Chapitre 24 - Epilogue

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— Quel rêve idiot…

Eadrom s’éveilla dans son lit. Non pas celui de la tour du château Iontach qu’il partageait depuis des jours avec ses compagnons, mais dans une chambre dont il avait presque oublié l’existence : celle de l’auberge du Cavalier Chantant de Brocéliande ou il avait ses habitudes.

— Les rêves sont toujours un peu bizarres, fit une voix grave. Mais mon grand-père disait toujours : « ce n’est pas grave de faire des cauchemars, le principal est de se réveiller ! »… Et puisque vous êtes réveillé, c’est le moment de prendre vos remèdes. Les guérisseurs l’ont bien recommandé, et GrandOeil lui-même me l’a rappelé hier lorsqu’il est venu prendre de vos nouvelles. Ils vous aideront à retrouver la mémoire.

— Je n’ai jamais perdu la mémoire, protesta Eadrom. Je me souviens parfaitement que nous étions… nous étions… Mais qui êtes-vous ?

Il venait de réaliser que l’homme qui partageait sa chambre ne faisait pas partie de ses compagnons, ni même du personnel de l’auberge. Il portait une tenue d’écuyer avec un blason parti au premier d’or au castel de sable et au second de sable au loup d’or… Ces couleurs indiquaient une parenté au moins par alliance avec les Iontach, mais il n’avait jamais vu ce blason.

— Victorin Louvier, pour vous servir monseigneur. Si vous ne vous souvenez pas de moi, vous avez bel et bien perdu la mémoire, au moins en partie… cela fait deux ans que je suis votre écuyer, j’étais à vos côtés lors de la bataille des Blanroc contre Charcos et je vous ai aidé à conduire votre prisonnier auprès du druide Osric… nous avons vécu d’autres aventures ensemble, mais en raison d’une mauvaise chute de cheval, je n’ai pas pu vous accompagner lorsque vous avez escorté Antonius jusqu’à la tour de Nécros. Vous vous souvenez à présent ?

— Victorin Louvier, répéta Eadrom. Ce nom me dit effectivement quelque chose…

— Ah, c’est un bon début. Nos compagnons… ou plus exactement vos compagnons puisque je n’ai pas eu la chance de partager votre dernière aventure, ont eux aussi souffert de pertes de mémoires, mais moins fortes que les vôtres. L’Archidevin en personne s’est penché sur ce cas d’amnésie collective et il a conseillé les guérisseurs dans le choix des remèdes. En plus d’être devin, c’est un alchimiste remarquable paraît-il… et il se passionne pour les maladies de l’esprit.

— Mes compagnons ? Où se trouvent-ils ? Pourrais-je les voir ?

— Ils sont dans la salle commune, peut-être que la mémoire vous reviendra plus facilement si vous les revoyez. Vous pourriez en profiter pour lire les lettres que votre père, le baron Iontach, a envoyé pour s’inquiéter de votre état et lui répondre le rassurer.

— Le baron ?

— Vous avez aussi oublié votre baronnie familiale ?

— Non non, pas du tout… mais je sors d’un drôle de rêve et tout est encore mélangé dans ma tête… Je vous remercie de votre dévouement et je vais prendre mon remède, je les rejoindrai ensuite.

* * *

Les compagnons d’Eadrom étaient en effet dans la salle commune de l’auberge, Fizran était engagé dans une passionnante partie de cartes-batailles avec un jeune magicien en qui Eadrom reconnut Archibald Ascoviel, qu’il avait déjà rencontré en compagnie d’Antonius. L’apprenti-nécromancien était plongé dans un livre de généalogie tandis que Fradj broyait du noir en accordant son luth.

— L’assassin tue le sorcier ! s’exclama Archibald.

Eadrom tourna la tête de surprise. Le magicien se justifia aussitôt.

— Non je n’ai pas triché… lorsque les cartes de combat sont dévoilées, il est permis de jouer une carte événement supplémentaire et il me restait un assassin en main… Vous avez perdu cette manche, maître Fizran. L’assassin est une carte redoutable.

— Vous ne croyez pas si bien dire, reconnut Fizran. Je reconnais ma défaite.

L’assassin – le vrai – semblait nettement plus en forme que lors de leur mission ou il devait ingurgiter des potions de belladonne… et plus jovial aussi.

— Comment vous sentez-vous Messire Eadrom ? Vous me semblez en forme pour quelqu’un qui vient de passer plus d’une journée sans ouvrir l’œil.

— Trop dormir épuise, répondit Eadrom en s’installant à la table de ses compagnons. Victorin, voulez vous commander un pichet de rosé et cinq gobelets… non six, vous en prendrez bien un n’est-ce pas ?

