Bien des regards s’attachèrent à eux lorsqu’ils sortirent de la forêt. Le long des baraquements, les tables, simples planches de bois posées sur des tréteaux, pouvaient accueillir une quarantaine de personnes. En supplément, des groupes se formaient ici ou là, qui s’asseyaient dans l’herbe ou sur une couverture.

Entre les tables et les baraquements, potées et grils répandaient les saveurs des aliments préparés, contribuant à la bonne humeur générale.

Si les personnes présentes jasèrent à leur arrivée, ils n’en eurent pas conscience. Leur table réservée par avance aux côtés de Soline, Hector et bien d’autres, plaçait la princesse au milieu de bien des inconnus. Elle mettrait du temps à s’intégrer dans un groupe aussi riche et hétérogène. Les anciens esclaves étaient maintenant entourés de roturiers et de quelques nobles.

À peine étaient-ils assis que Soline s’empressa de jeter un œil inquisiteur à Krys. Il comprit immédiatement et répondit par un clin-d’œil engageant.

— Il me semble que les nobles se comptent sur les doigts d’une main parmi vous, non ? remarqua la princesse.

— Et encore, répondit Hector en se servant une poêlée de légumes, il s’agit surtout de leur progéniture.

En effet, lors de la bataille de Bladel, les fils de haute famille, prompts à confronter leur talent militaire à la réalité, n’avaient pu que constater leur retard face aux nouveaux arrivants. La troupe de Krys, qu’on avait appelé les renforts pour l’occasion, avait démontré qu’un faible nombre pouvait représenter beaucoup.

Bien des jeunes hommes de toutes conditions furent tentés d’adopter leurs règles, mais le poids de la fonction et la suspicion envers le nouveau pouvoir avait contraint la génération aux affaires à modérer leurs ardeurs. Pour le moment, les riches seigneurs demeuraient sur la réserve.

— Certains nobles ont quitté le pays, fit remarquer Sara, mais il en reste beaucoup.

— Sans doute parce que nous les avons rassurés, répondit Krys. Mais ils nous regardent encore en chiens de faïence.

— La guerre à venir ne les motivent pas au dialogue ?

— Ils se seraient sans conteste battus pour le roi, mais le feront-ils pour nous ? Nous ne sommes pas, comme il l’a été pour eux, des distributeurs de privilèges.

— Et cette guerre ? Qu’en sait-on ? Est-on prêt ?

— On s’y prépare.

Des mouvements de troupe avaient été observés loin de la frontière et le recrutement battait son plein. Les Saliens réuniraient une grande armée et, pour le moment, Krys et ses compagnons, mais aussi bien des citoyens de ce pays, ne semblaient en faire grand cas. L’ancien gladiateur avait été reconnu comme un antidote efficace à la revanche à venir.

De retour de Cussey depuis peu, Soline et Hector, désirèrent obtenir des précisions.

— On nous a parlé d’un repenti, un certain Gus. Qu’est-il devenu ?

— Je voulais justement vous en parler. La moitié du village cherchait à le pendre. Je ne pouvais pas le laisser là-bas. Pour le moment, il travaille dans les jardins du roi.

— S’il sait se battre, on pourrait peut-être l’intégrer dans l’armée, proposa Krys. Voire même dans notre groupe. Qu’en penses-tu ?

— Il sait se battre, il est né pirate. Il n’a connu qu’une vie de rapines. Son repentir me semble sincère.

— Il pourrait nous renseigner sur le monde de la piraterie. Un jour, nous nous opposerons à eux frontalement, pas question de les laisser ravager nos terres.

— Aucun autre que lui ne s’en est sorti ? demanda Hector.

— Aucun, répondit Sara.

— Ça va leur faire tout drôle, là-bas, dans les îles. C’est peut-être la première fois qu’aucun des leurs ne revient au bercail.

Krys hocha la tête.

— Soit ça les calme, soit ils vont chercher à prendre leur revanche, supposa Hector.

— Du moment qu’ils ne viennent pas en même temps que les Galiens… On a autre chose à penser pour le moment, conclut Krys. Leur moment arrivera.

.oOo.

Plusieurs jours passèrent pendant lesquels Sara continuait à s’entraîner et s’enquérir des changements opérés dans la société. Un matin, à l’entraînement, elle rencontra Tamara, Guenièvre, Olga et Bruno, de retour d’un bourg où ils avaient officié. Les trois demoiselles l’avaient soignée et Bruno avait secouru Kia et ses petits.

Alors qu’elle faisait la pause avec eux, Bruno remarqua un cavalier en provenance de la capitale qui approchait remarquablement vite. Tamara se leva. Alertés, Soline, Korynn et Noah accoururent.

— C’est Krys, devina Soline.

Il s’approchait d’eux puis, avant de décrire un arc de cercle, leur fit un signe, que Sara ne sut interpréter. Enfin, il disparut en direction du sud-est.

— On dirait qu’il prend la direction de l’isthme, estima Noah.

L’isthme, songea Sara, l’Isthme de Bladel, un lieu qui ne lui sera jamais plus indifférent. L’endroit où elle avait rencontré Krys pour la première fois. Elle lui devait la vie. Elle était, à l’époque, loin de se douter qu’il chamboulerait son existence en destituant son père.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Olga.

— On attend, répondit Soline. Il nous a envoyé quelqu’un.

La princesse dévisagea la jeune femme. Elle avait compris le signe. Comme pour répondre à sa prédiction, un cavalier apparut.

— Le commandeur m’envoie vous annoncer qu’il se rend à Sadre, expliqua le garde. On s’apprête à y pendre un espion.

— Un espion originaire de… ? demanda Soline.

— Un Salien.

L’incompréhension apparut sur les visages. Pourquoi autant d’empressement pour un espion ?

— Il se met en danger une fois de plus, marmonna Soline. » Puis, à notre intention : « Vite, allons-y ! Noah, réunit une trentaine de compagnons.

Elle fit un signe aux pages pour qu’ils amènent prestement armes et chevaux. Sara constata pour la première fois l’autorité de Soline. Dans certaines situations, la brunette menait les opérations.