Chapitre XVI : Le relais du vieux moulin

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 La caravane était repartie sur la route du relais. Le ciel ennuagé, qui avait laissé planer ses menaces depuis des heures, s’était décidé à répandre ses eaux sur le convoi. Progressivement, la pluie se mit à toquer dans un rythme toujours plus entraînant sur le toit de la dernière roulotte du convoi. Assis sur une caisse, Paflos faisait glisser une pierre à aiguiser, qu’un gobelin lui avait prêté, sur son épée. Face à lui, Arion était installé contre l’une des fenêtres de la roulotte, et perdait son regard sur le paysage. Ayaron, à qui on avait confié le soin de surveiller les étrangers, était installé à côté du jeune sorcier et face à Fleur d'Épine qui, la jambe gauche repliée sur son torse et la main sur les yeux, semblait chercher le calme.

–Par pitié, Paflos, tu ne veux pas arrêter de branler ton épée ? s’insurgea la félidée.

–Je ne “branle” pas mon épée, je l’entretient.

–Fait ce que tu veux avec mais fait le en silence, ou je sens que je vais devenir dingue…

–Ne vous en faites pas, j’ai bientôt fini de l'aiguiser. Vous avez de l’huile de lin ?

–Désolé, mais on est à court de tout ce qui va être huile. répondit le gobelin. On a à peine de quoi allumer nos lampes, ça fait huit jours qu’on tire sur nos fonds de réserve.

–Dommage… Elle en aurait eu bien besoin.

 A ses mots, Paflos caressa doucement le tranchant de sa lame avec son ongle, cherchant la moindre faiblesse dans son tranchant, avant de reprendre son aiguisage. Intrigué, Ayaron osa demander :

–Elle a un nom ?

–Qui donc ? Répondit l'homme d’armes.

–Ton épée. Toutes les épées ont un nom, non ?


 Un sourire amusé naquit au visage de l’homme, qui ajouta sur un ton didactique :


–C’est l'apanage des rois et des héros de légendes de donner un nom à leur épée. Moi, je ne suis qu’un simple soldat.

 Le gobelin fit la moue, et se recula sur son assise.

–N'empêche que sur ma tête, je suis sur qu’elle aurait un nom, ça claquerait quand même pas mal. Même pour tes ennemis, être tué par une simple épée… Bof-bof, hein. Alors qu'être tué par “la vaillante”, ou “l'annihilatrice”, ou bien “la tueuse des partisans du Mashmid”... Raah, vie de ma mère, ça a quand même de la gueule.

–L’important quand tu es en combat, ce n’est pas la forme, c’est la technique. Ceux qui donnent des noms à leurs épées sont ceux qui les utilisent le moins.

–Et toi, t’as déjà tué des gens ?

 Paflos eut un petit souffle du nez amusé devant la curiosité morbide de son interlocuteur, mais répondit :

–J’avais à peine vingt ans quand le Tyran a usurpé le trône-lige. J’ai toujours essayé de me tenir loin de ses affaires, et lors de la guerre qui l'a renversé, j’étais déjà en faction à Alpénas depuis quelques années. Mais oui, si tu veux une réponse, j’ai déjà tué des gens. Peu, et uniquement dans le cadre de mon travail.

–Par pitié, raconte donc !

–Ce n’étaient que des brigands, rien qui vaille la peine d'être raconté. fit Paflos en finissant d’inspecter sa lame. Mh, oui, je crois qu’elle est bien comme ça…

 Puis il sortit son fourreau, et rangea sa lame, provoquant un soupir de satisfaction de la part de la félidée.

–Eh bien pas trop tôt, un peu plus et j’allais continuer à pinces.

–Pas possible. intervint alors le gobelin.

–Pourquoi, t'as peur que je fonde sous la flotte ?

–Non mais le patriarche a dit que je devais garder un œil sur vous trois. Ils m’as dit “s’ils font n’importe quoi c’est de ta faute”, j’ai dit “ok”, il a ajouté “alors tu va les surveiller”, j’ai dit “ok”, il m’as dit “juré ?”, j’ai rép–...

–Oui bon, ça va, on a compris…

–Désolé, le chef est du genre méfiant envers les autres races.

–Comment lui en vouloir… murmura doucement Arion, sans se détourner du paysage.

