Chapitre 41 : L'alliance (2/2)

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Horis et Nafda tracèrent leur voie en peu de temps. Par-delà les dunes sillonnaient les routes convergeant vers les contours de la cité. Ils dévalèrent la déclive à une vitesse ahurissante, si bien que le plus véloce sprint d’Oranne ne suffit guère à tenir le rythme. Crampes et ampoules l’obstruèrent mais, mobilisant ses forces, elle en passa outre.

D’emblée les regrets la submergèrent une fois qu’elle arriva au sommet d’une élévation.

De part et d’autre des sentiers craquelés s’étalaient montures et caravanes renversées. Oranne avisa la présence humaine dès qu’elle plissa les yeux. Femmes, hommes et enfants gisaient ou agonisaient aux portes d’Amberadie. Les survivants s’évertuaient à aider les blessés, mais la plupart détalaient. Le plus loin possible de la menace, j’espère… Des cris d’épouvante se déformaient à force de se répercuter. La créature traçait sa route avec implacabilité, semant encore et toujours le chaos. À l’émergence de l’infamie tremblait une cité au bord du précipice.

Les seuls hurlements de la bête lézardaient sur les murs.

Oranne plaqua sa main contre sa bouche comme elle manquait de défaillir.

C’est pire que tout… Leid et Niel ont l’âme tranquille, maintenant qu’ils sont morts ! Aucun de ces décès ne pèsera sur leur conscience !

Combien n’apercevrons guère le tant désiré crépuscule ?

Tandis qu’une pléthore fuyait la dévastation, la marchande s’en rapprochait. Tandis qu’un champ de ruines s’étalait sur les amas de sable, la diplomate s’immergeait en plein cœur. Là où gardes et miliciens se rassemblaient désespérément. Flèches et carreaux eurent beau s’abattre sur sa peau, la créature les considérait comme des éraflures. De ses pointes elles transperçaient les malheureux, de ses dents elles les déchiquetaient en plusieurs morceaux. Toutes ses tentatives suffirent à peine à la ralentir comme elle s’agrippait aux murailles. Chaque coup se succédait d’une secousse plus tumultueuse que la précédente. Des fissures se propagèrent de ses fondations jusqu’aux courtines. Peu importaient les assauts, la bête se déchaînait, frappait avec une puissance prompte à déchirer les cieux.

Horis et Nafda surgirent en renfort. D’ici Oranne apercevait combien leurs traits s’étaient creusés, combien leur aura s’extériorisait. Dans d’autres circonstances, ils auraient été nombreux à s’ankyloser face à leur présence. Surtout que le mage déploya une épaisse colonne de lumière sitôt parvenu aux pieds des fortifications.

Mais les dommages s’étaient multipliés, et le grondement résonna sur un rayon de plusieurs kilomètres.

Les murailles se fracturèrent en une myriade de morceaux, sous lesquelles de nombreux malchanceux furent inhumés. Tant de débris engendrèrent des nuées de poussière recouvrant la désolation et s’amoncelèrent sur des flaques vermeilles.

Il y eut un moment de silence. Celui du déni, puis de la progressive réalisation. L’instant où l’on dénombrait combien s’était abandonné à la lueur vespérale. La minute où les environs s’étaient teintées des sinistres nuances. Le temps des pleurs et des geignements.

Elle a percé les fortifications sans le moindre effort. Phedeas, comment as-tu pu échouer à ce point ? Tu avais des centaines de mages sous tes ordres, et aucun n’est parvenu à briser les murailles, fussent-elles solides ?

Oui, tu as raison. L’heure n’est pas au reproche. Plutôt à la lamentation. À déplorer tous ces innocents que l’innommable a fauché.

De la nausée ankylosa Oranne au moment de franchir l’embrasure. S’agrippant sur les décombres, ses yeux se révulsèrent, si bien qu’elle faillit riper vers l’inexorable. Elle était à proximité directe, à la place parfaite pour observer les échanges décisifs.

Des citadins quémandaient du secours, se précipitaient vers l’intérieur de la cité, se réfugiaient vers leurs demeures. Désespérés ou pas, vous devriez savoir que les uniques échappatoires sont temporaires. Des gardes formèrent un cercle fragile contre la destruction totale. Tous tremblaient face à l’abomination. Peu osaient fixer ses yeux globuleux. Nul n’osait s’en rapprocher de trop près, de risque de subir un destin similaire à leurs confrères et consœurs.

— Ne vous détournez pas ! vociféra Nafda. Vous avez juré de protéger cette cité ! Petite aide : cette bête est vulnérable au kurta !

— Nous ne sommes pas assez nombreux ! se découragea un milicien. C’est quoi cette monstruosité, d’abord ? Et je rêve, ou tu es accompagnée de Horis Saiden en personne ?

