Scott (*)
New York, Etats-Unis, 8 février 2012
Une musique stridente retentissait dans le salon. Les crédits défilaient sur l'écran tandis que le jeune homme jouait avec la télécommande, hésitant à faire une avance rapide pour découvrir le teaser de fin.
Il lorgna le balcon et observa sa compagne tourner en rond, comme une lionne en cage. Bêtement, Scott se désola qu'elle ait raté la fin du film. Une pensée bien idiote, puisqu'il doutait de son intérêt pour l'intrigue. Pas étonnant, les soucis accaparaient toute l'attention de Kirsten.
Scott avait eu d'autres plans pour la soirée. Il aurait préféré un dîner romantique, aux chandelles, à la table d'un restaurant huppé. Il avait tout prévu pour lui révéler une surprise : finie la distance entre eux. Mais cette annonce avait été éclipsée par une terrible nouvelle. Un message du pays. Sa fille. Un accident. Elle attendait pour appeler et avoir des informations.
Il percevait sa tristesse. Elle souffrait. Il avait toujours vu cette fragilité qui transpirait par ses pores, une caractéristique qui l'avait ému tout d'abord, lors de leur premier contact. Sans se connaître, à distance toujours. Il avait fini par l'aimer, par tout savoir de son existence, ses aspirations, ses préoccupations.
Réservée dans un premier temps, peu à peu elle avait dévoilé ses difficultés avec sa fille et son mariage, qui traversait des turbulences. Il lui avait accordé une écoute, puis une amitié, finalement ses bras, son coeur, son amour. Il était entré dans sa vie pour l'aider à combattre ses démons, il avait fini par briser son quotidien, son couple... Il en était conscient et en culpabilisait au point d'avoir une raison supplémentaire pour la rendre heureuse. Pour aider cette femme qu'il aimait, pour aider sa fille à surmonter l'épreuve de la séparation. Il ne la connaissait pas, mais il comprenait déjà cette Vivi, car lui aussi avait souffert à son adolescence du divorce de ses parents.
Il en avait tant entendu parler, de cette adolescente rebelle qui faisait des misères à sa mère, bien avant que l'amour ne naisse entre eux. Sa relation avec sa mère s'était envenimée au point que la jeune fille évitait tout contact à distance et refusait ses appels téléphoniques. Préoccupée, Kirsten finit par se rabattre sur le père de sa fille pour demander des nouvelles. L'accueil fut similaire : le froid, l'indifférence, puis une phrase laconique se voulant purement informative.
Vivi avait eu un accident de ski. À la lecture de ce message, la distance aggravant la situation, elle fut effondrée, terrifiée ; s’imaginant les pires hypothèses. Seuls quelques SMS sommaires lui firent part du pronostic rassurant. Juste une fracture. Alors, elle se demanda comment père et fille passeraient ce temps ensemble ? Karl avait voulu qu'elle participe aux loisirs qu'il aimait, comme le ski. Est-ce que ce temps d'inactivité leur serait bénéfique ?
Scott l’observait sur le balcon. Elle tournait en rond, se frottant les bras pour se réchauffer. Elle avait voulu s’isoler à l’extérieur. Elle s'était déjà levée plusieurs fois pendant le film, comme si cela ferait avancer les heures plus rapidement. Elle avait besoin de parler de vive voix à sa fille pour se rassurer.
Leur dîner romantique s'était transformé en une banale soirée pizza, agrémentée de deux films de super héros. Il éteignit la télévision, dommage pour le teaser de fin. Il se leva et mit dans la chaîne un CD de Nina Simone. Entendre sa chanteuse préférée lui ferait du bien, pensa-t-il.
*
À peine rentrée, un riff de piano l'accueillit et la mélancolie de son visage disparut. La blonde esquissa un petit sourire tandis qu'elle ôtait le manteau de ses épaules, puis le posa négligemment sur une chaise. Sinnerman n'était pas assez puissante pour qu’elle oublie son chagrin et réprime ses larmes.
— Elle m’a raccroché au nez !
Il la serra dans ses bras et, au toucher de sa peau froide, lui frotta les épaules pour la réchauffer. Elle sanglotait, reniflait, tentant de dissimuler sa douleur.
— Si elle t’a raccroché au nez, au moins elle va bien, répondit-il.
Scott n'avait rien trouvé de plus intelligent à dire, mais de toute façon elle ne l’avait pas écouté.
— Il ne veut pas me parler. Elle non plus, ajouta-t-elle, bouleversée.
Un mauvais pressentiment la troublait. Karl lui avait paru différent, plus distant, au point de se persuader qu'il lui cachait quelque chose. Pourtant, elle ne comprenait pas pourquoi elle se sentait si troublée si tout était fini entre eux.
Soudain, un sentiment de tristesse l'envahit. Cette froideur dans sa voix, elle l'avait déjà ressentie auparavant, mais jamais aussi marquée que la fois où il l'avait trahie. Cette même voix, cette intonation qui criait à cor et à cris je ne te dis pas toute la vérité.
Elle essuya une larme. Les notes de Sinnerman l'égayèrent un peu, pourtant cette chanson lui rappelait Karl. Eux deux. Ces moments perdus. Jadis, il lui disait que cette chanson lui faisait penser à elle, il avait même réglé son téléphone pour distinguer ses appels par cette musique. Était-ce encore le cas ? Elle ne fit pas part de ses interrogations à son compagnon, mais elle s'étonna d'évoquer les réminiscences de leur couple mort et enterré.
Scott l'embrassa sur le front.
— Ça va ?
Elle acquiesça. Tenta de se calmer. Se mettre dans cet état pour les mots prononcés par sa fille avant de clore l'appel ? Cela n'avait pas de sens. Elle fut rassurée, elle allait bien. Vivi la détestait comme toujours, et avait même rajouté une phrase censée lui faire du mal : « Tiens, papa t’a remplacée. Il a un rencard demain avec une nana », lui avait-elle craché, moqueuse, en raccrochant. Pourquoi est-ce que cela la touchait ? Qu’espérait-elle au juste ? Tant mieux pour lui.
Pourtant, cela la tracassait au point d'oublier la fameuse annonce que son compagnon lui avait promise.
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