[5] Le passage
Au moment précis ou Eadrom formula sa pensée, le couloir disparut, le golem disparut, le sol et le plafond disparurent… il se retrouva dans une sorte de néant, sans ciel ni terre.
Mais il n’était pas seul… ses compagnons, qui se tenaient encore par les bras, étaient tout autour de lui, seuls élément tangibles de cet univers désert.
— Où sommes nous ? Demanda Eadrom ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit Fizran
— En tout cas, certainement pas à l’abri, ironisa Fradj.
— Je n’en suis pas sûr, osa Antonius, mais je crois que nous sommes dans ce que Nécros appelait « le néant achronique ».
— Le quoi ? Redemanda Eadrom.
— Ça veut dire « nulle part », traduisit Fradj.
— C’est une sorte d’espace intermédiaire entre le point de départ et le point d’arrivée d’un mage en train de se téléporter… un espace entièrement vide de matière, d’air, de lumière…
— Pourtant nous respirons, non ? s’interrogea Eadrom.
— Une illusion produite par nos esprits, nos corps n’existent pas plus que l’air que nous ne respirons pas. Techniquement, nous avons été désintégré et nous devons nous réintégrer rapidement… avant que l’empreinte de nos anciens corps ne soient effacées.
— Messire Eadrom ! Coupa Fizran. Concentrez vous sur tous les aspects du lieu ou vous voulez nous renvoyer. Détaillez l’apparence du château Iontach.
— Et bien il y a un large donjon de pierres sombres, un corps de garde et une écurie, le tout flaqué d’une première enceinte avec trois tours de guet…
— Comment est le ciel ? Fait-il clair ou nuageux ? Comment sont les champs et les villages des alentours ? Y’a-t-il une forêt ? Soyez le plus précis possible sinon nous resterons coincés.
— En cette saison le ciel est gris, c’est le début de l’hiver. Il y a une petite forêt au sud qui se prolonge et qui se rattache à la grande forêt où les Montdragon ont leur territoire de chasse, et un petit village fermier près de la frontière. Ils viennent de faire les provisions pour l’hiver et ils se partagent les corvées de bois, sous la direction du bailli et la surveillance du druide qui veille à ce qu’ils ne prennent à la forêt pas plus que ce qu’elle peut donner…
Au fur et à mesure de la description d’Eadrom, un paysage prit forme autour d’eux. Au début, ce n’était qu’amas de couleur, grisâtre en hauteur et tout en nuances de verts en dessous, puis les contours d’une forêt firent leur apparition et des toits de chaumes surgirent du sol.
— La vie y est rude, poursuivit Eadrom, mais ça reste un endroit ou il fait bon vivre puisque nous avons la chance de vivre en paix avec nos voisins…
— Tu parles que c’est une chance, coupa Fradj. Chez nous, on a exactement le même décor, la même forêt et les mêmes petits villages, mais les orques font des raids chaque année, en hiver en particulier ou ils arrivent par horde de vingt ou trente…
— Mais faites taire ce gnome ! gémit Antonius.
— Il s’agit du village de SERTACH, reprit Eadrom d’une voix forte, et je veux y être réintégré IMMEDIATEMENT !
Et tout à coup, tous ressentirent un choc et le paysage, qui n’était alors qu’une sorte de décor de théâtre prit une consistance tangible. Un souffle d’air froid confirma aux plus sceptiques qu’ils étaient bel et bien revenus dans le monde réel.
Mais le village n’était pas aussi tranquille que dans la description d’Eadrom, puisqu’une vingtaine d’orques le soumettaient à un pillage en règle.
— Oh la poisse, gémit Antonius. Filons d’ici en vitesse.
— EONTACH VARSIKUR ! rugit Eadrom en tirant son épée.
Et il se lança à l’attaque, bientôt suivi par Fizran.
— T’as raison, rumina Fradj, faut se tirer.
