Retour au chalet

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Quelque part dans la montagne, Lech, Autriche, 8 février 2012

Avec un stylo défraichi, trouvé au fond de sa besace, Vivi dessinait des mandalas sur son plâtre. Ils masquaient des messages de haine qu'elle avait écrits pour se défouler : des insultes à ses parents. Surtout contre son père, en ce moment. « Premier prix pour Les parents de l’année ! » se moquait-elle mentalement.

Elle avait même envisagé d’envoyer un mot à sa mère afin de lui avouer que son paternel l’avait abandonnée seule dans un chalet pour aller faire du ski. Malgré l’envie qui la titillait, elle n'osa pas. Elle n’en avait plus les moyens.

Elle imaginait que « l’autre » n’attendait que ça pour ajouter un reproche supplémentaire qui justifierait son départ et sa garde exclusive...

Finalement, elle s’était mise à réfléchir. Elle avait seize ans. Elle n’était plus une gamine. Qu’aurait-il fait de plus en restant auprès d’elle au chalet ? Pourquoi se plaindre ?

Vivi supputa que son père s’attendait à ce qu’elle passe ce temps collée à sa console. Pour assurer son confort, il l’avait aidée à s’installer dans la salle du sous-sol, équipée d’un home cinema et d’un large choix de DVD. Maintenant, elle réalisait qu'elle aurait mieux fait de regarder un film en entier, ça lui aurait tenu compagnie, elle n'aurait pas souffert de cette longue attente.

« Tu es sûre de vouloir rester ici et pas dans la chambre ? » « Ne va pas monter toute seule. » « Garde ton portable près de toi. », « N’ouvre à personne !» Telles avaient été les consignes de son père avant de partir.

— Comment tu veux que j’aille ouvrir la porte ? avait-elle répondu, grossièrement.

À présent, elle revoyait cette scène, ces mots prononcés, ce baiser déposé sur son front. Comme jadis, quand ils se quittaient. Elle fut même étonnée de cette démonstration de tendresse.

Morte d'ennui, elle se repassa l'enchaînement des décisions stupides qui l'avaient conduite là.

Dès qu'elle s'était retrouvée seule, elle s'était réjouie de pouvoir explorer le chalet en toute liberté. Au sous-sol, son choix était limité par ces deux portes fermées à clé. Elle avait jugé amusant de tenter de les ouvrir, mais pour cela, elle aurait eu besoin d'outils. Manque de bol, son étui de tournevis, utile pour dévisser sa console, était dans sa besace, en haut.

En toute inconscience, elle avait décidé de monter. Mission périlleuse, dangereuse et totalement irréfléchie. Des raisons suffisantes pour s’y atteler. Elle avait vite compris que la vingtaine de marches la séparant de l'étage ne se comparaient pas aux trois ou quatre pas qu’elle savait grimper aidée par ses béquilles. Après cinq marches, elle avait décidé que le plus prudent serait de se tenir exclusivement à la main courante de l’escalier. Elle avait balancé ses béquilles, espérant qu’elles seraient assez résistantes pour survivre à la chute.

Enfin, complètement épuisée, elle avait dû ramper jusqu’à sa chambre, traînant ce boulet accroché à sa jambe qu’était son plâtre pour chaque centimètre avancé se cumulait un gramme de haine contre son paternel.

Le summum de son animosité fut atteint lorsqu'elle eut rejoint sa chambre, épuisée par l'effort. Elle n'eût aucun plaisir à retrouver sa fameuse besace, les portes du sous-sol ne l’intéressaient plus. Dans l'attente du retour de son père, sans sa console ni son téléphone, laissés en bas, les heures allaient lui paraître très, très longues. Seul le stylo défraichi trouvé au fond de son sac pouvait lui servir de maigre lot de consolation.

*

Tandis qu’il s’approchait du chalet, Karl s’interrogeait sur sa récente rencontre. Il avait trouvé le guide particulièrement pénible et collant, au point qu’il avait dû ralentir son rythme pour ne pas laisser la fille loin derrière. Sa curiosité aurait pu lui paraître suspecte, s'il n'en avait pas tiré lui aussi profit.

Le guide connaissait les propriétaires du chalet. La famille d’un riche médecin, lui semblait-il, de nom Paulus. Coïncidence étonnante pour Karl, puisqu'il s'agissait d'un confrère, mais n'en sut pas plus. D'après Tom, ils n’y séjournaient que quelques jours par an, le reste du temps ils le mettaient en location. Il savait tout cela, car il lui arrivait de donner des leçons privées aux enfants du couple.

Ces informations ne rassurèrent pas Karl, persuadé que la famille se trouvait encore dans le chalet. Autrement, où pouvaient-ils être ? Celui qui tirait des ficelles, n’hésiterait peut-être pas à éliminer des enfants ? supposa-t-il, pensant à Vivi. Comment avait-il pu la laisser seule ?

Malgré ses nombreuses interrogations, une seule ligne de conduite : poursuivre, car il n’osait pas voir les conséquences de sa désobéissance. Cependant, il ne lui restait qu’une dernière carte à jouer : explorer le sous-sol. Si des dépouilles s'y trouvaient, il aurait les preuves suffisantes pour alerter la police et exiger une protection. Sinon, il ne voyait pas d’autre choix que de continuer.

Le germe de la peur s’avérait une arme redoutable.

Enfin arrivé au chalet, il se désola de ne pas avoir d’autre clé que celle de l’entrée principale. Comme le garage donnait sur un accès au sous-sol, il aurait pu se défaire de son équipement là bas. Or, dans ces circonstances, il déchaussa hâtivement ses skis, les déposa au pied des marches et grimpa jusqu’à la porte.

Aussitôt qu'il ait tourné la clé, il pénétra dans le chalet et ressentit l’agréable chaleur contrastant avec le froid extérieur. Il se délesta de son sac et de la carabine à l’entrée, et se précipita vers la porte menant au sous-sol. À la vue des béquilles en bas de l’escalier, son sang ne fit qu’un tour.

« Vivi ! »

Il descendit en courant, répétant son prénom. Il la chercha d’un coup d’oeil dans la salle de jeux, où il trouva l’écran géant, allumé mais noir. Sur un fauteuil, la console et le téléphone portable de sa fille posés négligemment.

« Merde ! » se plaignit-il, entre préoccupation et rage.

Il l’appela fermement à nouveau, puis ressortit de la salle de jeux et vérifia le couloir. Les WC étaient vides eux aussi, tandis que les deux autres portes demeuraient toujours fermées.

Il remonta à l’étage et ce qu’il découvrit le soulagea tout autant qu’il le mit en colère.

— Ne touche pas ça ! ordonna-t-il énergiquement.

La main de la jeune fille avait à peine effleuré la carabine laissée sur le tapis à l’entrée. En l'absence d'autre divertissement, elle s’était assoupie dans sa chambre. Réveillée par le vacarme produit par son père, elle avait rampé jusque-là.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu ne peux pas dire « chérie, je suis là », comme tout le monde ? lança-t-elle sur un ton moqueur.

Karl s'affichait tendu, sa bouche dessinait un rictus censé dissimuler un camaïeu d’émotions : soulagement, bonheur, irritation. Il était en colère contre lui-même. Quelle erreur de débutant de laisser une arme à sa portée, même si elle n’était pas chargée.

Avant qu’il ne puisse la sermonner pour son imprudence, elle frappa plus fort avec sa remarque :

— Sérieux, tu as voulu rester là pour pratiquer ton tir ?

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