4 - Coup de Lollius
Ils étaient quatre, et pas franchement discrets. Quatre hommes assez athlétiques qui essayaient de se mêler à la foule. Sur le plan purement vestimentaire, ils avaient fait des efforts et ça collait à peu près, mais leur comportement clochait vraiment. Malheureusement pour eux, de très bons instructeurs de la Scholaria m’avaient entrainé à détecter de ce genre d’anomalie dans le flot quotidien de la population. Mon inconscient les repéra rapidement et une alarme se déclencha aux tréfonds de mon cerveau reptilien. Je compris immédiatement que quelque chose ne tournait pas rond. Je fis une prompte analyse de la situation d’un coup d’oeil circulaire et je les vis, tous les quatre. Ils jetaient des regards brefs, leurs déplacements n’étaient pas tout à fait naturels, car ils tentaient de maintenir une distance de sécurité entre eux, pour se protéger les uns les autres en cas de souci.
Je ne dis rien à Titus et continua d’avancer le plus naturellement possible afin de ne rien laisser paraitre mon étonnement. Et après tout, j’étais peut-être un peu trop parano.
Nous montâmes dans la capsule, les quatre hommes s’engouffrèrent derrière nous. Je m’arrangeai pour bousculer mollement l’un d’entre eux dans la cohue. Mes mains alertes détectèrent la présence d’un objet dur légèrement en dessous de son aisselle gauche. Ma parano triompha mentalement. Pour en avoir le cœur net, je pris discrètement un cliché avec mes lentilles du visage de l’un d’eux et lança immédiatement une recherche en reconnaissance faciale sur les réseaux sociaux. Aucun résultat.
Je n’avais plus aucun doute à avoir. C’était bien des putains d’agents, probablement de la Cohors Urbana, là pour me filer le train. L’affaire était donc très sérieuse. Ce vol avait dû froisser un puissant, un politicard ou pire, un prêtre. Malheureusement, je n’arrivais toujours pas à me souvenir de la fin de soirée de la veille. Bordel, mais pourquoi m’étais-je fourré dans une telle galère ?
Je ne savais pas quel était leur but. Ils espéraient quoi ? Que j’allais les mener à un complice, à un gros bonnet ? Non, j’allais juste me défoncer la gueule avec mon vieux pote. J’aurais pu les laisser mariner, mais franchement je n’avais pas envie qu’ils me collent au cul toute la journée. C’est une désagréable impression que celle d’avoir un furoncle au derch !
Titus qui me connaissait bien fini par remarquer mon petit manège. Il cherchait des réponses du regard, mais il y avait trop de risques qu’on se fasse griller pour lui parler. Titus était plutôt du genre sanguin et il y a avait de grandes chances pour que ses réactions dévoilent sans le vouloir la supercherie. Je savais que j’étais filé, mais eux ne savaient pas que je les avais repérés. Je comptais bien tirer avantage de la situation pour en apprendre un peu plus sur cette histoire.
La capsule prit de la vitesse et de plus en plus de pente. Nous remontions vers la surface. Lorsque nous émergeâmes des entrailles de la terre, le soleil matinal s’élevait déjà à trois pieds au-dessus de l’horizon. Sa lumière dorée perçait ici et là le drap de nuages en autant de rayons baignant la cité de sa chaleur. Elle s’offrait, sublime et virginale, à nos yeux. Les flèches colorées des grandes tours pyramidales des temples s’élançaient vers les cieux pour tutoyer leur dieu tutélaire, rythmant le paysage. Plus bas, à l’ombre des premiers, les nombreux et imposants bâtiments administratifs grisâtres s’échelonnaient gentiment autour des plazas. Au loin se détachait l’immense dôme vouté en transparacier du Colisée. Les véhicules anti-grav sillonnaient l’espace, en rang comme une colonie de fourmies en train de ramener son butin à la reine. Une chorégraphie minutieuse ne dénotant pas avec l’impression d’ordre qui se dégageait de l’ensemble architectural. Cette ville n’est plus la gloire de l’Empire depuis la fondation de Nova Roma IV, mais elle essaye de tenir dignement son rang.