 Comme gêné par les paroles du plus jeune, Ayaron n’osa rajouter quoi que ce soit. Arion, pour sa part, resta silencieux, Il ne pouvait que comprendre le rejet, pour ne pas dire la haine, qu'éprouvait Ornav pour les autres races. Ce qu'avaient vécu les siens était juste innommable, comment en pouvait-il être autrement ? Il ne pouvait imaginer les larmes innombrables que tout un peuple avait dû verser pour toutes ces vies arrachées, et qui se répandaient en torrent sur tout l’Ilderaas. Quel avait été son rôle dans ce drame ? Quel avait été son rôle dans tous les drames du règne de Xatarsès ? Questions auxquelles ils ne parvenaient à trouver la réponse. Pourtant si ce voile lui dissimulait sa vie passée, il ne pouvait oublier les cris, la douleur, la haine qui le hantait presque soir après soir. Et de ce regard, taillé dans la pierre. Celui de cette mère naine, sur cette sculpture de Silverberg. Des milliers de civils tués pour l’exemple…

 Soudain le jeune sorcier se redressa, et se tourna vers le gobelin. Il voulait s’excuser, il le devrait s’il voulait ne pas être consumé lui aussi par ces flammes écarlates qui le terrorisaient. Mais alors qu’il ouvrit la bouche, rien ne sortit. Pas un son, pas un souffle, comme s’il était incapable de le dire. Comme si aucun mot n’était assez lourd, assez sérieux pour se confronter a l’horreur.

–Arion, tout va bien ? s’enquit la voix chaleureuse de Paflos.

–Oui, oui… Pourquoi ?

–Parce que tu pleure, gamin. répondit le gobelin.

Surpris, Arion passa ses doigts sur ses joues, humide. Il n’avait même pas senti couler ses larmes.

–Oui, désolé… Je suis épuisé…

–Repose-toi, on ne sera au relais que dans quelques heures.

–Oui, vous avez raison… Désolé…

 Murmura le jeune homme, avant de venir se caler dans un angle de mur. Du coin de l'œil, il regarda son ami. Que la chaleur de ses bras lui manquait… Arrivera-t-il à dormir sereinement sans eux ? De toute manière, il n’était même pas sûr de vouloir dormir. Malgré cela, la fatigue le poussa à fermer les yeux. Au-dessus de lui, le son de la pluie berçait son esprit, qui peu à peu, perdit pied avec les chuchotements de Paflos et d’Ayaron.

*****

–Arion, réveil toi, on est arrivé.

 Doucement, Arion ouvrit les yeux. Le soleil, qui perçait à présent par les fenêtres, l’éblouissait. Pourtant il reconnut sans hésiter cette voix, si profonde, si rassurante.

–Paflos… Quelle heure est-il ?

–Le soleil est près de son zénith

–Déjà…

 Alors, bien qu’encore cotonneux, Arion quitta son coin de mur. Puis, suivi de Paflos, il sortit de la roulotte. Les nuages, bien que marquant encore ça-et-là le ciel de taches grises, avait laissé place à un grand soleil, qui venait rutiler dans les flaques qui se lovaient dans les ornières de la route. Longeant cette dernière, une large rivière laissait son courant s’éloigner vers le levant. Elle était enjambée un peu plus loin par un un impressionnant moulin. Le bâtiment, aux allures de pont aux hautes arches, était délimité de part et d’autre du cours d’eau par deux tours carrés. Sur la rivière et entre chacune des piles se trouvaient cinq grandes roues à aubes. Cependant seule la plus proche d’Arion était entraînée par le courant. Les autres, aux airs bien plus endommagés, étaient presque immobile, et ne remuaient que légèrement au gré des flots.

 Assis sur un rocher bordant la rivière, Ayaron semblait perdre son regard sur la structure. Lorsqu’il entendit les deux hommes sortir de la roulotte, il se tourna vers eux et leur dit, un sourire aux lèvres :

–Impressionnant, hein ? Je me lasserai jamais de le regarder a chaque fois que je passe devant

–Il a l’air plutôt mal en point, non ? demanda Arion.

–Mh, c’est sûr il a connu des jours meilleurs… Enfin bref.

A ses mots, le gobelin se leva et se mit à remonter vers les premières carrioles de la caravane.