— Arrête de poser des questions, la situation est urgente ! On a besoin de toutes les forces en marche pour vaincre cette créature ! Pensez à vos épouses, à vos époux ! Pensez à vos filles, à vos fils ! À toutes les personnes chères à votre cœur ! Sacrifiez-vous héroïquement ou fuyez en lâches, moi, j’ai fait mon choix !

Une assassin qui hèle gardes et miliciens telle une cheffe de guerre ? De quoi les féliciter si je ne les méprisais pas autant.

L’ultime assaut débuta sous une cohorte de cris d’encouragement.

Sur son élan, la créature infligea de puissants coups de pattes, dont les pointes charcutaient quiconque se trouvait sur leur passage. Hallebardes, lances et cimeterres chutaient dans des cliquetis sourds. Au second impact, l’effet fut amorti, puisque Horis déploya un large bouclier. Toutefois la bête s’opiniâtrait, accumulait des victimes. Chaque structure s’ébranlait sous la puissance de ses attaques. Tout menaçait de s’effondrer en dépit des efforts du groupe.

Persistait l’intrus, s’érigeait le mage. Il restait à une bonne distance depuis laquelle il criblait son adversaire de sorts. Sphères enflammées, jets de foudre et monceaux de pierre voltigeaient avec précision et célérité. Des projectiles bien plus efficaces que les carreaux et flèches perçant à peine la peau de la créature. Hélas, à mesure que des blessures la jalonnaient, ses ripostes redoublaient de véhémence. Des gardes détalaient au mépris des contestations de leurs collègues. Crevasses et échancrures striaient tant l’architecture que les combattants.

Seuls deux individus intéressaient pourtant l’ancestrale force. Lesquels recevaient les coups sans broncher nonobstant les lacérations les couvrant de la tête aux pieds. Beaucoup écarquillèrent les yeux en apercevant Nafda et Horis se protéger mutuellement, mais c’était bien véritable. Robuste était le kurta dont elle se servait. Elle bloquait pour mieux riposter par après, forte des protections que lui prodiguaient le mage.

Une profonde lacération lui entaillait le torse. Pestant, grinçant des dents, Nafda y posa sa main avant d’en puiser assez de volonté que pour s’élancer.

Elle va vraiment le faire ? D’instinct l’assassin évita d’être griffée et mordue par la créature. Elle se hissa sur ses pattes, se maintint en équilibre sur son dos. De cette position, elle planta ses dagues à moult reprises dans sa chair, ce malgré les agitations de l’invocation. Plus d’un garde restait bouche bée face à ses assauts. Ils s’apparentent à un vain soutien ou à un symbolique sacrifice.

La bête était proche de tomber à genoux. D’un hurlement à en déchiqueter les tympans, elle chuta petit à petit, manifestait un affaiblissement proche de l’agonie.

Plusieurs périrent sous son déchaînement. Du sang avait beau dégouliner de ses plaies, elle exauçait les plus mortifères souhaits des invocateurs. Même Nafda, à la déception de tout un chacun, subit la rétorsion de plein fouet. La créature la propulsa contre les débris, sur un éclat tel que nombre de ses os s’en brisèrent. Si près du but, cela ne peut se produire !

Les quelques gardes encore en état de batailler venaient de reculer.

Restait juste Horis, dont le regard s’était étrécit, dont la magie s’était amplifiée jusqu’à un seuil imaginable.

Et alors que la bête sollicitait ses forces restantes contre lui, le jeune homme généra des ondes déchirantes sous laquelle la créature s’ankylosa plusieurs secondes. Aux sorts succédèrent les rugissements de géhenne et précéda une lumière pure et aveuglante. Focalisé, Horis se consumait tout entier au nom de sa destruction. Acharné, Horis dérobait la vie d’un environnement déjà miné. Il incarne la flamme d’un lieu d’éteinte substance. Il représente l’éclat qui s’est extrait des ténèbres.

De ses propres secousses naquit une colonne de foudre qu’il orienta vers la bête, interrompue lors de sa charge finale. Ce fut une éblouissante salve dont les arcs fendirent les alentours.

Un dernier cri écorcha le paysage tandis qu’une fumée noirâtre bientôt obscurcit la voûte céleste. Frappa encore un moment de mutisme puisque succomba l’innommable.