* * * * *
Avant que les orques n’aient le temps de réagir, trois d’entre eux tombèrent sous les coups des deux guerriers. Un quatrième s’étant trop rapproché d’Antonius reçut une décharge d’énergie magique qui le cloua au sol. Fradj l’acheva d’un coup de dague avant qu’il ne reprenne ses esprits.
— On aurait mieux fait de se tirer, les gars ! Faut quand même pas être malin pour se téléporter en plein milieu d’une armée d’orques.
Alors que Fradj ruminait sa mauvaise humeur, Fizran égorgea deux autres orques d’un seul coup de sabre, employant une botte que Fradj n’avait jamais vu. Un cri de femme en détresse se fit entendre et Antonius se précita à son secours.
— C’est pas vrai ! grogna le Barde. Il s’y met lui aussi…
— Crève Vermine ! rugit Eadrom en affrontant un guerrier orque plus redoutable que les autres. Ce dernier était visiblement le chef de la horde.
— Qu’est ce qui rime avec Vermine ? Demanda Fradj.
Antonius entra dans l’étable. Deux orques s’attaquaient à une adolescente de seize ou dix-sept ans, l’un d’eux la tenait par la taille alors que l’autre lui arrachait sa robe de lin. Le sort qu’ils lui réservaient n’était que trop évident.
Sans hésitation, Antonius se jeta sur le second orque qui lui tournait le dos et le frappa avec la seule arme qu’il possédait… la dague de Nécros.
L’orque poussa un hurlement de douleur, sa peau ordinairement vert kaki vira au gris puis se craquela, et il tomba en poussière sous les yeux éberlués du premier orque et de sa victime… mais Antonius ne fut pas moins surpris. Il ne s’était jamais servi de cette arme et en ignorait les propriétés.
L’orque survivant rejeta sa victime sur le côté et brandit un large cimeterre dans la direction du mage. Ce dernier possédait certes une arme magique, mais l’allonge du cimeterre lui laissait peu de chances d’atteindre son adversaire.
Antonius tendit la main vers son adversaire et prononça un seul mot :
— Dragrakmireth !
L’orque s’enflamma aussitôt, son corps fut dévoré par des flammes violettes en quelques secondes.
— Vous… vous êtes un sorcier ? Balbutia la jeune fille.
— Non, je suis un magicien, ce n’est pas du tout la même chose… Mes pouvoirs ne peuvent être utilisés que pour la bonne cause…. Attendez ! Il y en a d’autres.
— Non ! Ce ne sont pas des orques.
Une famille de paysans bretons, qui se terrait au fond de l’étable, osa enfin se montrer. Par contre, ils étaient resté cachés pendant que leuf fille était entre les mains des orques, et le sang d’Antonius ne fit qu’un tour.
— Ah, vous étiez là ! rugit-il, et bien vous devriez…
Le magicien s’interrompit et avala le « avoir honte » qu’il s’apprêtait à assener. Il n’était lui-même pas un modèle de courage.
— Vous devriez prendre des armes, reprit-il, mes compagnons ont besoin d’aide.
Sur ces mots, il sortit de l’étable.
* * * * *
A l’extérieur, le combat battait son plein, Antonius se joignit à ses compagnons et repoussa les orques à l’aide de ses sortilèges et de sa dague magique. Fradj encourageait ses compagnons en chanson, mais évitait soigneusement de s’exposer.
Nous frappons de taille et d'estoc
Créature à la triste mine
Sens-tu la frousse dans ton froc ?
Crevez crevez vermine !
Venez créatures abhorrées
goûter la morsure assassine
du guerrier à l'armure dorée
Crevez crevez vermine !
Même notre mage un peu faiblard
a avalé des vitamines
v'là qu'il se prend pour un barbare
Crevez crevez vermine !
Cette curieuse ballade, improvisée dans le feu de l’action, eut un étrange effet sur les combattants. Alors qu’Eadrom, Fizran et Antonius se sentaient ragaillardis, les orques s’affaiblissaient et leurs attaques étaient moins précises.