–Venez, suivez-moi, votre copine vous attend au relais.

 Les deux hommes le suivirent alors. Plus en avant sur la route, au niveau des premières roulottes du convois, se trouvait une sorte de grand corps de ferme en brique couvert d’un torchis blanc crème écaillé. Ce dernier était entouré de deux bâtiments plus petits, formant dont le quatrième côté était fermé par un mur en brique percé d’un portail grand ouvert. Au sommet de ce dernier pendait une pancarte qui, en plusieurs langues, précisait : “Relais du Carrefour du Vieux Moulin”.

 La cour du complexe semblait envahie par les gobelins du convoi. Tous s'affairaient ca et la avec les divers commerçants et artisans du relais. Certains échangeaient des marchandises essentielles à leurs voyages contre des babioles fabriquées main, d’autres négociaient la réparation de leur roulotte. Le tableau se complétait par les jeux des enfants, certains gobelins, d’autres vivant ici avec leurs parents, s’amusaient bruyamment autour de leurs aînées.

 Arion ne put s'empêcher d’avoir un sourire devant cette scène. Tout ici semblait si loin de l’horreur qu’avait vécu ce peuple, et de cette méfiance, pour ne pas parler de haine réciproque qui semblait hanter les paroles du patriarche. Ce dernier n’était d’ailleurs pas sorti de sa roulotte.

–Bon, eh bien nos chemins vont bientôt se séparer. fini par dire Ayaron, tirant Arion de ses réflections. Sur la tête de ma mère, ce fut un plaisir de vous rencontrer.

–De même, Ayaron. répondit Paflos. Encore désolé pour le comportement de Fleur.

–T’inquiète pas, grand. Je peux pas en vouloir à une belle fleur d’avoir sorti ses épines. répondit dans un rire le concerné, visiblement content de son jeu de mot. Allez, bon vent vous trois.

–Que les dieux veillent sur votre caravane. ajouta l’homme d’Armes

–Et sur votre route.

 Sur ces paroles, le gobelin s’éloigna vers un des artisans du relais, laissant Arion et Paflos seul. Le plus jeune vint alors inquisiter son aîné :

–Tu l'appelles Fleur maintenant ?

–C’est plus court, et bien moins chargé en sous-entendu. Fleur D’épine, c’est un nom de guerre qui ne laisse aucun doute sur l’identité de la personne. Alors que juste Fleur, c’est un prénom comme les autres.

–Mh, si tu le dis. répondit Arion dans un rictus.

–Je vais aller voir si je peux trouver quelques provisions pour notre route. A tout de suite.

–Oui, à tout de suite…

 Paflos s’éloigna alors à son tour, laissant Arion seul. Même s’il essayait de ne pas le montrer, cet élan de familiarité envers la félidée avait provoqué en lui une douloureuse sensation, comme si son cœur s’était soudain resserré. Depuis quand Paflos accordait-il autant de considération à une femme de petite vertue comme Fleur d’Epine ? Cette belle de nuit était de toute manière à la fois trop chère et pas assez bien pour lui. D’ailleurs où était-elle ? Sans doute en train de tapiner. Arion fut soudain tiré de ses réflections par une voix féminine qu’il ne connaissait que trop bien.

–Dit, môme, t'aurais vu Paflos ?

–Hein ? Non, pourquoi ? répondit sèchement le jeune homme en se retournant vers son interlocutrice.

–Ça va, môme ? Tu tires une de ces têtes.

–Mh ? Oui, oui… Je suis pas encore bien réveillé…

–Si tu le dis. J’ai négocié une chambre pour ce soir au tenancier du relais.

–Avec ton corps je suppose.

–Bah euh… Non, avec de l’argent que m’as donné la maquasse avant de partir. Mise sur mon ardoise, certes, mais c’est déjà ça de pris.

–Mh, et tu n'aurais pas pu nous le dire plus tôt ?

–Pourquoi faire ? On en a pas eu besoin jusqu’ici.

–Je sais pas, peut être parce qu’on est une équipe, contrairement à ce que tu semble vouloir‌ ? trancha le jeune sorcier en croisant les bras, alors que ses yeux se mirent à briller d’une lueur mauve incandescente.

–Ooooh, il va descendre d’un ton, le mal-baisé.

–Qu’est ce qui se passe ici ?

