Chapitre 1 - débarquement lunaire.
- ... Sway ? dmande la voix endormie d'Anna, faufilée par l'entrebâillement de la porte.
Sway hausse une épaule de cuir, ne montrant aucune trace de remords. Les gens polis ne débarquent pas en pleine nuit, mais Sway a renoncé à son humanité, élevée comme une bête errante, sans aucune notion des convenances sociales.
Anna soupire, avant de refermer la porte pour enlever la chaîne de sécurité. Quelques maillons d'acier contre les indésirables. Le passage s'ouvre sur la vision échevelée d'Anna, en vêtements de nuit aux motifs enfantins. La jeune femme a encore les plis son oreiller étampés sur le visage, lui donnant une allure froissée. Sway esquisse un sourire avant d'entrer, sans attendre d'être invitée.
- Je peux crasher sur ton divan ? demande l'intruse sans plus de cérémonies.
- Tu sais bien que oui, répond Anna.
Sway se défait de ses bottes pour les empiler devant la porte. Son amie frotte son poing contre ses yeux lourds de sommeil. Une montagne de cheveux sombres sont noués sur le dessus de son crâne, dans une sculpture abstraite. Un oiseau pourrait facilement méprendre la chose pour son nid. Heureusement qu'elles sont en ville et que les pigeons n'ont pas les mêmes instincts que leurs cousins ruraux.
- Alors, qu'est-ce qui t'amène ce soir, je t'ai pas vu depuis mille ans, ronchonne la jeune femme.
La brune aux cheveux trop courts hoche doucement la tête.
- Ça fait pas si longtemps, j'étais là pour ton anniversaire, tente la noctambule.
- C'était il y a trois mois, réplique Anna.
Sway pose sa carcasse contre un divan qui a connu de meilleurs jours. Le temps semble couler entre les doigts de la brune, comme les grains d'un sablier craqué. Les jours valsent ensemble jusqu'à l'hypnotiser et lui faire oublier. Elle ne sait pas téléphoner, entre les chiffres qui ondulent dans le mauvais ordre et le combiné qui demande de la monnaie. Sway est probablement la seule personne de cette ville qui refuse de posséder une intelligence artificielle. Ses poches sont trouées. Tout ce qui sonne à intervalles réguliers lui donne la nausée. Disparaître est bien plus facile quand personne ne peut nous localiser.
- Je suis là maintenant, déclare Sway, comme si c'était ça l'important.
Devant l'air buté de son amie, exacerbé par le sommeil interrompu, elle se doit d'ajouter.
- Tu sais bien que je fais des conneries quand je suis toute seule.
Leurs yeux se croisent enfin. Anna cache une éternelle inquiétude sous la mèche dégringolante qui tombe de son château et vient lui barrer le regard. Sway, elle dit toujours qu'elle va bien. Sway, elle ne demande jamais d'aide. Sway, elle égorge ses sentiments avant qu'ils ne se rendent à ses lèvres. Anna la connaît depuis assez longtemps pour savoir qu'il vaut mieux ne pas demander, ne jamais insister. C'est la loi d'or pour une bonne entente avec la jeune sauvage.
- Ouais, ça tombe bien que tu sois là. Ma soeur est partie, je crois pas qu'elle reviendra. Tu peux prendre sa chambre, si tu veux. À trois, ça fait pas cher pour le loyer. Et puis, je dirais pas non de t'avoir dans les pattes plus souvent, avoue Anna, une moue suspicieuse au visage.
Sway fronce une paire de sourcils dubitatifs.
- Peut-être, mais ça fera pas le bonheur de ton frère.
- Mon frère, mon problème. Je te veux ici, il aura pas le choix. Déclare Anna, comme si c'était déjà réglé.
Des aubes au fond des prunelles, Anna se hisse sur ses deux pieds.
- Bonne nuit, Sway-de-la-lune. Qu'elle souhaite à son amie.
- Bonne nuit, Anna-des-étoiles. Réponds la seconde.
De la rue, on peut voir les fenêtres illuminées se fondre dans la masse sombre du bâtiment. Dans le noir, deux jeunes femmes sont allongées sous la protection de la porte trois cent quatre, mais une seule d'elles accueille le sommeil à bras ouverts. Sway hante les lieux, troublée à l'idée de se poser, grande vagabonde aux semelles d'asphalte.
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