La horde - 2° partie
— Mais pourquoi toutes ces armes si elle est si puissante ?
Julien réfléchit. Il convenait de ne pas hésiter devant son jeune frère.
— Sa puissance est limitée, c’est pourquoi elle utilise la ruse, raconta-t-il avec gestes et emphase. Elle n’en a attiré que quelques-uns dans les bois. Ils étaient tous devant elle lorsqu’elle s’est dévoilée à eux. Une opération sans risque.
L’imagination du cadet tournait à plein régime. Il ne remarqua pas le mouvement de l’hydre. Après avoir rassemblé et attaché les chevaux, elle les avait entendus. Négligents, le flot de leurs paroles les avait trahis.
— Plaque-toi, chuchota son frère.
Une branche se brisa. La femme sursauta, saisit son arc, hésita, pour finir par avancer prudemment, prête à tirer.
— Qui est-là ? s’enquit-elle.
À quinze pas, elle clama : « Sortez de là tous les deux ». Ils se dévisagèrent, effrayés. L’ainé sortit le premier, l’air penaud.
— Vous êtes du village ?
Sa voix avait perdu de son mordant.
— Oui, madame, mentit-il.
Elle baissa son arme et dévisagea les deux adolescents.
— M’aiderez-vous à venir au secours des habitants ?
Les yeux des garçons plongés dans son décolleté, elle baissa les yeux, grogna et ferma sa chemise. Des boutons, pensa Julien, elle boutonne sa chemise, ce doit être une noble de classe supérieure.
— Oui, madame.
Mieux valait s’assurer la sympathie d’une femme aussi riche et dangereuse.
— À quelle distance se trouve le village le plus proche ?
Un cri se fit entendre au loin derrière elle. Elle se retourna et demanda :
— Qu’y a-t-il là-bas ?
— Rien, madame. Seulement le chemin qui mène à la colline.
— Venez !
Elle longea la forêt au pas de course. Étienne hésita puis, intrigué, la suivit. Après tout, l’hydre leur avait tourné le dos, elle ne leur voulait pas de mal. Se retenant de l’en empêcher, Julien maugréa en lui-même.
Descendant le chemin, cachés par la végétation, une douzaine de personnes entravées, encadrées par quatre hommes en arme, leur apparurent.
— Ils ont retrouvé les fuyards, commenta l’aîné de voleurs.
Les prisonniers étaient de tous âges. Celle que recherchait Étienne ne s’y trouvait pas. Omniprésent, le danger ne l’effrayait plus. Devant lui, l’hydre restait silencieuse. Possédait-elle encore assez de fluide magique pour occire les traîneurs de sabre sans lever un doigt ? Peut-être était-elle en train de se le demander.
Déterminée, elle se retourna vers eux.
— Écoutez, on va libérer les prisonniers. Vous allez faire semblant de me vendre à eux. Vous m’avez trouvée en train de m’enfuir et, maintenant, vous leur faites votre prix. Tiens, toi, prends cette dague. Et toi, cet arc. Moi, je mets les mains derrière le dos, nous leur coupons la route et vous leur adressez la parole, d’accord ?
Peu amène, Julien fixa des yeux l’arme dans sa main. Son frère, lui, hochait la tête, tout heureux d’assister pour la première fois à un prodige. Tout se passerait vite. Les pirates changés en pierre, il irait délivrer Marlenne et lui raconterait ce qu’il avait vu. De ses yeux vu !
L’hydre, qui avait gardé sa voix doucereuse, leur détailla son plan. Le groupe approchait. Elle se passa de la terre argileuse sur le visage et déboutonna le haut de sa chemise. C’était le signe ! Elle allait utiliser sa magie. Une idée qui excitait le cadet. « Maintenant ! dit-elle. » Elle se positionna au centre du chemin, suivie de près du cadet. Il la poussait, tel que le définissait son rôle. D’un signe de tête, il chercha à convaincre son frère de les suivre.
.oOo.