 Paflos, revenu bredouille de ses trocs, s’interposa presque instinctivement entre ses deux compagnons, comme s’il sentait que le ton pouvait s’envoler. Sa présence calma instinctivement Arion , qui cependant grogna :

–Rien, absolument rien.

–Je disais à ton mec que j'avais réservé une chambre, et voila qu’il s’est mis à exploser.

–Ce n’est pas mon “mec”. rectifia l’homme d’armes, avant de se tourner vers son ami. Arion, pourquoi tu t’en prends ainsi à Fleur ?

 Le sang d’Arion, face aux paroles innocentes de son ami, ne fit qu’un tour. Son cœur se mit à accélérer, alors qu’il se sentait comme perdre pied, engloutit par les appétits insatiables du néant. Ses yeux violacés se mirent à briller avec encore plus d’intensité, alors que sa vue se brouillait sous les larmes.

–Pauvre Con… gémis alors Arion, sans bien se rendre compte de ce qu’il venait de dire.

 Aussitôt, le jeune homme se précipita d’un pas décidé a l’intérieur du relais, laissant pantois tant son ami que la jeune prostituée. A peine a l’intérieur du bâtiment, le jeune sorcier se laissa glisser contre un mur, avant d’éclater en sanglots. Il venait de réagir comme un enfant, il le savait. Et il ne pouvait s'empêcher de s’en vouloir. Pourtant, sa réaction fut comme instinctive, épidermique. Il avait soudain besoin de cracher sa rancœur contre la félidée. Une rancœur qu’il n’arrivait même pas à expliquer, mais qui l'avait soudain pris par les tripes, de tel manière qu’il ne put que la laisser sortir. Quant à Paflos… Par les dieux il l’avait insulté. Il avait insulté son ami, son Paflos…

 Alors qu’il laissait aller son chagrin, une voix vint tirer Arion de ses larmes. Le jeune sorcier ne compris pas au premier abord ce que disait son interlocuteur. Doucement, il releva la tête vers ce dernier. C’était un humain d’une cinquantaine d'années, aux traits fins et au corps élancé.

–Tout va bien, petit ?

–Mh ? Oui, oui, je suis désolé… répondit doucement Arion en essuyant ses larmes. Pardonnez-moi…

–Oh, t’excuses pas, petit. On a tous des coups de pompe. Tu veux en parler ?

–Non… c’est rien de grave. Comme vous dites, juste un coup de pompe…

–Comme tu veux. Si t’as besoin de parler, des fois ça remonte le morale.

–Merci…

 Après un sourire, l’homme regagna sa place derrière le comptoir du relais. Tout en séchant ses joues, Arion se releva et s’approcha de ce dernier. Sans rien dire, l’homme servit au jeune sorcier un verre de lait chaud à la cannelle. Ce dernier, gêné, répondit :

–Pardonnez-moi… je n’ai rien pour payer…

–Tu m’es sympathique petit. C’est la maison qui offre.

–Merci, merci beaucoup… fit Arion en enroulant ses mains autour de la tasse.

 La chaleur du lait, qui irradiait par la tasse, réchauffait délicieusement les mains du jeune sorcier. Sa tristesse s’envola dans les volutes de fumée qui se formaient à la surface du lait. Mais lorsqu’Arion goûta le breuvage, il hoqueta de surprise.

–Mais c’est quoi ce truc ? C’est pas du lait, si ?

 Le patron éclata d’un rire franc devant la réaction du jeune sorcier, et ajouta :

–Pas tout à fait, non. C’est du lait mélangé à de la cannelle et de la farine d'orchidées. Un voyageur elfe nous à rapporté la recette y'a peut-être dix ans. Depuis, on ne jure plus que par ça, ici. Y’a rien de mieux contre le froid, ou les vagues à l’âme. Et puis c’est moins cher et moins dangereux que la bière ou le vin. Tu n'aimes pas ?

–Si, si… C’est juste surprenant.

–Au début, oui. Mais j’aime beaucoup, personnellement. En plus ça nous donne des champs d’orchidées absolument magnifiques, au printemps. Et puis ça nous permet de faire tourner le vieux moulin.

–Que lui est-il arrivé, à votre moulin ?