— Bien sûr Monseigneur, répondit l’écuyer avant de s’éloigner.

Profitant de la distraction d’Archibald qui rangeait les cartes, Eadrom murmura à l’assassin :

— Bien des choses ont changé depuis notre retour… Me voilà fils de Baron. J’espère que je reconnaitrai ma famille lorsque je repasserai en Bretagne du nord. Et de votre côté ?

— Je n’ai jamais pris de potions de belladone et je ne m’en porte que mieux… C’est curieux car je me souviens encore de ces longues heures à rechercher les ingrédients et de ces abominables maux de têtes à chaque réveil… mais figurez-vous que, quelques jours après ma fâcheuse rencontre avec « lupin », un loup garou natif est venu me trouver et m’a offert son aide, par respect envers une quête familiale qui remonterait à une lointaine époque…

— Je vois, répondit simplement Eadrom en observant Victorin qui prenait les commandes. Et pour nos compagnons ? Fradj semble bien silencieux…

— C’est un scandale ! s’exclama le gnome.

— Quoi donc ?

— Oh, il ne faut pas lui en vouloir, intervint Archibald. Il souffre lui aussi de pertes de mémoire, et il est persuadé d’avoir écrit lui même les ballades comiques de Frajdebar… tout le monde le traite d’imposteur, mais c’est une simple maladie… il s’en remettra.

— N’empêche, que c’est moi qui les ai écrit, grogna le barde.

— Frajdebar ? S’interrogea Eadrom.

— Oh, vous n’allez pas me dire que vous avez aussi oublié Frajdebar ? C’est le barde le plus extraordinaire de Bretagne, On lui doit en particulier le recueil de la guerre des orques, avec entre autre : Le Sorcier au Poignard Maudit, Le Guerrier à l’Armure Dorée, Le Chevalier au Dragon, le rusé Barde de Castelforge, et son chef d’œuvre : Les exploits du Chevalier Hercule. Il s’agit bien sûr d’œuvres fantaisistes, mais après plus de mille ans, elles sont encore populaires… je dirais même légendaires.

— Oooh ! S’exclama Eadrom avec une compassion sincère pour le barde.

— Bref, reprit Archibald, j’étais venu prendre de vos nouvelles et vous apporter le certificat d’orthodoxie de la boussole à golem, signé par le Haut-magistère Liorel Arcanor et contresigné par l’Archidevin GrandOeil… La dague de Nécros ayant disparue dans le néant achronique au moment ou ce fameux golem a attaqué l’université, on peut dire que la succession de Nécros est close.

— Effectivement, l’affaire est réglée, conclut Fizran, visiblement satisfait.

— Qu’en pensez, Antonius ?

Le jeune nécromant daigna enfin sortir le nez de son livre.

— Oh ? Excusez-moi. J’étais en train de consultez le registre généalogique des familles de Bretagne du Nord… Savez vous que les « Lecordon », une famille parfaitement ordinaire de la région de Iontach, a été la souche d’une douzaine de mages renommés ?

— Et cette histoire le passionne, ajouta Archibald, depuis qu’il a découvert que le premier mage de la famille portait le même prénom que lui… Antonius Lecordon, né de père inconnu… je présume que cette recherche intensive l’aide à s’occuper l’esprit. Certaines personnes ont besoin de ne penser à rien pour lui remettre les idées en place, et d’autres préfèrent se remplir le crâne d’un tas de connaissances futiles… Antonius est de la seconde catégorie, et c’est ce qui fait son charme.

— Antonius, vous vous faites du mal inutilement, conseilla Eadrom. On ne peut pas revenir en arrière.

La conversation se tarit rapidement et Archibald prit congé de la compagnie, c’est le moment qu’Eadrom attendait pour poser une dernière question à Fizran.

— Je suis un peu étonné que la milice ne soit pas venue vous « interroger » sur la mort de Nécros et votre présence dans notre groupe…

— C’est que la milice n’est au courant de rien, répondit l’assassin. Les rares personnes qui sont au courant de notre équipée : GrandOeil lui même, le capitaine des magelames et quelques « haut-magistères » qu’il était impossible de laisser dans l’ignorance, ont estimé plus prudent d’oublier l’affaire… La disparition de Nécros n’est pas vraiment considéré comme une perte. Mais ceci dit, il est préférable que je quitte la région, ma présence pourrait en inquiéter certains.

— Et quels sont vos projets ?

— Ah, mes projets… s’exclama Fizran avec un sourire. Il se trouve que je me suis pris d’une passion pour une activité déjà pratiquée par la famille de votre écuyer depuis des générations… La chasse aux loups-garous.

FIN

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