Antoine Raley se rattrapa de justesse. Le jeune homme lié à lui venait de s’écrouler. Autour d’eux, les tortionnaires s’étaient figés, les contraignant à s’arrêter. Par devant, trois personnes leur coupaient la route : une jeune femme blonde, entravée, dirigée fermement par un garçon et un adolescent au pas traînant. Tous deux étaient armés.
Sous une forte poussée, la femme tomba à genoux. Les traits tirés, les cheveux en bataille, le visage tourné vers le sol, elle était exténuée. Ses bourreaux avaient abusé d’elle.
Les deux groupes se jaugeaient. Le jeune garçon, hésitant, se tournait fréquemment vers son compagnon. Puis, d’une voix peu assurée, il clama :
— Combien pour cette jeune beauté, seigneurs ?
Il saisit les cheveux de la femme et les tira en arrière. Ni la crasse ni la douleur ne ternissaient sa beauté. Sa poitrine gonflait le tissu, s'offrait aux regards gourmands, augurait de douces promesses aptes à remuer les entrailles des hommes.
Antoine Raley reconnut les deux frères : deux voleurs invétérés qui s’introduisaient souvent dans sa propriété. Pas étonnant que ces petits démons pactisaient avec la lie de l’humanité ! Deux pirates avancèrent à leur rencontre. Quoi qu’ils leur auraient fait subir, son traitement allait empirer.
.oOo.
D’ordinaire, Étienne aurait craint ces hommes. Cette fois, il se demandait seulement ce que l’hydre attendait. Bientôt, ses mains faussement liées dans le dos ouvriraient promptement la chemise et les deux compères se transformeraient en cailloux. Incapables de détourner leur regard, la magie punirait leur avidité.
Mais les villageois ? Saurait-elle doser l’impact de son fluide mortel ? Peu importait, les dés étaient jetés.
Le sourire lubrique du pirate le plus avancé parlait de lui-même : soumis à son charme, il se courbait déjà pour la toucher. Qu’attendait l’hydre ? Son pouvoir agirait-il de si près ? Soudain, tout s’enchaîna. Une main assurée saisit une lame sortie de nulle part qui transperça le palais du barbu. Son compagnon, figé, l’œil écarquillé, en écopa d’une autre à la jambe, suivie d’une troisième à la poitrine.
— Arc ! ordonna l’hydre.
Étienne mit du temps à réagir. La surprise avait été totale. Devait-il regretter l’absence de magie ? Elle les avait attirés par la ruse, puis les avait atteints à bout portant. Une dextérité implacable. Mais… le signal ! Elle avait donné le signal ! Elle ne désirait pas les pétrifier, de peur de nuire aux villageois, elle quémandait arc et carquois.
Elle les pourfendrait avec grâce, beauté et adresse, comme la première fois.
.oOo.
Deux ravisseurs régnaient encore en maître sur le groupe de prisonniers. Ces derniers traînaient à genoux, entravés par groupe de deux. L’aîné des pirates réagit le premier. Avec un arc, la blonde resplendissante deviendrait plus dangereuse encore. Réagir, il fallait réagir ! Il se précipita sur une enfant jusqu’à s’accroupir derrière elle, un couteau plaqué contre sa gorge.
— Baisse ton arc ou je la tue ! hurla le ravisseur.
L’hydre visait la tête du brigand, sans oser tirer. Étienne se reprocha d’avoir réagi si lentement. Plus prompt, elle l’aurait déjà abattu. Sa vitesse de réaction l’avait abasourdi. Concentré sur la magie, il en avait oublié les armes traditionnelles.
Elle était là, féline. Elle refusait d’obéir à l’injonction.
— Gus, détache la petite, que je puisse l’emmener, et protège-toi derrière une autre.
Le plus jeune des bandits s’appelait Gus. Sans doute le plus surpris de tous, il n’avait pas bougé d’un pouce. Malgré l’ordre de son aîné, il demeurait immobile.
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