Chapitre 49 : Réunion décisive (1/2)

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FLIBERTH

Tout s’était déroulé rapidement et lentement en même temps.

D’une poursuite à une réunion, il n’y avait que quelques pas. Même revenu auprès des miens, j’ai encore du mal à suivre ce qu’il se passe… Un fatras de réflexions et conceptions s’emmêlaient dans l’esprit de Fliberth. Lui qui s’était motivé pour leur nouvelle quête s’aperçut qu’elle touchait déjà à sa fin. Il s’était pourtant concerté avec Vendri et Dirnilla, avant que Zech, Taarek et Janya ne se joignissent à eux. Deux jours de trajet et d’angoisse à peine et le mystère fut résolu : Taori rentra en contact avec Hatris sitôt à bonne proximité. Des explications abondèrent à leur réunion, non sans que la fugueuse ne se dérobât à ses interlocuteurs de temps à autre. Jizo et Nwelli l’avaient consolée auparavant, toutefois Fliberth s’y ajouta :

— Nous te comprenons. Jawine me disait toujours qu’en fin de compte, la magie doit rester un choix. Elle aura suivi sans ses convictions jusqu’à la mort… et n’est pas la seule à s’être sacrifiée. À nous de nous battre pour que le droit de pratiquer la magie.

Un tonnerre de soutien avait encerclé le garde. Sur ces retrouvailles, ils surent qu’ils avaient juste à faire volte-face. Des escarmouches s’abattaient parfois après avoir rejoint du renfort, mais les troupes myrrhéenne restaient clairsemées dans la région, plutôt retranchées dans d’autres parties de l’empire.

Les circonstances favorisaient la progression de leur propre armée. De fait, ce fut à ce moment que Fliberth se perdit, tant dans l’espace que dans le temps.

Nous avons vraiment une chance ? Leur avancée s’effectuait à un rythme cadencé mais soutenu. Le long du campement se congloméraient des combattants de plus en plus hétéroclites, certains que les gardes peinaient à cerner. Dathom et Docini avaient ordonné l’abandon de leur base en Enthelian précisément car Danja était redevenue libre de toute occupation adverse. Ce pourquoi Douneï les avait rejoints en guise de consolidation. Pour couronner le tout, bientôt rallièrent les forces de Noki, ayant contraint avec succès leurs opposants se retirer de Nilaï.

Ça y est ? Une des plus importantes coalitions jamais formées ? Nous vivons à une époque historique. Mais aussi l’une des guerres les plus dévastatrices depuis l’assaut du Ridilan et la guerre entre la Fodanie et le Yukin. Et surtout face à la plus grande armée du monde, elle-même accompagnée d’une autre armée.

Non, notre victoire n’est pas encore garantie. Ni même à quel coût elle le serait…

Ils se heurtèrent à peu d’hostiles rencontres sur leur chemin hormis une poignée d’échauffourées. Cela représentait une occasion de récupérer pour ces milliers de femmes et d’hommes rôdant dans la chaleur du désert et la frénésie de l’acier. De se préparer au pire tandis que des présages obscurcirent progressivement l’horizon austral.

Fliberth appartenait à cette catégorie. Entre ses conversations avec Vendri et autres homologues, il se promenait le long de campement, cadencé par les paroles de Jawine que sa mention avait ravivées. Il se contentait de rapides signes à Dirnilla puisqu’elle s’exprimait peu, même par écrit. Il lui arrivait de débattre avec Janya, Zech et Taarek au sujet de la guerre, de la place de la magie et de la collaboration entre les peuples. Il se surprenait même à entretenir quelques conversations avec Docini. Curieusement, il lui parlait davantage de sa défunte épouse qu’à Vendri elle-même. Brûlait une vivifiante flammes des réminiscences pendant qu’ils s’épanchaient sur leurs luttes respectives. Leurs décisions, leurs erreurs, leurs remords. C’est un grand honneur qu’elle se confie à moi… On a besoin de ces moments où on oublie la hiérarchie.

Taori, de son côté, avait un comportement discret. Déjà son nom et ses actions circulaient à l’excès, aussi évitait-elle de se manifester. Fliberth la croisait parfois au détour de ses balades, à chaque fois flanquée de Jizo et Nwelli. Tréham et Wenzina s’étaient excusés auprès de la mage même s’ils se ravissaient également de son engagement. Ils se préoccupaient plutôt des absences répétées de Sandena et d’Audelio, dont les uniques contributions se limitaient à la danse et chansons destinés à détendre les belligérants.

Fliberth dialoguait avec peu de meneurs autres que Docini. Là où Dathom motivait ses troupes dès les premières lueurs de l’aube, Douneï ne les ménageait jamais, tandis que les instructions de Noki gagnaient en intensité à mesure qu’ils progressaient vers le sud. Sous leurs ordres s’amalgamaient mages, soldats et autres rebelles qui posaient moult questions au lieu de les suivre aveuglément. Au gré de leur humeur, entre réchauffements et beuveries, ils illuminèrent un campement pourtant déjà fort éclairé. Continuez. Nous avons besoin de personnes comme vous.

Lors d’un zénith comme tant d’autres, des déplacements particuliers se démarquèrent au sein du mouvement général. Fliberth avisa que Muzinda et Oudamet sellaient une paire de montures, au biais desquelles des baluchons étaient suspendus. Il les interpella à temps, leurs lèvres esquissant un sourire.

