Mon ange

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Il y a un démon qui gratte aux portes de ma raison, depuis bien trop longtemps. Il est le reflet du miroir, l'écho d'un souvenir, la promesse d'un avenir. Ce matin, il frappe plus fort et je ne sais pas comment le faire taire. Je suis avachi dans un fauteuil, je laisse mes doigts courir sur les cordes de ma guitare, pinçant les accords d'un morceau de Royal Bliss, les mots s'évaporent dans mon esprit avant d'atteindre mes lèvres, comme si le silence doit être mon seul et unique linceul.

La fille dans mon lit est mon ange, l'ancre qui me retient encore à la vie, mon espérance. Elle est couchée sur le dos, mais elle semble glacée. Sa peau diaphane est caressée par les premiers rayons de soleil, sa chevelure s'étend sur l'oreiller comme un champ de blé qui mûrit lentement sous l'astre du jour. La voir ainsi me fait frissonner et j'essaie de me réchauffer avec le seul moyen que je connaisse, elle. Je me lève, pose ma guitare et tire doucement le drap pour ne pas le réveiller. Il dévoile l'arrondi de son épaule, la courbure de son dos, le creux de ses reins, mais je ne vais pas plus loin. Je tends ma main, je mêle mes doigts à la soie de ses cheveux, je frôle ses lèvres puis, je me perds sur sa nuque. Je tremble, j'ai toujours froid, mais je ne peux pas continuer. Je ne veux pas.

Il y a quelque chose de caché à l'intérieur de moi, si profond, si sombre. Une chose que je redoute autant que j'admire. Dans mes plus noirs moments, quand la nuit couvre tout, je la laisse s'exprimer. Elle révèle mes tourments pour mieux les apaiser, m'accompagne comme une lente musique dans laquelle je flotte, libre. Ses sinistres pensées sont les miennes durant une heure, une journée, peu importe, je flotte.

Je sens une crainte enserrer mon coeur, sans que je puisse la comprendre. Mes yeux s'égarent sur le corps alangui de mon ange. Je pense que je devrais lui dire, lui avouer qu'il est revenu, qu'il me parle de nouveau. Se souviendra-t-elle que je lui en aie déjà parlé ? Me pardonnera-t-elle, encore ? Sa peau m'attire, son silence me repousse. C'est sans doute parce que c'est à peu près à cette époque que je lui ai tout avoué, cela me semble si lointain à présent. Je ne saurais pas dire si elle m'a cru, si même, elle a écouté. La seule chose que je sais, c'est qu'elle est restée et, maintenant, elle est là, dans ce lit.

Mais le démon parle, hurle, il me dit de le suivre. Il me parle d'un lieu où les personnes comme moi vont. Il me parle de la paix, de la fin des mensonges. Un rire sardonique résonne dans la pièce. Un tel endroit n'existe pas, il ne peut pas exister. Ce démon, qui est en moi, continue à effriter les derniers remparts de ma conscience, il ronge, comme un acide, ma résolution. Ses déclarations sont grinçantes, inquiétantes, mais elles me parlent si fortement que j'en ai le sang glacé. Je ne veux plus flotter, me laisser emporter. Je veux tracer mon propre chemin, mais son chant est si tentant, si séduisant. Flotter.

Je retourne sur le fauteuil, je reprends ma guitare, un autre titre de Royal Bliss. Mes doigts sont figés sur les cordes, je la regarde encore. Elle est si belle, baignée de lumière, si apaisée. Je voudrais la voir, mais sa chevelure me cache les doux traits de son visage. Je ferme les yeux, crispe ma mâchoire alors qu'il me hurle de la laisser s'en aller. Il me dit que c'est le seul moyen pour que je me sente vivant, de nouveau. J'ai toujours aussi froid quand je porte mes yeux tristes sur mon corps nu, je souris et me sens d'autant plus seul. Elle est pourtant là, si près. Pourquoi ai-je cette impression de vide ? De distance, d'inaccessibilité.

Je me lève, range la guitare dans son étui, que je ferme d'un coup de pied. Je me rends à la fenêtre. La lumière de l'aurore enveloppe le paysage sous un voile d'ambre et de miel. La douceur et la force, je n'ai jamais eu la première, je suis en train de perdre la seconde. Qui suis-je ? Je me perds, je perds tout, mes croyances, mes désirs, le contrôle. Je ne sais même plus si je l'ai eu un jour.

Le démon hurle toujours en moi. Je plaque mes mains sur mes oreilles et me retourne brusquement. Elle est toujours là, couchée, elle doit attendre. Mais quoi ? Moi ? Je l'espère, car je ne veux plus partir. Je ne veux plus la laisser, jamais. Elle est mon ange, celle qui peut m'aider à combattre mes démons. La seule. Je crois.

Il est temps d'agir, que je reprenne la main sur mon existence. Je sais ce que je dois faire. Le drap s'envole lorsque je le retire brusquement. Je le vois enfin, le démon. Il a pris le visage de ce sang qui se répand sur le matelas, la plaie de sa taille est béante, l'arme toujours là, entre ses cuisses. Je me couche à ses côtés, je serre l'arme blanche entre mes doigts. Je n'ai plus peur, je n'ai plus froid.

Elle me sourit enfin, elle me touche, m'effleure. Elle me dit de la suivre, qu'elle me montrera le chemin. Qu'on suivra la route vers un endroit merveilleux, un pays où vont tous les anges comme elle. Un pays où les amoureux se reposent, sans se mentir, s'aimant tout simplement. Je lui souris et lève mon regard sur le reflet argenté de la lame, je sens l'odeur du sang, je le vois aussi. Mon démon me dit de quitter ce lit, cette chambre, de partir avec lui, mais il peut toujours hurler, je ne l'écoute plus.

Je vais partir avec elle, là où vont les anges, là où vont les amoureux. Plus de mensonges, plus de soucis. Je pars avec elle.

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