Taille-douce

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 J’ai commencé doucement. Gentiment. Délicatement. Je n’aime pas le faire mal. Je suis prudente, propre, méticuleuse même. Je l’ai attrapé ce matin, il sortait du supermarché. Un beau spécimen, légèrement barbu, discrètement bedonnant. Lunettes de soleil un peu trop grandes. Comme je les aime.

 Il allait monter dans son Cayenne noir mat, vitres teintées. Je me suis approchée.

 Ça a été rapide, presque trop facile. Il est là maintenant, accroché au mur, juste sous le soupirail. Il transpire un peu. J’aime bien cette odeur d’homme apeuré. Il est nu. Quelques traces anciennes de bronzage, une épilation du torse un peu ratée. Dans sa bouche une jolie balle blanche. Bien serrée. Je m’approche, il m’entend et sa tête s’agite, vient se cogner contre le béton. Chuuut.. Je commence par le ventre. Un trait fin, je dessine une montagne et un cerisier en avant-plan. Le scalpel glisse et l’esquisse apparaît. Il pleut du rouge sur les sommets. J’aime le silence, la pénombre et le calme. Je travaille ensuite le volume, je soulève la peau et j’enlève un peu de graisse. Je rattache avec un point par endroits et je laisse pendre le reste. La rivière pourpre coule autour de son sexe, dégouline sur ses jambes. Il faut maintenant s’occuper du ciel. Les nuages seront sur le torse. Je travaille en pointillisme. Mes clous sont argentés, en les rapprochant plus ou moins, je crée des ombres. Il bouge un peu trop. Je soulève le bandeau sur un œil et je lui montre mon marteau de tapissier. Il me fixe. Il comprend. C’est fou ce qu’ils tiennent à leurs yeux. Je le laisse apprécier mon œuvre. Je sens la frêle résistance lorsque que le clou rencontre la côte. Mes nuages se forment et aussitôt déversent leurs larmes. C’est beau. Je m’enivre de ce paysage mouvant, sa respiration commence à être parfaitement accordée. Il a compris. Je sens que je tiens une œuvre, une vraie. La frénésie s’empare maintenant de moi, il me faut la calmer, ne pas tout gâcher. Je dois délicatement figer la scène, arrêter la mise en couleur au bon moment. Il faut laisser monter la teinte puis suspendre d’un coup. Je rajoute quelques entailles un peu plus profondes sur le flanc. J’aime bien l’effet sur les cuisses, le mélange de la matière visqueuse et des poils. Il a flanché, son œil se ferme, c’est le moment. Je baisse son bras et un à un je sectionne ses doigts. Je rajoute à son poignet une ellipse noire. Le sol brunit, la lune est au rendez-vous. Elle éclaire de sa lueur diaphane ma gravure achevée.

 Il me faut remonter, c’est l’heure du coucher. J’ai promis de raconter une histoire à Garance.

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