–Oh, la guerre. Avant, petit, le carrefour du vieux moulin était l’épicentre du commerce des farines dans tout le sud de l’Ilderaas. On moulait des céréales issus des septs royaumes ici même. Puis elles partaient un peu partout, surtout vers le Liosmór. Mais avec la fermeture des routes commerciales vers le royaume des forêts, le moulin à perdu de son importance. Depuis plus d’un an, il ne tourne plus que pour le plaisir des voyageurs s'arrêtant au relais. Il nous fournit en farine de blé, d’orge, et d'orchidées…

 Pensif, le patron se tut quelque instant. Seul le bruit de son chiffon, qu’il utilisait pour essuyer un gobelet en fer, accompagnait les bruits de la foule de gobelins à l’extérieur. Après quelques instant, il reprit :

–Mais bon. Avec un peu de chance, on va bientôt pouvoir reprendre le commerce avec eux. Enfin je sais même pas pourquoi je t’embête avec ces histoires, petit. Et toi, qu’est ce qui t'amène dans le coin ?

–Oh, c’est une longue histoire…

–J’ai tout mon temps. répondit avec compassion le patron.

 Le jeune sorcier lui sourit, puis but une nouvelle gorgée de son lait, avant de répondre :

–Je viens d’Alpénas, avec un ami, nous…

 Arion s'arrêta net, et se tourna vers la porte. Les bruits du dehors semblaient différents, moins cordiaux, plus… Effrayé ? Soudain, Paflos et Fleur d'Épine entrèrent brusquement à l'intérieur.

–Ils arrivent !

–Qui ça ? sursauta Arion.

–Les hommes du tyran !

–Ils nous ont suivi ?!

–Il faut croire, on doit se cacher !

 Arion se leva alors, prêt à suivre son ami. Mais alors qu’ils allaient quitter le bâtiment pour fuir sans bien savoir ou, le patron donna un violent coup de talon dans le plancher, faisant basculer une trappe dissimulée. Les trois sursautèrent, et braquèrent leur regard sur lui. D’un air sérieux autant que flegmatique, ce dernier leur fit :

–Cachez-vous la. J'utilisais cette planque pour cacher des gobelins, pendant le règne du Tyran. Ils ne vous trouveront pas ici.

–Merci, merci infiniment. répondit Arion en s’approchant de la trappe.

–Vous me remercierez après leur départ. Allez, dépêchez vous.

 Aussitôt, les trois descendirent par une échelle de corde dans la planque, qui retourna dans l’obscurité lorsque le patron en referma l’accès. Alors, chacun d’eux tenta d'être le plus discret possible. Le cœur du plus jeune battait la chamade. Il n’osait même pas respirer. Au-dessus d’eux, le plancher se mit à trembler sous les pas des disciples. Ils devaient être une demi dizaine rien qu'au-dessus d’eux. L’un d’eux, d’une voix de stentor, hurlait des mots qu’Arion parvenait difficilement à entendre.

–Où sont-ils ?

–Les gobelins ? Dans la cour, vous ne les avez pas vu ?

 Un bruit de casse suivit la remarque du patron. Arion sursauta, sa respiration accélérait de manière incontrôlée. Une nouvelle voix, féminine et doucereuse, repris :

–Un jeune homme, blond, cheveux long, avec les yeux rouges. Un autre, grand et costaud, aux cheveux gris. Et une félidée

–Mh… Blond aux cheveux longs ? Non, comme ça, la, ça ne me dit rien.

–Arrête de cacher des choses au Maître. grogna l’homme. On sait que tu cachais des saletés de gobelins lors de son règne. Ça devrait nous suffir à le supplicier. Parle ou on te fait frire la langue.

–Sans la retirer de ta bouche. Tu verras, c’est très douloureux. ajouta la femme.

–Allons messieurs dames, vous n’allez pas en venir à de telles extrémités ? Tiens, je vous offre un verre.

 Un second bruit de casse tonna. Arion hoqueta de terreur, qu’il ne masqua que par une de ses mains. Sentant la terreur de son ami, Paflos laissa doucement la sienne glisser jusqu'à la seconde du plus jeune, avant de venir entrelacer leurs doigts. Ce simple geste calma presque la terreur du jeune sorcier. Qu’il pouvait etre stupide. Comment avait-il pu douter à un seul instant de l’affection de son ami ?

