L'annonce - 2° partie
Krys laissa l’assistance digérer l’annonce dans un brouhaha soutenu. Plus personne ne mangeait ni ne buvait.
— Il s’agissait d’une civilisation très avancée, beaucoup plus que la nôtre. Regardez !
Il tenait dans ses mains un cadre en bois recouvert d’une vitre qui protégeait une feuille de papier en mauvais état.
— Ceci est un extrait du lexique dont David s’est servi pour reproduire la liste dans laquelle il a recherché nos noms. Il s’agit d’une page de l’original. Nous allons la faire circuler. Prenez-en soin.
Sara reçut l’objet en main la première. Elle l’orienta vers son voisin.
— Du… Du texte. Oh ! C’est incroyable, s’exclama ce dernier.
— Krys, je te présente mon professeur, Nathan Duchêne. Un homme très cultivé.
— Comment est-ce possible ? s’écria l’homme de lettre sans tenir compte de l’intérêt de Krys pour lui.
L’ancien gladiateur temporisait.
— C’est du français, annonça-t-il.
— J’en déduis que nous ne parlons plus notre langue d’origine ?
— Nous parlons la langue des anglo-saxons. Tous les royaumes parlent la même langue aujourd’hui, sans doute parce que nous avons abandonné notre langue maternelle pour l’anglais il y a très longtemps. Cependant, chaque zone géographique semble constituée autour de personnes de même origine. Par la suite, sans doute, un brassage important s’est réalisé.
— Mais ce qui est le plus remarquable, c’est leur maîtrise de l’écriture. Comment font-ils pour former des lettres alignées sur leur base et sans distinction aucune, des lettres parfaitement formées, sans défaut ?
— Nous sommes-là devant l’élément essentiel. Et regardez en bas de page. C’est écrit encore plus petit et nous arrivons à lire.
— Incroyable. Qui étaient ces gens ?
Le cadre fit le tour de la salle, passant de main en main. Il était possible de le suivre les yeux fermés tellement la rumeur suivait ses déplacements.
— Comment ont-ils fait ? s’exclama Horace Moréa.
— Nous ne savons pas, répondit Krys, mais regardez !
Il saisit une pièce de bois constituée de plusieurs angles et en trempa un côté dans une sous-tasse remplie d’encre. Il montra le côté maculé à tous, puis s’approcha d’une feuille vierge accrochée à côté de la carte. Il appliqua la pièce sur la feuille, puis la retira. Un grand "A" apparut, produisant de nombreux commentaires. Il reproduit la manipulation, deux "A" identiques se suivaient.
— Et comment faisaient-ils pour aligner le texte aussi parfaitement ?
— Nous ne savons pas, mais c’est aussi une chose que nous pouvons reproduire en plaçant une règle en dessous des caractères à former.
D’autres questions fusèrent.
— Comment parvenez-vous à traduite ce livre écrit dans notre ancienne langue.
Krys montra David.
— Ces documents, notre ami ici présent, David Santin, les décrypte depuis des mois.
Antoine Mopin fit la relation avec l’arrivée de la troupe du désert, également présente depuis ce laps de temps.
— Peut-on dire que la bataille de Bladel a été remportée grâce à vos trouvailles ?
L’ancien gladiateur considéra ses amies, puis maître Mopin.
— Cela y a contribué. Mais le facteur déterminant reste l’acharnement et l’esprit de groupe. Sans ces deux caractéristiques, la qualité des armes ne vaut rien.
Krys marqua une pause, hocha la tête et continua :
— Nous devons insuffler cet esprit autour de nous. Faire corps, s’oublier soi-même, tendre vers les mêmes buts, le même objectif. Exceller dans nos actions. Cela entraîne l’amour de la tâche. Les deux vont ensemble : la volonté mène à la perfection et la recherche de la perfection motive, fortifie la volonté. Nous devenons précis, invincibles, et surtout… » il se tourna à nouveau vers ses amis, unis. » Et il répéta : « Nous faisons corps.
Sara se tourna vers les nobles. Sans conteste, plusieurs approuvaient. Conscient de l’intérêt que la princesse porterait à son avis, son professeur chuchota :
— Non seulement il est tel que tu me l’as décrit, mais je comprends mieux, maintenant, de quel bois il se chauffe. C’est décidé, j’accepte ta proposition.
La fille du roi lui lança un sourire et lui prit le bras.
— Le royaume a besoin de vos connaissances et de votre sagesse. Krys le sait, il va chercher à vous revoir.
Son regard s’arrêta sur la carte.
— J’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait avant nous.
— Je me souviens de tes questions. Voilà un élément de réponse.
— C’est étrange, cela me laisse sur ma faim. Qui étaient ces ancêtres lointains ?
