La horde - 7° partie / Le village
La récolte promettait d’être belle. Deux groupes d’esclaves avaient déjà embarqué. Les caisses réquisitionnées, emplies de richesses et de victuailles n’attendaient plus que leurs porteurs.
Positionné au beau milieu de la voie principale, non loin des embarcations, Jordan contrôlait la situation. Et justement, il s’impatientait. Une partie de ses ordres restaient en suspens. Ses équipiers devenaient négligents, prompts à profiter du butin, lents à remplir les caisses. Ni l’évadée aux cheveux d’or ni les fuyards de première heure n’avaient été retrouvés. Sans nouvelle de son équipe, il ignorait si l’un d’eux avait réussi à prévenir les localités voisines. Il hésitait à écourter son séjour sur Grande-Île.
Et que fabriquaient les rançonneurs du haut-village ? Un tiers de ses hommes manquait à l’appel. Un groupe avait été envoyé s’enquérir de la situation. Il allait falloir en envoyer un second.
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Étienne, qui connaissait toutes les caches et détours du village, décida d’inspecter les environs. La mère de Marlenne la pleurait, il lui avait promis de la retrouver.
Quatre voies, toutes parallèles à la rivière, coupaient la commune. Des chemins de traverses séparaient les blocs d’habitations, permettant le passage de l’une à l’autre. Sombres et étroits, accessibles à une ou deux personnes de front, ils représentaient un trajet idéal pour un voleur de son acabit.
Une obscurité relative régnait dans ce passage, il avançait rapidement. Devant lui, la rue principale. L’agitation qui y régnait ne dépendait que des pirates. Il ralentit, prêt à détaler au moindre bruit suspect.
Accroupi, il dépassa légèrement la tête. Ce qu’il vit le remplit d’effroi. À sa gauche, de l’autre côté de la rue, des enfants, adolescents et jeunes filles attendaient, entravés deux à deux, en pleurs. Il en dénombra douze à cet endroit, et quinze un peu plus loin. Leurs gardiens attendaient passivement, le visage orienté vers la rivière.
Le plus âgé des garçons était à peine plus vieux que lui. La plus âgée des filles dépassait la vingtaine. S’il avait été pris, il attendrait certainement avec eux.
De son point de vue, il n’apercevait pas Marlenne. Il lui faudrait retourner en arrière pour espérer les voir tous. Mais il y avait plus urgent : alerter ses amis.
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La maison et l’atelier des Jacquemin ressemblaient à une ruche. Très affairé, le père distribuait ses ordres. Les termes boucliers, cuir, lanières, clous revenaient sans cesse. Ses fils et les frères Sens lui servaient d’apprentis.
— J’ai vu vos deux filles.
Comme s’il s’agissait d’une apparition, tous se tournèrent vers le petit voleur. Il avait résidé dans ce village avant la disparition de ses parents. Ces dernières années n’avaient pas effacé leurs visages de sa mémoire.
— Elles attendent avec d’autres. Je crois qu’ils s’apprêtent à les emmener.
— Les emmener ? s’étonna Gus. Déjà ?
— Où sont-elles ? demanda le père.
— Sur la place du marché.
Henri Jacquemin regarda Paul.
— Vite, se reprit -il, on y est presque.
Et il se remit à l’ouvrage.
Mais où était l’hydre ? Avait-elle le pouvoir de disparaître ? De s’envoler ? Étienne passa de l’atelier au séjour, prenant garde de ne bousculer personne. Penchée, affairée à remplir plusieurs carquois, elle semblait calme, quoiqu’il devinât résider en elle la même détermination présente lors de leur rencontre. Mme Jacquemin amenait des cruches d’eau afin d’épancher les soifs.
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— On est prêt !
À les voir tous occupés, Étienne n’en était pas sûr. Paul prenait ses désirs pour la réalité. L’hydre arrangeait ses cheveux. Monsieur Raley et Baptiste testaient la solidité de leurs boucliers de fortune. Monsieur Jacquemin clouait des pièces de cuir.
Quoi qu’ils préparent, quoi qu’ils fassent, leur groupe resterait en état d’effrayante minorité. Mais la présence de l’hydre rassurait le jeune voleur. Les frères et M. Jacquemin, gonflés à bloc, risqueraient-ils leur vie sans elle ? Seul Gus maniait l’épée à la perfection. Par bonheur, il avait préféré rester plutôt que de s’évanouir dans la nature.
Ils partaient vers un inconnu qui pourrait leur être fatal.