–C’est… La seconde bouteille que vous me briser, mais c’est pas grave. Ça se rachète. Vous… Avez-vous pensé à demander aux gobelins ? Vous savez ces gens là, avec tous leurs voyages, ça voit tout, ça sait tout. C’est bien connu.

 Le patron, en disant ces mots, recula un peu. Le bois de la trappe craqua, et un mince filet de lumière pénétra dans la cache, avant de disparaître sitôt le pied de l’homme retiré. Mais le mal était fait.

–Qu’est ce que c’est que ca ?

–Ca ? Un plancher abîmé. Ca fait des jours que je doit le réparer, mais vous savez ce que c’est, le temps manque, des fois.

–Éloigne-toi de la ou je te pends ! cria le disciple masculin en s’approchant de la trappe.

 Ce dernier se mit alors à gratter, cherchant un moyen de l’ouvrir. Cette dernière se mit à gémir, laissant passer ça et là quelques rayons de lumières. Tétanisé, Arion resta là, presque sous la trappe, avant d'être tiré en arrière par son ami, qui le colla contre le mur.

–Voyons, ne vous acharnez pas comme ça sur mes planches, vous allez me les casser pour de b–...

 Le bruit d’un coup, suivit d’un gémissement de douleur, se suppléa aux mots du patron. Du coin de l'œil, le jeune sorcier put voir la lumière d’au dessus se refléter tour à tour dans la dague de Fleur d'Épine et dans l’épée de Paflos. Soudain, un trou s’ouvrit juste derrière Arion, manquant de le faire tomber en arrière. Alors qu’il se retournait, il vit Ayaron, l’air a la fois soulagé et terrifié. De la voix la plus basse possible, il leur dit :

–Venez, suivez moi. Je connais une planque plus sur qu’ici.

 Les trois se regardèrent, mais comprenant que leur salut reposait sur cette seule issue, ils s'y engouffrèrent aussitôt, alors que le gobelin refermait derrière eux. A peine le passage refermé qu’ils entendirent la trappe s’ouvrir, et le disciple dire :

–Y’a rien ici.

 Arion, qui suivit le gobelin dans le boyau, n’entendit pas la suite de la conversation. Ils sortirent rapidement au pied d’un rocher faisant face au vieux moulin. et situé à deux pas de la dernière roulotte. Ayaron inspecta rapidement les environs, avant de dire aux trois autres :

–Dépêchez vous, ils arrivent…

 Prestement, il sortit du trou, suivit d’Arion, qui tenait toujours la main de Paflos, puis de la félidée. Puis tous les quatre se glissèrent sous la roulotte. D’un geste sur le plancher de cette dernière, le gobelin dégagea un espace secret, avant de presser les trois de monter dedans. L’espace était exigu, mais ils parvinrent à y entrer. Cependant, avant que le gobelin n’ai le temps de refermer la cache tonna une voix, une voix qu’Arion aurait reconnu entre mille. C’était le manchot.

–Qu’est ce que tu fais là, gobelin ? Sort d’ici tout de suite !

–A vos ordres messires… répondit Ayaron en remontant. Je n'étais qu’en train d’humblement réparer les essieux de mon chariot.

 Arion, le plus proche du trou, tenta alors de fermer lui même leur cachette. Mais le mécanisme restait immobile.

–Tes essieux, hein ? Perfide créature. Que caches-tu sous ton chariot ?

–Moi ? Rien. Sur la tête de Tata Tzofia. Je vous dit, si j’étais descendu c’est pour m’assurer que tout mon truc n'allait pas foutre le camp. Tenez, l’autre jour, y’a un clou qui dépassait, eh bien si je l’avais pas enfoncé, tout mon plancher serait parti en vadrouille.

–Tais toi ou je te fais taire.

 A ses mots, la main s’approcha du chariot et sembla l'inspecteur longuement, avant de claquer des doigts. Deux personnes montèrent alors à l'intérieur, et commencèrent, d’après les bruits, à retourner l’intégralité de la roulotte. Pendant que ses hommes fouillaient la caravane, le manchot s’approcha des essieux. Arion, de son coté, tentait toujours de fermer cette fichu trappe, sans succès.

–Nan mais je vous jure, Lilchotz al ha-masmer, y’a rien là dedans, à part mes affaires.

