Chapitre 13 : Éternelle captivité (1/2)

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JIZO


— Qu’entrevois-je donc dans l’opacité ? demanda Vouma, la voix infléchie par la curiosité. Bien peu, hélas. Je m’y efforce, sache-le, mais il existe des limites à ma propre vision ! Mes perspectives subjectives me condamnent même dans cet état.

Le sang avait cessé de suinter. Si des lacérations le striaient, et les chaînes en fer l’étreignaient tout entier, le pire sévisse transperçait ses tympans. Jizo haletait plus qu’il ne respirait au sein de cette pièce froide et humide. Il gémissait à la complainte des uns. Il clignait d’excès à défaut de pouvoir frotter ses paupières. Mais dans la faible lumière que prodiguaient les torches fixées sur les murs de grès, il apercevait juste les autres personnes retenues prisonniers. Tous se situaient sur les côtés hormis Taori, assise en face de la porte massive et cadenassée, enveloppée de cordes en kurta.

Seule Vouma goûtait à une relative liberté.

— Ce serait redondant d’affirmer que je souhaite ton bonheur, Jizo. Il est donc important que tu me croies sur parole. Tu savourerais déjà l’air extérieur si je savais comment te délivrer ! Hélas, je ne peux pas interagir avec le monde réel ! Juste avec toi.

Et c’est déjà de trop. Jizo devait se contenir au risque d’intensifier ses lamentations. À sa droite, les lèvres de Nwelli s’étaient déformées en une lippe soucieuse, et son regard se fixait avec insistance sur son ami affaibli. Elle le devine, maintenant. À peu de choses près, elle pourrait entendre Vouma.

La maîtresse fit volte-face et s’approcha de l’ancien esclave par légères foulées. Mains sur ses genoux, elle dévora Jizo des yeux, le sourire pendant et sinistre alors qu’elle se penchait vers le réfractaire.

— Est-ce ton destin ? Courir vers ta liberté pour que tes chaînes finissent par te restreindre ? Tu sais ce que je pense.

Jizo baissa la tête en signe de résignation. Lassante et répétitive. Vouma va encore me dire que j’étais mieux dans sa belle maison, parce qu’elle prenait soin de moi, parce que j’avais droit à de délicieux repas et à un lit douillet avant de subir ses talents. S’opiniâtrait la maîtresse au lieu de soulager le jeune homme par l’unique absence dont il avait besoin. Tout aurait été différent si j’avais compris ses intentions. Elle ne serait plus qu’un souvenir. Peut-être n’existe-t-il qu’un moyen d’avoir la paix… Et l’ombre dansait toujours sous les flammes.

— Évaluons la situation avec objectivité, veux-tu ? Quand cette enfoirée d’assassin vous a délivrés, vous auriez pu partir vers l’ouest, retrouver ce Diméria natal qui te manquait tant. Au lieu de quoi vous avez voyagé dans la direction opposée. Partout où tu te dirigeais, la mort et la destruction vous suivaient. Votre captivité actuelle n’en est qu’une preuve de plus. Pourquoi tu veux aider Taori, au juste ? Parce que tu as le béguin pour elle ?

Les propos s’enchaînaient pour mieux l’acérer. Jizo avait beau fulminer en dépit du soutien de Nwelli, il garda sa rancœur à l’intérieur. Je ne dois plus lui adresser le moindre mot. Si papa et maman apprennent que je parle à mon ancienne tortionnaire, que penseront-ils de moi ? Il se surprit de découvrir que ses parents dormaient encore, tout comme Nwelli, à la disparition de référence temporelle. Un environnement au sein duquel murmures et chuchotements étaient préférables aux cris.

— Une chanson ! tonna Sandena.

Jizo et Nwelli sursautèrent tant qu’ils manquèrent de se cogner le crâne contre le mur. Au moins Vouma s’était retirée, fût-ce éphémère. Les anciens esclavages apercevaient mieux les autres captifs, victimes d’un conflit qui ne le concernaient pas.

— Ça y est, tu as perdu la tête ? se moqua Audelio. Pas que tu étais d’une grande finesse avant…

— Tout prétexte est bon pour une nouvelle composition ! avança la ménestrelle. Il s’agit du meilleur remède lorsque la situation vire au désespoir. Jusque-là, je pensais que mon existence était excitante, mais rien comparé à maintenant ! La talentueuse Sandena Guino délivrait une belle performance quand l’abject Audelio Duram l’interrompit. Mais la brave riposta courageusement et engagea un duel contre lui ! Elle montrait ses plus élégantes figures, impressionnant davantage le public, mais quand elle fut sur le point de gagner…

— Hé ! Depuis quand je suis abject ? Ta meilleure amie ne serait pas d’accord.

— Cesse de l’évoquer ! Et laisse-moi finir mon histoire, d’abord !

— Arrêtez ! supplia Nwelli. Comment pouvez-vous plaisanter tout en vous disputant dans ces circonstances ? Savez-vous quel sort ils nous réservent ?

Sandena et Audelio écarquillèrent les yeux tant Nwelli avait élevé la voix. Ébranlés, ils se consultèrent un court instant, puis une onde de fierté traversa leur visage. Ils ne réalisent pas, en effet.