De son côté, Paul fulminait. Sonia se trouvait là, à quelques dizaines de pas seulement. Il donnerait sa vie pour elle. Baptiste ferait de même pour Minille. Henri pour ses filles. Mais que représentaient-ils face à trente à quarante brigands rompus aux armes ? L’aventurière les aiderait, mais elle ne saurait résister à un assaut. Il regretta de ne pas être aussi habile qu’elle. L’entraînement n’aurait représenté qu’une question de temps. De fait, les chances de réussir étaient minces. Une partie de sa vigueur quitta momentanément le bras qui empoignait l’arme. Non, il fallait tout tenter. Il restait de l’espoir.
Fallait-il pour cela entraîner Gabriel avec eux ? Heureusement, Élie avait obéi à l’étrangère. Le frère du jeune voleur et lui galopaient en ce moment prévenir la confrérie des bucherons. Demain peut-être, Élie serait le seul survivant. Ce serait déjà ça.
Elle entra dans la fabrique.
— D’après Gus, assura la jeune femme blonde, les pirates n’ont aucun goût pour le tir à l’arc, une arme pas assez noble pour eux. Vos boucliers nous protégeront efficacement de leurs tirs. Toutefois – elle se tourna vers M. Jacquemin – pour le moment, on se contente d’analyser les possibilités. Étienne nous ouvrira la voie pour arriver face à vos filles. Nous aviserons sur le terrain. Si tout va bien, nous utiliserons le stratagème habituel. Gus m’emmène avec lui, comme prisonnière. Nous abattons les gardiens, délivrons les enfants et nous enfuirons dans la ruelle. S’ils nous suivent, elle les ralentira. Si vous me protégez derrière vos boucliers, je les aurai un par un. L’étroitesse de la voie représentera pour eux un piège. Nous attaquer leur coûtera si cher qu’ils finiront par partir d’eux-mêmes.
Quelle femme, pensa Paul. Quelle femme ! Elle n’avait peur de rien. Mais quel intérêt retirait-elle à risquer sa vie ? Elle ne connaissait personne ici. Elle n’exigeait pas d’attendre les secours. Elle fonçait, et, pour le moment, tout lui réussissait. Avec son aide, peut-être parviendrait-il à délivrer Sonia.
Henri Jacquemin fixait Paul. Jusqu’à maintenant, il pensait qu’il dirigeait l’équipe. Pris par le temps, cette femme ne lui avait pas été présentée. Il savait seulement qu’ils avaient déjà abattus plus de vingt pirates. Je les aurai un par un avait-elle déclaré. Même lui n’avait pas eu son mot à dire. Elle décidait de tout. Couverte d’armes de qualité supérieure, habillée de toiles précieuses, la peur ne semblait pas l’habiter.
Paul lui rendit son regard, hochant la tête. Cela suffit à le rassurer.
.oOo.
L’équipe se mit en branle, chargée d’armes et de boucliers improvisés. Étienne ouvrit la voie. L’hydre derrière lui, il ne craignait rien. Il emprunta un chemin de traverse qui débouchait pile devant la place du marché.
Mais la situation avait changé. Seuls restaient trois enfants, à qui on demandait de se relever. Paul se fraya un chemin. Un juron mourut dans sa gorge : sa Sonia n’était plus là. Au-delà du petit groupe qui restait, des silhouettes s’éloignaient. Il crut reconnaître la longue chevelure brune de sa fiancée.
— Ils les emmènent, commenta simplement l’étrangère.
Elle regarda autour d’elle.
— Personne n’est plus proche que ceux d’en face. On peut tenter.
— Jordan à trente pas à gauche, commenta Gus. C’est notre capitaine.
Il espérait la faire changer d’avis. Le chef des pirates était entouré de trois de ses hommes. Sur la droite, d’autres portaient des charges pour les déposer de l’autre côté de la voie principale. Au moindre problème, tous se regrouperaient et ce serait la fin.
Il comptabilisa trois dépôts, dont celui devant eux. Tout cela sentait la précipitation. Les siens avaient senti le vent tourner. Peut-être avaient-ils retrouvé quelques corps.
Elle se tourna vers le groupe. L’angoisse marquait bien des visages.
— On fait comme on a dit. En cas de problème, on se réfugie ici. Préparez-vous à protéger les deux côtés. J’ai beaucoup de flèches. Ils partiront après avoir perdu bien des leurs.
Étienne prit sa décision. Il irait. Il ferait comme elle, placerait ses mains derrière son dos. Une fois parti, elle ne pourrait plus l’en empêcher. Marlenne pouvait se trouver quelque part devant lui.
Qui plus est, la vie se révélait palpitante aux côtés d’une hydre.
— Allez, on y va ! chuchota-t-elle.
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