 Alors qu’Arion sentait son souffle accéléré de nouveaux, Paflos pointa du doigts un clou qui dépassait nonchalamment sur le pourtour du passage, tout en lui murmurant a l’oreille :

–Appuie sur le clou.

 Fichu pour fichu, Arion s’exécuta. Le clou s’enfonça alors à sa place, alors que la trappe se refermait sans un bruit. Juste à temps pour échapper au regard inquisiteur de la Main. Ce dernier, doucement, murmura :

–Arion… Sort de ta cachette… Vient à moi, et ton ami aura la vie sauve…

 Seul le silence lui répondit.

–Allons, petit… N’as-tu pas envie de connaître la vérité sur ce que tu es ? Sur tes souvenirs ? Allez, viens à moi… Sort de ta cachette…

 Doucement, entre ses doigts, la main de son ami se resserrait, comme pour le protéger de la tentation. La vérité… Était-elle assez précieuse pour risquer la vie de Paflos ? Avait-il seulement envie de l’entendre ?

 Rapidement, la Main se releva et s’éloigna, laissant pour Arion la pression retomber. Après avoir fini leur ramdam, les deux fanatiques sortirent de la carriole. Venant du relais, cinq autres personnes s’approchaient.

–Rien la haut, chef.

–Rien là dessous non plus… Astria, du nouveau ?

 L’une des personnes arrivant du relais, une femme, répondit alors :

–Rien du tout. On a trouvé une cache, mais elle est vide.

–Normal, c’est une cache de gobelins. Vu qu’on est là, on peut pas être dedans. fit Ayaron sur un ton doucereux.

–La ferme, sale gobelin. siffla la femme.

–Ou peut-il être, par tous les dieux…

–Pardonnez mon impudence, mais vous cherchez quelqu’un ?

–Tais toi, ou je te saigne comme un porc !

–Il suffit, Astria. Nous recherchons un humain, d'à peu près vingt ans. Yeux rouges, cheveux blonds.

–Mhhh… Ma mémoire me joue des tours. peut-être qu’une petite pièce…

 Un bruit sourd raisonna dans la carriole. Ayaron venait d'être plaqué contre cette dernière. La femme siffla alors.

–Je te déconseille de te jouer de nous, sale sous-race. Ou je te forcerai à assister à la mort de tous les tiens.

–Ça va, ça va ! Je l’ai vu, avec un grand baraqué et une félidée !

–Ou ça ?! s’impatienta la main.

–Dans les montagnes ! Ils m’ont pris pour un des vôtres, la félidée m'a menacé avec un couteau !

–Pour un des nôtres ? Rien que pour cette insulte je devrai te dépecer vif.

–Assez, Astria ! Parles, gobelin. Ou sont-ils aller ?

–Ils nous ont suivi jusqu’ici, puis ils ont continué leur route, je dit ca, ca devait etre y’a bien deux heures. Je crois qu’ils devaient aller à Tursil Ansar ou un truc du genre ! Sur ma tête, je vous jure !

–Et merde ! s’énerva la Main en plantant ses griffes dans la carriole.

 Fleur d'Épine sursauta alors. Les lames de la Main s'étaient plantées à quelques centimètres de son visage.

–Pressons-nous. s’impatienta la femme. Tuons-les rapidement et mettons nous à leur poursuite.

–Non. Nous n’avons pas le temps pour ça, il faut mettre le moins de temps entre eux et nous.

–Tu vas laisser ces sous-races en vie ? Le maître risquerait de ne pas apprécier.

–Tu préfèrerais te présenter à lui sans son parfait mais avec la tête de ces gobelins, ou bien l’inverse ? Maintenant cesse de contester mes ordres et réunis les troupes, nous partons. Toi et quatre hommes sur la route de Tarcaya, moi et les autres sur la voie royale. Ils ne nous échapperont pas.

–Euh messire ? demanda timidement Ayaron. Si ça ne vous dérange pas, on va filocher.

–Disparaissez de ma vue, ou je te crame toi et ta famille. répondit dans un grognement sourd la Main.

–A vos ordres ! fit Ayaron avant de crier à sa caravane quelques mots dans sa langue.

 Peu après, la roulotte se mis en branle, s’éloignant peu à peu du relais et des fanatiques du Tyran, au grand soulagement d’Arion et de ses compères.

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