Malgré cela, le groupe aurait certainement succombé sous le nombre si des renforts inattendus n’étaient pas venu à leur aide :
une petite troupe de guerriers bretons avaient entendu les échos du combat. Le chevalier qui la dirigeait se rua sur les peaux-vertes tandis que quatre fantassins le suivaient.
— EONTACH VARSIKUR ! hurla le chevalier.
Ces orques sont vraiment trop moches
Il est grand temps qu’on les termine
Garde-toi Eadrom sur ta gauche
et crève cette vermine
Eadrom était en effet tellement surpris d’entendre son cri de guerre qu’il ne vit pas venir l’attaque. L’orque le frappa au défaut de l’armure et l’atteignit à l’épaule.
Il s’écroula sans connaissance, son vainqueur n’eut pas le temps de l’achever, le chevalier lui trancha la tête pendant sa charge et se rua sur un nouvel adversaire.
Plus loin, les fantassins ajustaient les orques avec leurs arbalètes et les survivants prirent la fuite.
Le chevalier descendit de sa monture et retira son heaume pour aller voir le blessé. C’était un tout jeune homme d’une quinzaine d’années.
— N’essayez pas de vous lever, mon cousin, dit-il au blessé. Vous avez perdu beaucoup de sang et nous allons nous occuper de vous.
« cousin » ? L’esprit d’Eadrom était totalement confus, mais il comprenait que quelque chose d’absolument impossible s’était produit… Le chevalier qui venait de le sauver portait sur son bouclier le castel noir à trois tours. Le blason primitif des Iontach.
Sur cette découverte, il perdit connaissance.
* * * * *
Très loin de là, dans un autre espace et un autre temps, deux puissantes entités étaient engagées dans un jeu de stratégie mortel.
La première était un dragon… ou plus exactement LE dragon. Celui dont même les plus anciens de la race ne parlaient qu’avec terreur et respect. Son jeu était subtil, car un usage trop intensif de ses pouvoirs provoquerait des conséquences qu’il n’était pas en mesure d’anticiper, et à fortiori de contenir. Il déplaça un assassin sur une tour de mage.
Son adversaire était une divinité hybride mi-humaine, mi-serpentine. On l’appelait tout simplement le Serpent et en termes de pouvoir, il était au moins l’égal du Dragon. Il posa plusieurs jetons au dessus du magicien, l’un d’entre eux portait les couleurs du Dragon. Puis il attendit en se demandant si son adversaire sacrifierait une de ses pièces pour atteindre son but.
Le Dragon posa une carte « fourberie », une sorte de joker, et abattit le magicien sans toucher aux autres pièces.
— Bien joué ! fit le Serpent d’un air faussement jovial.
En même temps, il constata avec satisfaction que son adversaire venait de jouer sa dernière carte, alors que lui-même en avait encore trois.
Il posa une « résurrection », remit son magicien en jeu et le déplaça vers un cercle de pouvoir ou il échangea trois jetons violets contre un golem d’acier.
— Je passe ! Fit le dragon d’un ton neutre.
Et il piocha une carte.
Le serpent déplaça son golem sur le pion au dragon qui était retourné à sa base… Cette fois, le Dragon réagit promptement et posa son assassin.
— Toujours les mêmes pièces, ricana le dragon. J’ai l’impression que vous êtes au bout de vos ressources.
— C’est à vous, répondit le Dragon.
Le serpent lança son golem à l’attaque avec cinq dés de combat contre trois pour le dragon… mais ce dernier tira un « double magie » et projeta ses pièces dans l’outretemps. Attaque annulée.
À son tour, le Dragon activa son « magicien inconnu » et piocha deux jetons violets. Il s’en servit aussitôt pour acheter une ressource magique : le premier pour payer la ressource et le second pour la prendre face cachée.
— Mesquin ! Grogna le Serpent.
Puis il utilisa deux cartes de sa main et joua son coup… un coup tellement stupéfiant que le Dragon resta quelques secondes bouche bée devant son adversaire.
— Je vous autorise à concéder, suggéra le Serpent.
Le Dragon fit « non » de la tête et piocha une carte…
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