La horde - 9° partie
Des cris sanguinaires fusaient de tous côtés. Autour d’elle, les femmes se recroquevillaient, comme pour survivre à une tempête. La porte fut martelée à coups d’épée, puis ce fut au tour des boucliers. Paul et Baptiste résistaient tant bien que mal aux assauts répétés. Deux flèches avaient fusé. Un hurlement sur sa gauche. Olivier et Hervé n’en menaient pas large. Ses chéris, elle ne voulait pas les perdre en plus de ses filles. Son sang ne fit qu’un tour. Alors qu’ils reculaient, que la porte reculait, que les hurlements amplifiaient, elle s’empara d’une barre de fer, se leva et retint l’épée qui s’abattait sur son fils. Le visage couvert de cicatrices du pirate tourné vers elle, son sourire triomphal, son arme qui décrivait un arc de cercle et la frappa du plat de la lame. Elle tomba, Hervé tomba. Une flèche siffla. Le jeune homme habillé en pirate s’interposa, frappa. « Gus, traitre ! » entendit-elle en s’affalant. Des coups terribles dans la porte. Le recul. Le pied de Charles Gasset sur elle. Une flèche encore.
Ses oreilles sifflèrent. Elle crut avoir entendu : « Retraite ! » Un calme relatif remplaça la fureur de l’assaut. Ses fils ! Olivier relevait son frère, tout allait bien. Charles Gasset récupérait. Son mari replaça la porte. Baptiste se massait le dos. La jeune femme tira une flèche de plus. Paul comptabilisait les pertes ennemies.
— On a résisté grâce à elle ! fit Paul en montrant l’étrangère. Elle avait dit : protégez-moi et je les aurais un par un. Elle en a eu cinq !
Même si la plupart n’étaient que blessés, il leur avait transmis son message : leur vie dépendait d’elle, il fallait la protéger. Tout à l’heure, contre les trois pirates, ils avaient ressenti leur profonde inexpérience du combat. Les flèches avaient décidé du sort de la bataille plus encore que leur rage de vaincre.
Cette fois, aucun cri de triomphe. Ils l’avaient échappé belle. Les mains d’Hervé tremblaient. Il n’avait résisté à sa peur que le temps de se défendre et ressentait maintenant le contrecoup.
Bien caché derrière un arbre, Jordan récupérait. Sans elle, ils les auraient eus, tous. Les villageois s’étaient battus avec l’énergie du désespoir et la proximité avait procuré des cibles parfaites pour une archère de cet acabit.
Il n’avait commis aucune erreur ! S’il n’avait pas donné l’ordre, la lâcheté aurait été gravée sur son front à jamais. Comment aurait-il pu réagir autrement ?
Henriette avait bien cru sa mort arriver. Ces hurlements lui resteraient à vie dans les oreilles, elle pouvait y compter. Elle avait suivi sa cousine pour ne pas rester seule. Elle se le reprochait plus que tout autre chose. Tous ces jeunes hommes, ces frères Sens, des va-t-en-guerre. Aucune conscience du danger. Pour tenter de sauver quelques-uns, en pure perte, tous allaient mourir.
Et cette mégère blonde ! Sous prétexte qu’elle savait tirer, elle attirait sur tous la colère des forts. Jamais elle ne pourrait les avoir tous, ne le comprenait-elle pas ? Maintenant, peut-être, on avait besoin d’elle, mais c’est bien elle qui les avait invités dans cette galère.
De quel clan l’autre voulait-il parler ? Le clan de la haine, oui ! Cela se voyait sur son visage. Paul et elle, cachés derrière un masque d’expressions dures et obstinées, ne comprenaient pas ce qui se passait.
Et qui pouvait tirer avec autant d’adresse ? Une femme ? Une sorcière ? Les sorcières vivent dans la haine.
— Ils arrivent !
Baptiste pointait la rive. Des hommes au foulard amenaient arcs et boucliers. D’autres rejoignaient les leurs depuis le village. Cette fois, ils avaient pris la mesure du danger. C’était la fin.