— Vous partez ? s’étonna le garde.

— Nous ne sommes pas des guerriers, regretta Oudamet. Votre ultime bataille approche et notre place est ailleurs.

— Oh, je ne vous en veux pas ! J’aimerais juste savoir pourquoi vous vouliez le faire sans prévenir. Sans adieu.

Les mains sur les troussequins, Muzinda tourna d’abord le dos à son ami. Il se retourna après quelques secondes et dévoila une figure striée de plis.

— Trop difficile pour vous ? s’enquit Fliberth.

— Certains adieux peuvent être déchirants, justifia Muzinda. Nous avons fendu de nombreux kilomètres et nous avons assisté au pire. Des mois à vivre une expérience similaire, à assister aux plus innommables atrocités dont l’humanité est capable. Mais il y a un contraste frappant entre toi et moi, Fliberth.

— Laquelle ?

Des tâtonnements le paralysèrent. Peu importent nos différences car notre parcours commun les a effacés. Puisqu’il joignit ses poignets derrière son dos, puisqu’il trépigna des pieds, Oudamet dut lui saisir délicatement par la taille afin de le détendre.

— En voyageant ensemble, reprit Muzinda, nous arrivions toujours après les faits. Que ce soit dans les Terres Désolées, autour de la base des inquisiteurs radicaux, ou même ici, à Erthenori. Nous constations les dégâts, j’écrivais les témoignages de naguère dans mon carnet de notes.

— Bien sûr, confirma Fliberth. Où est le problème là-dedans ?

— Tu te battais avant de me rencontrer. Tu as perdu de nombreux, y compris ta propre épouse. Pendant ce temps, j’étais l’historien, l’érudit, voire l’archéologue, toujours épargné par ces horreurs. Incapable de tenir une arme. D’apporter une contribution concrète dans ce conflit.

Des regrets, maintenant ? Il n’a pas à en avoir. Apporter du baume à un cœur meurtri et hésitant demeurait délicat. Fliberth s’y consacré malgré tout en saisissant légèrement l’épaule de son compagnon, s’ajoutant au contact de Oudamet. Aussitôt les rictus disparurent et l’éclat enfoui se raviva.

— Nous nous étions mis d’accord dès le début, rassura-t-il. Prenons l’exemple de Dirnilla. La forcer à se battre l’a rendue muette, et maintenant, elle a trouvé son utilité et son épanouissement. Il existe d’autres manières de lutter contre des tyrannies que par les armes. Oudamet et toi le prouvez à merveille.

— Tu le penses ? Il est vrai que vous avez maintenant du renfort, et plus de gens conscients que jamais, mais j’ignore si ça suffira. À ce niveau-là, peut-être que Horis a été d’une meilleure aide que nous.

— Je ne le pense pas, j’en suis sûr. Tu me l’as prouvé à maintes reprises. Où que vous alliez, maintenant, vous avez mon soutien.

De tels propos achevèrent de rasséréner le couple. Pas seulement un sourire, mais aussi un court rire les anima. Oudamet déposa un baiser sur le cou de Muzinda dont les traits ne cessèrent de s’alléger. Les efforts sont récompensés… Muzinda, Oudamet, vous méritez mieux que vous exposer au danger par peur de ne pas être perçu comme de véritables guerriers. Vous l’êtes à votre manière. Son partenaire le sollicita encore avant de grimper sur la selle de sa jument.

— Une longue route nous attend encore ! s’enthousiasma-t-il. Nous allons passer par beaucoup de zones sinistrées, répandre nos nouvelles, aider les habitants locaux et conserver avec eux. Loin d’être sans danger, mais nous serons bien entourés, et nous avons l’habitude. Tu es prêt, mon amour ?

— Plus que jamais, affirma Muzinda.

Juste à ce moment Fliberth remarqua une quinzaine de gardes et soldats constituant leur escorte. Avec eux, ils ne craignent rien. Ils partent vers l’ouest, là où une bonne partie du territoire a été reconquis. Pourvu qu’il ne leur arrive rien tout de même… À son tour, Muzinda s’installa sur sa monture et commença à la faire avancer au rythme de ses renâclements. Il se pencha une dernière fois vers son ami à qui il décocha un coup d’œil assuré.

— Ce ne sont pas des adieux définitifs, j’espère ! lança-t-il. Nous nous reverrons en temps voulu. Survis à cette guerre, s’il te plaît.

— Je m’y efforcerai, certifia Fliberth. Mais je ne peux rien promettre. J’imagine que tu comprends…

— Ne t’en fais pas, je comprends. Mes espoirs ne seront pas vains.

Il partit sur une note d’optimisme. Des sabots claquèrent sur le sable du désert aux sollicitations répétées du groupe. Des paroles restèrent suspendues, toutefois le garde et l’érudit se quittèrent avec un flamboyant sourire aux lèvres. Lequel s’amenuisa au moment où les voyageurs s’évanouirent au ponant.

Ils gardent le moral même après avoir témoigné de l’innommable. De pures âmes circulent sur des terres encore piégées dans le chaos. Que leur trajet les mène vers le meilleur.

On ne peut en dire autant du nôtre.

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