2 - Identité
Salle blanche nue et étincelante, passée au détergent du sol au plafond, chaise inconfortable et projecteur LED dans la gueule : sympa l’ambiance. La pièce tout entière était une cage de faraday, aucun de mes pads n’arrivait à accrocher un réseau. Les Prétobots m’avaient laissé là, après m’avoir soigneusement attaché les poignets et les chevilles à l’aide de menottes magnétiques à la table, elle-même scellée au sol. La confiance régnait ! C’était la procédure… Le plus énervant c’était que je ne pouvais même pas attraper ces foutues e-clopes, ni même me gratter le cul d’ailleurs. En parlant de cul, le mien commençait à se plaindre. Ce n’était pas possible d’être aussi mal assis, j’étais sûr qu’il y avait, quelque part dans ce putain d’empire, un connard d’ingénieur qu’on avait payé pour concevoir des chaises inconfortables.
Ça faisait bien deux heures que je poireautais et je ne savais toujours pas ce qu’on me voulait. D’ailleurs j’espérais vraiment ne pas avoir loupé la dernière représentation de Tiffania de la saison pour rien et qu’ils avaient du sérieux à me reprocher. J’ai eu beau me retourner le cervelet, je ne voyais pas. Certes, j’avais un casier long comme le bras et tout un tas de choses plus ou moins illégales à me reprocher que la milice n’imaginait même pas. Rien que ce mois-ci, j’avais fraudé le fiscus, détourné un vieil antigrav de la casse, tabassé trois lascars qui me cherchaient des noises, falsifié un titre de transport… bref, que du menu fretin, pas de quoi attirer les prétobot, même tout ça mis bout à bout.
Le sas s’ouvrit finalement, dévoilant un humain en uniforme, rachitique et grimaçant. À vue de nez, il était encore moins causant que les prétobot qui m’avaient laissé là. J’imaginais que ça devait être un critère de recrutement. Et c’était peut-être pour ça qu’ils n’avaient pas voulu de moi d’ailleurs, j’ouvrais toujours trop ma grande gueule. Remarque, je ne regrettais pas. J’aurai probablement fini comme lui. Frustré. À tirer la gueule toute la journée. Sans un mot, il s’installa délicatement en face de moi, redressa son col de chemise et me regarda enfin. Une paire de lentilles RA lui recouvrait les rétines. Discret, mais pas assez pour moi, j’avais appris à les repérer. J’imagine que ce modèle servait à mesurer la dilatation de la pupille de son interlocuteur en temps réel et d’autres symptômes corporels pour savoir si vous racontiez des conneries.
Un écran tactile s’illumina sur la surface de la table. Mon hôte lut une série de questions étalons d’une voix blanche.
— Veuillez décliner votre identité, âge, sexe, profession et adresse.
— Marcus Tanmerd, jeune, sexe fort, sans emploi, sans domicile fixe.
— Veuillez décliner votre identité, sexe, profession et adresse.
— Marcus Clavius Census, 37 ans, sexe masculin, retraité de la milice, Bloc 8 A impasse de l’espérance, lâchais-je dans un soupir consterné.
— Bien, veuillez maintenant détailler votre agenda de la soirée et de la nuit précédente, reprit-il d’une voix froide.
— Mon agenda ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je t’intéresse, c’est ça ? Tu veux savoir qui je fourre ?
— Veuillez détailler l’agenda de votre soirée et de la nuit précédente, répéta-t-il sans sourciller.
— Hé bien, puis ce que ça t’intéresse, j’ai trainé tard avec un pote au One Eye Jack, on s’est barré à la fermeture et après on est allé trainer sur le port avant d’aller se pieuter.
— Veuillez décliner l’identité de votre ami, dit-il en vérifiant que le téléscripteur marchait bien et avait bien traduit tous mes propos dans un latin correct.
— Il s’agit de Titus Quietus Dio.
— Et vous avez quitté l’établissement ensemble ?
— L’établissement ? C’est trop d’honneur, mais ouais, tout comme je te l’ai dit.
— Un témoin peut-il confirmer cela ainsi que l’heure de votre départ ?