Étienne commençait à perdre sa belle assurance lorsque son égérie abattit un des archers. Il entendit le capitaine jurer, ce qui le remplit d’aise. Comme lui, les grands serraient les points et reprenaient courage. Les nouveaux venus avancèrent alors à pas de loups, passant d’arbres en arbres. L’un d’entre eux, pour tenter de rejoindre ses camarades groupés au bord de la route, fut perçu d’un dard mortel.
— Ils vont approcher et tirer, prédit l’étrangère. Si nous nous baissons, nous sommes perdus. Il faut absolument les observer. Il faut les empêcher d’avancer à tout prix.
— Couchez-vous !
Une flèche se planta dans un ballot. Tous se baissèrent. D’autres flèches fusèrent. Les membres du groupe ne bougeaient plus. Seule l’hydre dépassait la tête par intermittence. Subitement, elle se leva, tira et se baissa immédiatement. Un râle avait suivi. Les tirs redoublèrent. La femme blonde était tendue. Étienne ne savait comment communiquer sa foi en elle.
Henri Jacquemin se saisit d’une barre à mine et creusa un jour entre deux planches d’un des petits boucliers. Baptiste compris immédiatement et lui présenta le sien. Gus s’empara du bouclier et l’éleva au-dessus des ballots. Baptiste fit de même de l’autre côté. Petit à petit, les postes d’observations se multipliaient. Gus montra du doigt une position. L’hydre se leva et tira, se rabaissa et changea d’emplacement. L’opération se répéta plusieurs fois. Étienne prit le risque de regarder par-dessus la barricade. Les archers se cachaient, tiraient plus rarement. Le monstre faisait mouche.
.oOo.
Koley ne supportait plus cette mascarade. Comment une seule personne ne pouvait se permettre de stopper tout un clan de pirates des mers dans sa course ? Jordan déclarait attendre le bon moment, mais lui savait qu’il fallait le créer, ce bon moment ! Son bouclier dans une main, l’épée dans l’autre, il remplit ses poumons d’un seul tenant. Il allait mettre un terme à tout ça. Il prit à nouveau un grand bol d’air. On parlera de lui. Il frappa le bois du bouclier de son épée. On allait l’admirer. Il se mit en jambe, sautilla, frappa son bouclier. Bien en condition, il respira à nouveau cet air vivace.
D’un saut, il se décala du tronc d’arbre, se retourna, fit face au camp improvisé.
— À mort ! cracha-t-il en s’élançant. À mort !
Devant lui, plusieurs boucliers frémirent. Une tête blonde apparut, puis se baissa. Elle réapparut à un autre endroit, se redressa, le visa. Il calcula l’angle. La flèche se planta dans le bois. « À mort ! » hurla-t-il plus fort encore. Elle l’avait manqué. Tout autour de lui, tous répétèrent son cri de guerre, tous s’élancèrent.
À l’angle de la barricade, deux juvéniles. Il fonça sur eux, bouclier contre boucliers. Ils vacillèrent, il frappa, frappa encore. Bien placé, il repéra la tueuse blonde. Elle tirait maintenant sans discontinuer. Tous arrivaient.
Quatre pirates poussaient la porte de toutes leurs forces ; des femmes se levèrent pour stopper leur avancée. L’épée d’un des forbans fouilla l’espace créé, à la recherche de chair humaine. Mal lui en prit, sa main reçu une flèche. L’archère réarma, avança, se baissa et tira. Le pied percé, un autre pirate hurla derrière la porte.
Koley frappa encore, le bois craqua, un des jeunes s’écroula. Un paysan, une barre à mine dans les mains, fonça sur lui, le fit reculer. Autour du camp, les siens cognaient, escaladaient, hurlaient. La blonde tirait, les autres retenaient les coups, reculaient. Deux compères lui vinrent en aide. Le villageois fit un pas en arrière, les deux jeunes revinrent, immédiatement repoussés. Le bouclier abîmé, l’un d’eux fut transpercé par une lame. Cogner, la victoire serait proche.
Partout les rebelles faiblissaient. Les siens étaient partout. Bientôt, l’hallali. Le cercle se resserrant, la blonde échangea arc contre poignards. Rapide, elle frappait sans cesse. Quelle femme ! C’est lui qui l’aurait. Lui qui permettrait cette prise. La gloire lui en reviendrait. Evgenhi le récompenserait. Déjà, autour d’elle, les siens tombaient les uns après les autres.
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