* Les mots *

2 minutes de lecture

2011

— Pourquoi tu ne réponds jamais à mes messages, lapin ? demanda Kirsten.

— Que veux-tu que je te réponde ? répliquait Karl.

Cette rengaine était leur lot quotidien, presque une invitation à la combler de câlins à défaut de lui écrire des textos sirupeux.

Depuis qu’ils avaient commencé leur relation, Kirsten avait pris l’habitude de lui envoyer un mot doux, plus ou moins élaboré. Une pensée, un poème, une simple phrase. Tous les jours.

Même après leur mariage. Surtout après leur mariage. Pendant sa grossesse, puis durant les premières années de Vivi. Elle gardait son rituel, son unique moment à elle toute seule. Elle le consacrait à l’écriture de ce petit mot d’amour qu’elle lui enverrait le lendemain.

Elle ne recevait jamais de réponse à ses messages et cela ne l’étonnait guère. Elle le connaissait et savait qu’il s’exprimait autrement. Les mots soufflés derrière sa nuque lui suffisaient. Ils étaient souvent suivis d'un baiser furtif le matin, le matin et le soir. Toujours lorsqu'elle se trouvait devant le miroir de la salle de bain, occupée à se brosser les dents ou les cheveux, à se maquiller ou démaquiller. Sa réponse se traduisait par des gestes romantiques, des caresses plus puissantes que des mots.

*

2002

— Tu ferais quoi si un jour tu ne recevais plus mes messages ? lui avait-elle demandé un matin, tâtant le terrain pour parler de ses envies.

— Je m’inquiéterais pour toi, avait-il rétorqué en l’embrassant tendrement sur le cou, son endroit préféré. Tes mots me rassurent.

— Maman ! Je n’arrive pas à dormir !

À l’époque, Vivi avait six ans et Kirsten sentait un vide emplir son être. Désir de changement, de nouveauté. Fatigue aussi. Lui, voulait un deuxième enfant ; elle, réaliser toutes ses ambitions laissées en suspens par sa grossesse inattendue. Un bonheur qui avait bouleversé ses plans. Elle avait tout pour être heureuse, mais elle s'était contentée de devenir une mère triste et une épouse aimante.

Karl se spécialisait, poursuivait ses aspirations. Alors que pour elle, il était temps de se réapproprier les rênes de sa vie. Elle refusait qu'une nouvelle grossesse intempestive freine ses envies. Elle reprit ses études d’Histoire de l’art, puis devint galeriste. Elle possédait du talent, un bon œil et les capacités relationnelles pour se faire un joli carnet d’adresses. Elle s’était réalisée, mais il n’y avait plus de place pour un second enfant dans sa vie. D'autant moins qu’elle avait délaissé sa fille au profit des nounous ou des internats.

En plus, une tristesse supplémentaire venait s'ajouter à sa culpabilité de mère. Pendant toutes ces années, elle avait manifesté une entière confiance en son époux. Elle ne l'enviait pas et lui laissait une liberté totale pour suivre ses passions, ses sports, ses loisirs solitaires.

Même lorsqu’elle l’avait soupçonné d’entretenir une relation extra-conjugale, elle avait continué à lui écrire ses petits mots, plus courts, triviaux. Elle s'était interrogée jusqu'au jour où elle avait reçu un courriel bien particulier.

Au bout d’un moment, ses messages s’espacèrent, puis finirent par s’arrêter.

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