— Demandez au taulier, c’est lui qui nous a foutu dehors.
— Bien et après, veuillez détailler votre itinéraire jusqu’au port.
— Hé bien, on a tracé direct. On a rejoint la via Pia et filé à l’est sur la voie principale. Au port on s’est arrêté chez Tommy, on a bu un dernier verre et bouffé un Veg-Burger avant d’aller se pieuter. Vous savez que leur Veg’ est le meilleur de la cité ? On a dû en repartir sur les coups de 4 h du matin.
— Un témoin peut-il confirmer cela ? Ainsi que l’heure de votre départ ?
— Tu tournes en boucle mon vieux… Certainement l’esclave eurasienne qui faisait le service ce soir-là. Titus l’a branchée et lui a fait le coup de l’impresario… trop bourré qu’il était pour se rendre compte que c’était une esclave. Et vu la gerbe qu’il lui a laissée à nettoyer, elle doit se souvenir de lui. Ce qui ne doit pas être réciproque, précisais-je avec une pointe d’ironie.
— Bien et après ? Veuillez détailler votre itinéraire jusqu’à votre retour à votre domicile.
— Hé bien, on s’est séparé avec Titus. De mon côté, j’ai pris le transurb à Vulcain, et je suis descendu à Uranus. De là, j’ai fini à pied. Eh oui, je suis rentré seul. Alors heureux ?
— Votre Civ-Chip peut confirmer ce trajet, je suppose ?
— Heu… En fait, j’ai fraudé. J’ai plus beaucoup de sesterces dans mes tubes, et j’ai franchi les sas sans badger…
— Je vois.
— Mais bordel, ne prenez pas votre air condescendant. Ça se voit que vous ne savez pas ce que c’est, vous, de galérer à boucler les fins de décades. C’est sur qu’avec votre salaire de fonctionnaire vous n’êtes pas à plaindre. OK, j’ai fraudé le transurb, mais bordel je suis clean. Je ne sais pas ce que vous me reprochez, mais je suis clean.
Ce con avait réussi à me mettre hors de moi. Franchement, je ne savais vraiment comment j’avais fini la soirée ni comment j’ai réussi à rentrer chez moi. J’ai clairement trop abusé pour m’en souvenir et à chaque fois que j’essayais de me concentrer pour m’en rappeler, je ne distinguais qu’une brume opaque. Mais bon, j’étais rentré bien sagement jusque dans mon lit, seul. Pour une fois que je n’avais rien à me reprocher, on venait me faire chier. Ce n’était pas que je me tenais spécialement à carreau ces dernières décades, mais plutôt que le boulot se faisait rare ces derniers temps. J’aurais d’ailleurs préféré avoir un truc à planquer, ça aurait au moins voulu dire que j’avais décroché un contrat. Mais là, non, même pas. Il fit danser nonchalamment ses doigts sur l’écran tactile devant lui.
— Vu vos états de service passés et le grand respect que j’ai pour la Cohors Aerana, je vais vous montrer quelque chose.
Une vidéo holographique apparut entre nous deux. On y distinguait des entrepôts high-tech ainsi qu’un petit groupe d’individus vêtus de combinaisons thermos-optiques se faufiler entre les bâtiments.
— Un groupe de cinq personnes s’est infiltré hier soir un peu avant deux heures du matin dans les entrepôts de Quetzal, commenta-t-il en regardant la vidéo. Ces individus, masqués et visiblement bien entrainés, ont dérobé du matériel informatique de classe militaire et des prototypes de recherche. L’un de ses individus a été négligent, un fragment d’ADN a été retrouvé sur les lieux.
Il arrêta la vidéo, afficha une hélice tronquée et lança une sous-routine de recherche. Au bout d’une seconde, un battement de cœur, l’image résultante s’afficha en grand sous mes yeux ébahis.
— Notre programme de reconnaissance est très performant. Le taux d’erreur est de un sur un milliard. De plus les données anthropomorphiques correspondent. Nous sommes donc catégoriques sur notre identification.
J’étais sous le choc. Il y avait de quoi. La fiche d’identité qui s’affichait devant moi était bel et bien la mienne !
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