. Exact, Elwynn avait tort. Elle ne pouvait qu’avoir tort parce qu’Elder était quelqu’un de bien.

— C’est vrai. Tout devrait bien se passer.

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