De prime abord, la perplexité régna. Des gardes circonspects s’approchèrent lentement de l’immense dépouille, s’assurèrent qu’elle était décédée pour de bon. Oranne elle-même se frotta les yeux et soupira de soulagement une fois que sa vision s’éclaircit. Niel et Leid, quelles qu’aient été vos intentions, vous avez échoué. Dommage qu’autant d’innocents vous aient accompagné dans la tombe… Puis la réalisation tomba et la jubilation retentit de part de la brèche. Ils furent des centaines à se conglomérer autour de la débâcle. Des hommages étaient psalmodiés pour les morts, des larmes coulaient d’abondance, mais surtout, une multitude d’yeux se rivèrent bien au-delà de la créature. Forcément. De tous les endroits où Horis aurait pu illustrer, c’était le moins discret.

— Mais c’est lui ! Horis Saiden en personne !

— Il a sauvé Amberadie… Nous devons lui en être reconnaissants.

— Non ! Il œuvre pour notre annihilation, c’est dans son sang !

— Pourquoi il se serait sacrifié pour nous, dans ce cas ? C’est insensé !

Des voix contrastaient dans une étouffante et assourdissante cacophonie. Oranne n’en revenait guère, ni des yeux ni des oreilles, tandis qu’elle s’écartait peu à peu des décombres. Horis a donné tort à nos ennemis. Pas tout le monde ne honnit la magie. Et maintenant, ils commencent à l’exprimer sans peur.

Nafda se redressa même si ses plaies suintaient tant qu’elle en était méconnaissable. À chaque foulée, elle menaçait de s’écrouler, pourtant progressait-elle vers Horis, lequel était si dissipé que tout mouvement lui était inconcevable. Rien que remuer un doigt ravivait des éclairs de douleur.

Une occasion dont se saisirent les gardes. Des dizaines d’homologues rappliquèrent de tous les coins de la ville, cernèrent un mage dont l’échappatoire se réduisait à peau de chagrin. Il en était réduit à leur couler le plus acariâtre des regards.

— On te disait invincible, persiffla un garde. La preuve du contraire ! Allez, emparez-vous de lui !

Horis se savait condamné et évitait ainsi de fixer qui que ce fût. Pourtant tonnaient des protestations issues du même population. Des voix dissidentes et assidues auxquelles les gardes devaient faire face. Sommations et intimidations eurent recours pour disperser la foule. L’on en vint aux poings, l’on en vint aux armes, alors que le calme était tout juste rétabli. Parmi ce concert de cris, un murmure influa davantage.

— Cet homme nous a tous sauvés, déclara-t-elle.

Sur ces mots, l’ensemble des citoyens dévisagea l’assassin, mais ce furent les gardes qui lui consacrèrent le plus de mépris.

— Je te reconnais ! fit leur meneur. Tu es Nafda, assassin de l’impératrice ! Ces dagues ne trompent personne. Pourquoi tu le défends ? Où est ta loyauté ?

— Laissons la guerre pour un moment, vous voulez bien ? Nous avons dû allier pour terrasser une menace bien plus conséquente ! J’étais là quand cette bête a été invoquée. Et je… Je suis contente d’être là quand elle a péri.

— On s’en fiche bien de tout ça. Depuis combien de temps il a mis la stabilité de l’empire en péril ? Nous l’emmenons comme prisonniers, et Bennenike saura quoi faire de lui. N’aggrave pas ton cas.


Rarement la résistance émergeait dans ces conditions. Cela, Nafda l’apprit à ses dépens, contrainte de résigner en l’attente des soins. C’était face à un attroupement dispersé que Horis redevenait prisonnier. D’un faciès impavide et insensible, il se laissa emmener, accordant juste son dernier regard à l’assassin.

Il s’immobilisa pour mieux observer la foule, à qui il adressa un regard décisif.

— Je n’ai plus la force pour l’instant, déplora-t-il d’une voix faible. Mais vous l’aurez. Vous avez assisté à ce combat… À vous de le transmettre. Pour que plus jamais la peur et la tyrannie ne règnent… Les mages de tous les pays doivent s’unir.

Maints citadins se suspendirent aux paroles de Horis. Des gardes eurent beau le rudoyer, avant de le traîner vers son incarcération, les paroles s’étaient propagées, et promettaient de se propager à la vélocité de l’éclair. D’abord des chuchotements, puis des murmures se répandirent, qui tôt ou tard se répandraient en cris.

Nafda en suivit la troupe plus lentement.

Pendant ce temps, Oranne avait déjà détalé, inondée de larmes. Elle disparut dans les méandres de la cité, piégée entre ses épais murs, n’était la large brèche.

À la merci de nos ennemis. Pardonne-moi, Horis, je ne voulais pas redevenir prisonnière.

Filer, je dois filer ! Plus de torture, on ne me privera plus de rien !

Couarde, couarde ! Même en l’état d’agonie, tu auras su à t’exprimer. Et les paroles résonneront grâce à ta réputation.

Un tel événement ne restera pas dans l’oubli.

C’est ce que vous vouliez, espions ?

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