— Totalement dans l’ignorance, admit la musicienne. Vous avez tous ici un lien avec ces mercenaires, mais nous ? Juste au mauvais endroit au mauvais moment ! Parfois je me dis que nous sommes chanceux d’avoir été épargnés, parfois je pense que s’ils voulaient nous tuer, ils l’auraient fait avant ! En tout cas, ça m’inspire. Autant maintenir mon esprit occupé !

— Cette idiote a beau rester positive, rétorqua Audelio, elle dit parfois vrai. Sans vous, là, installés tranquillement dans cette auberge, je me baladerais sous le beau soleil de Lunero Dogah !

— Nous serions donc fautifs ? s’étonna Nwelli.

— Perspicace, je constate. Quand on a des ennemis, on évite de se pointer dans ce type d’endroits, au risque de causer des dommages collatéraux !

— Les seuls responsables sont les Shozam, répliqua une autre voix.

Audelio grommela sans rien rétorquer. À l’instar des éveillés, il se riva vers l’homme enchaîné à proximité du coin.

— Tu es qui, au fait ? demanda Audelio. Je te comprends à peine !

— Je suis un pirate.

Je l’avais presque oublié alors que je me posais plein de questions. Il avait été déposé la veille mais avait dormi depuis. Il portait moult ecchymoses que sa tunique en soie écarlate, déchirée par endroits, ne savait dissimuler dans son entièreté. Dès l’abord Jizo avait identifié le teint basané de sa peau et l’étroitesse de ses yeux, ainsi que son large front se plissant par-dessus son nez aquilin. Des taches de fluide vital séchées maculaient ses cheveux de jais retombant disgracieusement à hauteur de ses épaules. Que fait-il ici, si loin de son équipage ?

Sandena s’inclina et le dévisagea d’un œil inquisiteur.

— Des prisonniers de tout horizon, commenta-t-elle. Les pirates ont une réputation mitigée à Lunero Dogah, mais tu n’as pas l’air bien méchant.

— Nous le connaissons, dévoila Jizo. Il s’appelle Kwanjai. Vous deux, peut-être que vous ne connaissez pas notre histoire, mais c’est bien vrai : des pirates ont aidé des réfugiés. Les maîtres de la mer, qu’ils s’appelaient.

— Pas une appellation de première modestie. Cette histoire m’intéresse, ceci dit !

— Tu es mal placée pour parler de modestie, souffla Audelio.

Au foudroiement de regard se replia le duelliste, peu enclin à affronter la ménestrelle. Jizo et Nwelli prêtèrent toutefois peu attention à eux : fixés sur Kwanjai, ils déplorèrent les dégâts qu’il avait reçus. Ils l’ont roué de coups, ou quoi ? Ce monde est immense et pourtant nous avons les mêmes ennemis… Le pirate ne flancha pas malgré tout et conserva le peu de robustesse que la situation le lui permettait.

— Vous vous demandez sans doute comment je me suis retrouvé là ? lança-t-il. Je sais déjà pour vous, en écoutant vos conversations… Je n’ai pas le sommeil très lourd.

— Oui ! confirma Nwelli. Pardonne-moi de t’assaillir mais… Vous vous en êtes sortis ? Avez-vous triomphé des inquisiteurs et des mercenaires ? Tu t’es séparé de ton équipage ? Si oui, comment ?

— Ça fait beaucoup. Mais je peux être bref. Oui, malgré quelques pertes, nous avons gagné. Docini a décapité Adelam de la plus belle des manières, puis s’est alliée avec les inquisiteurs radicaux pour rejoindre la branche modérée, si j’ai bien suivi… Ce que j’ai compris, c’est qu’elle a abandonné sa vie de pirate pour affronter sa propre sœur. J’étais conscient qu’elle ne resterait pas avec nous, mais ça nous a quand même fendus le cœur.

— Oh, oui, je me souviens d’elle. Un pauvre brin de femme. Même si elle avait sans doute le double de ma taille et de mes muscles.

— Tu l’as dit. Plus d’inquisiteurs et plus de Rodulim sur notre passage. Nidroska a affirmé que nous devions explorer d’autres horizons. Le plan, c’était d’abord de continuer vers le nord, avant de rebrousser chemin et d’explorer les côtes ouest du continent. Un très long voyage, pour sûr. Lunero Dogah ne devait être qu’une étape, et bon sang, quelle magnifique ville !

— Nous sommes d’accord, interrompit Sandena. Tu es peut-être un peu rustre, mais tu as bon goût.

— Je vais prendre ça pour un compliment. Les réjouissances ont peu duré… Car mon passé a fini par me rattraper.

— Tu as un passif avec les Shozam ? s’étonna Nwelli.

Des tressaillements parcoururent Kwanjai à la mention de leur nom.

— Je n’en ai jamais parlé à mon équipage. Je leur avais raconté mon passif avec Ammara, capitaine de la garde de mon village natal. Par contre, je ne leur avais jamais dit que j’ai voulu engager des mercenaires pour la tuer, et enfin être vengé. Je suis tombé sur les Shozam. Je leur ai promis une somme d’argent que je n’avais pas, avant de leur fausser compagnie sans avoir révélé que j’étais un pirate. Ils m’ont rattrapé… C’est ma faute, mais aussi la leur. Ce ne sont pas de simples mercenaires. Ils sont plus dangereux encore que les Rodulim.

— Pourquoi voulais-tu faire tuer Ammara ? se renseigna Nwelli. Assassiner des gens, ce n’est pas bien !

— Une autre histoire à raconter, donc…

Un grondement coupa court à la conversation.

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