J’essayai de me concentrer pour élaborer un plan lorsqu’une publicité pour le dernier modèle de datapad à la mode essayer de me vendre du rêve en s’affichant en trois dimensions sur les vitres de la capsule accompagnée d’une musique entêtante. « Sortez du lot, adoptez le datapad 12S+ ». Une paille, trois mois de salaire pour pouvoir faire comme les précédents, mais avec plus de classe. Heureusement, la banque Mercure proposait une offre de financement étalé dans le temps prélevé directement sur le salaire. Juste le temps de rembourser son crédit avant la sortie du prochain model encore meilleur.
Je mis en route l’occultation sonore et visuelle afin d’écarter toute distraction. J’avais besoin de gamberger afin de trouver un plan. D’un seul coup, je fus précipité dans le noir et dans le silence. Une étrange sensation de solitude et de plénitude. J’avais eu l’occasion de faire de la plongée lors d’un entrainement plusieurs années auparavant et la perception de l’occultation s’en rapprochait. D’autres disaient que cela nous replongeait dans le liquide amniotique du ventre maternel. Peu importe, c’était une expérience singulièrement agréable. Faire le vide autour de soi et ne plus rien sentir d’autre que son corps, ses muscles, le battement de son coeur et sa respiration. Cette fonctionnalité avait d’ailleurs été retirée des datapads du commerce, officiellement pour raisons de sécurité, pour éviter les accidents. En vérité c’était tout simplement pour nous empêcher d’échapper à la réclame omniprésente. J’avais beau retourner la scène dans tous les sens, tous les plans que j’entrevoyais finissaient mal ou nécessitaient le concours de Titus. C’était un risque à prendre.
Je revins à la réalité, l’environnement froid, désagréable et bruyant réapparu autour de moi. D’un micro mouvement de pupille, j’activai ma messagerie sur mes optiques. J’écartai rapidement les alertes préconfigurées, aucune ne convenait à la situation. Je fis surgir le clavier et commença à composer un message en balayant prestement les caractères du regard. J’écrivis « Lolluis à la prochaine » et l’envoyai rapidement à mon destinataire. Un sourire discret apparut sur les lèvres de Titus qui continuait de siffler un vieux riffe d’électro-blues. Bien sûr, il comprit immédiatement le plan. Titus n’avait pas une grande éducation, il avait du se débrouiller très jeune pour subvenir aux besoins de sa famille, mais il était passionné par trois choses dans la vie : les filles, la musique et les batailles militaires de l’Empire. Il m’avait un jour raconté que Lolluis était le nom d’un ancien général ayant servi dans la campagne contre les mexicas et de la manœuvre qui le rendit célèbre. Elle consistait à diviser en ses troupes pour séparer les forces de l’ennemi et les forcer à se battre sur un terrain plus favorable. Titus ne put s’empêcher de changer de morceau de musique pour se mettre dans le tempo de ce qui allait suivre. Il commença à siffler un rythme entrainant et enjoué.
La capsule ralentit à l’approche de la prochaine station. Titus se leva brusquement et profita du freinage pour simuler une perte d’équilibre et se laissa choir violemment sur l’un des hommes, le plus proche de lui. Ce dernier fut surpris et encaissa le choc. Titus se redressa en l’insultant « Mais bordel, c’est quoi ton problème mec ? Tu cherches l’embrouille, c’est ça ? lança-t-il sur un ton agressif en prenant les autres passagers à témoin.
— Monsieur, calmez-vous, il y a méprise, j’ai juste tenté de vous rattraper
— Méprise mon cul oui ! T’en as profité pour me tripoter, espèce de gros pervers va !
Je tirai parti de la confusion pour analyser la réaction des trois autres. Deux regardaient ce qu’il se passait, mais le dernier ne m’avait pas lâché des yeux.
Les portes coulissantes de la capsule s’ouvrirent, je ne fis aucun mouvement. Mentalement, j’égrenais les secondes. III… IV… V… Mon échappatoire se refermait tandis que la discussion avec Titus s’envenimait. C’est à ce moment précis que je m’élançai vers le quai. Les deux hommes distraits me virent bouger, mais trop tard, la porte se rabattit sur leur nez. Un seul réussit à passer, c’est bien ce que j’escomptais.
À nous deux, mon grand.
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