.oOo.
Nombre de groupes s’étaient constitués qui refaisaient le monde. Au son de la mandoline, l’espace central se peupla petit à petit de groupes et de couples de danseurs. Avant de se voir invitée, Sara chercha Krys et découvrit son regard tourné vers elle. L’ancien gladiateur approcha.
— M’accordes-tu cette danse ?
Avec plaisir, monsieur.
Ils firent quelques pas dans le silence. Tous les deux avaient une glace à briser.
— Est-ce que l’armure te va ?
— À merveille. Moins difficile à endosser que je l’aurais imaginé. Et… très belle.
C’est ainsi que l’avait voulu le danseur.
Sara devait se calmer, son cœur battait la chamade. Krys ne semblait pas aller mieux, il restait sur la réserve. Formé pour la danse par Korynn, danseur parfait, ses enchaînements se révélaient imperceptiblement saccadés.
— C’est un extraordinaire cadeau, ajouta-t-elle pour le rassurer. Soline te dira combien j’ai apprécié.
— Bien. Parfait.
— Tu n’as pas fait trop de sacrifices pour la fabriquer ?
— Non, pas du tout. Une épée courte est toujours plus facile à manier qu’une longue.
— Mais tu ne tiens pas forcément la distance dans ce cas.
— Carapacés comme nous le sommes, nous ne craignons pas les coups. En donner est la priorité.
— C’est vrai.
Elle le sentit hésiter.
— On peut parler du combat de cet après-midi ?
— Hum…
— As-tu remarqué une différence sur la fin ? Dans ton jeu ?
— Oui, j’étais très énervée, arriva-t-elle à exprimer de manière détachée.
— C’était l’effet recherché.
Elle arrêta de danser.
— Je ne comprends pas.
— Tu n’as vraiment pas senti de différence ?
Elle le savait calculateur. Il ne faisait rien pour rien. Que cherchait-il ?
— Qu’as-tu remarquée dans le public ? insista-t-il.
— Ils me soutenaient.
— Et encore ?
— Avec beaucoup plus de véhémence qu’au début.
— Oui ! Et pourquoi selon toi ?
Il posa doucement ses mains sur les siennes et l’entraîna dans sa ronde.
— Je ne sais pas. J’ai réussi à te faire reculer et… tous voulaient me voir gagner.
— Oui, mais pourquoi as-tu réussi à me faire reculer, selon toi ?
— J’étais énervée, j’ai mis tout ce que j’avais.
— Oui ! Mais j’ai l’impression que tu n’entrevois pas ce qui s’est passé.
Elle hésita. Où voulait-il en venir ?
— Si je te le dis, tu ne me croiras pas. Attends. » Il chercha quelqu’un dans le public. « Viens !
Soline était en train de danser avec Gus. Il leur demanda de les suivre. Dans un coin tranquille, il leur demanda :
— Vous vous souvenez de notre combat. Que s’est-il passé à la fin ?
— Sara a beaucoup mieux joué, répondit Soline.
— Gus ?
— Oui, tout à fait.
— Pourtant, avant cela, elle jouait déjà très bien.
— C’est vrai, approuva Soline. Mais là, elle est devenue encore plus rapide.
Un page approcha. Le Commandeur s’excusa, il était demandé.
Ils le regardèrent partir. Sara restait sur sa faim.
— Je n’ai jamais assisté à un tel combat, s’engaillardit Gus. Avant que vous vous releviez pour la troisième fois, c’était déjà extraordinaire. Après, c’était…
Sara attendit, mais il ne parvenait pas à terminer sa phrase.
— Je t’ai dit que tu pouvais me tutoyer, Gus.
— …fou ! C’était fou.
Cette fois, elle resta interloquée. Que voulait-il dire ?
— Sara, intervint Soline, tu sais que je m’entraîne à lire sur les lèvres. Quand vous vous êtes arrêtés, Krys était aux anges. J’ai cru lire sur sa bouche : Elle est comme moi !
.oOo.
Alors qu’elle cherchait à comprendre, elle remarqua une certaine tension s’installer dans la salle. Dans une marche rapide, provenant de deux endroits différents, Thomas et Hector se dirigeaient vers l’entrée principale.
— Il se passe quelque chose, en déduisit Soline.
Gus reprit la parole, mais Sara n’écoutait plus, le regard rivé sur la porte.
Bientôt, comme pour répondre à son attente, Krys réapparut dans un pas rapide, accompagné du général et de ses deux compères.
— Messieurs ! interpella-t-il en claquant des mains au milieu de la salle.
Les musiciens terminèrent sur une fausse note. Petit à petit, tout s’arrêta.
— La guerre !
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