Chapitre 50 : À l'aube des effusions (1/3)
DOCINI
Assénaient des parties des réunions précédentes lors des nuits à venir. Fliberth agressant Dathom avant de courir vers de plus grandes fraîcheurs. Dathom l’injuriant sans lassitude pour mieux trouver une excuse à son départ, ce malgré les protestations de Noki. Noki s’accordant à la proposition de Docini jusqu’à la défendre contre les vagues d’opposition.
Elle a plus confiance sur l’issue de cette offre de reddition. Tenir Dénou comme otage doit aider. Mais elle est une jeune fille apeurée, dont la mentalité peut encore évoluer. Nous n’étions pas si différentes, à une époque…
— Ne te soucie pas des jours écoulés, déclama Emiteffe. Préoccupe-toi de ce qui nous attend.
Lancinaient les craintes sur l’assemblée à venir au cours des nuits précédentes. Parfois, guettant un sommeil réparateur, l’inquisitrice se calait sur le côté de son lit, couverte de sueur glacée. Enlacements et susurrements d’Édelle l’aidaient à obtenir le repos. Hélas les affres réémergeaient à l’aurore subséquente.
Grâce à Noki et Douneï, le poids de cette rencontre ne sera pas sur mes seules épaules, mais quand même… C’est l’étape décisive. Le nœud d’une guerre qui n’a que trop duré, et qui risque encore de s’éterniser.
Défilaient les jours avant le tant redouté événement. D’entraînements à conversations, de stratégie à confidences, chaque âme rôdant dans le campement prenait conscience de l’étendue du conflit. Car Amberadie gagnait en netteté à mesure qu’ils fendaient l’immensité du désert.
Impératrice, vous ne m’avez sûrement pas oubliée. Je me souviens de la confiance que vous m’accordiez. Je me remémore le respect avec lequel vous me considériez, alors que ma propre sœur me traitait misérablement.
Nombreux louent votre grandeur et votre influence. Un nom retentissant au-delà de toute frontière et s’inscrivant durablement dans l’histoire. Un parcours suscitant l’effroi et la haine, mais parfois l’admiration. Un titre incitant à s’agenouiller devant votre incomparable stature, à disparaître sous votre ombre pendant que nous vous assaillons de compliments.
Autrefois, je l’aurais fait.
Désormais, je préfère vous briser.
— Nous la briserons à deux, déclara Emiteffe.
Leur lieu de rendez-vous se situait à une centaine de kilomètres au nord de la capitale.
Quelques nuages parsemaient la voûte azurée. Seules de rutilantes élévations rocheuses leur garantirent pourtant des ombres sous lesquelles se protéger de l’intense chaleur. De temps en temps, la brise prodiguait une once de fraîcheur, mais nul n’y comptait pour un soutien durable. Supporter ce moment dépendait surtout de leur entraide.
À peine arrivée, Docini détailla l’arche sous laquelle ils cheminèrent. Une structure ocre, teintée d’ambrée et bâtie en plâtre, s’entremêlait en grâcieuses courbes. Voussures et ébrasements s’étendaient de part et d’autre d’une architecture naguère rayonnante. Dorénavant elle ne valait pas mieux qu’un vestige, voire un mirage d’Erthenori. Il était difficile de dater le moment de son effondrement, puisque même si les brisures paraissaient récentes, aucune escarbille ni cadavre ne déparait le paysage.
À aucun moment leur patience ne fut requise.
Docini, Noki et Douneï formaient la tête de leur coalition, Dathom se gaussant encore à la mention d’une reddition. Derrière eux se dressaient Médis et Sembi, à l’instar d’une myriade d’autres mages. Gardes et inquisiteurs modérés se manifestaient en parallèle, parmi lesquels Édelle, Zech, Taarek, Janya, Fliberth, Vendri et Dirnilla défiaient les grandeurs ici présentes. Même Jizo, Nwelli, Wenzina et Tréham se mêlaient à l’arrière-fond de leur armée, alors que Taori s’était dissimulée au campement pour d’évidentes raisons. Quelque part, parmi ces centaines d’hommes et de femmes, Reino gardait Dénou sous son sabre, sans que nul de leurs adversaires ne pussent les repérer.
Inévitablement, la figure d’autorité suprême en fit tressaillir plus d’un.
— Bennenike Teos, murmura Emiteffe. Surnommée l’Impitoyable pour d’excellentes raisons. Trente-troisième souveraine d’une dynastie ayant eu une influence considérable sur toute cette partie du monde. Excuse-moi, Docini… J’en garde le souffle coupé. Je combats depuis des années, de corps et d’esprit, tu auras donc du mal à croire que je la rencontre pour la première fois.
Je te crois. Moi, en revanche, c’est une autre histoire. Elle se devait de rester digne, de montrer l’exemple à ses subordonnés. Non seulement Docini peinait à rester raide, mais ses jambes flageolaient malgré elle. S’incarnait une aura contre laquelle résister relevait de l’épreuve.
Bennenike paralysait par son simple regard. Malgré la durée de son voyage, elle ne s’était pas séparée sa cape écarlate, ni de ses fioritures renforçant son éclat. Mais les cimeterres accrochés à sa ceinture tout comme sa cuirasse en acier doublée de gravures en laiton contrastaient. Elle était la même que jadis, toutefois de fines cicatrices enveloppaient sa figure.
Si happée par sa présence que Docini remarquait tout juste ses forces derrière elle. Plusieurs visages familiers parmi les soldats et miliciens, surtout Badeni, lui rappelaient son séjour au sein du Palais Impérial. À cela s’ajoutaient l’armée et l’inquisition belurdoise dont la portée achevait de la faire trémuler. Car Godéra et Meribald avaient beau paraître insignifiants par-devers l’impératrice, leurs ennemis n’en demeuraient pas indifférents.
Docini sonda ses opposants en même temps que ses alliés et avisa d’emblée l’absence de Nafda. Étrange… Elle qui suit l’impératrice comme son ombre, à moins qu’elle doive accomplir une mission ailleurs. Pendant que l’interrogation la ralentissait, la prolongation du silence incita Badeni à avancer au-devant de Bennenike. Main enroulée autour de sa hampe, dévisageant chaque meneur d’un faciès de marbre, elle s’imposa contre toute attente.
— Ici nous sommes, déclama-t-elle. Les armes ne seront pas brandies, et les dangereux enchantements n’auront pas lieu. Nous sommes prêts à négocier et nous accepterons quelque issue que ce soit.
Elle frappa cérémonieusement la pierre en fixant les chefs de l’armée adverse.
— Nous connaissons vos noms et vos rôles. Noki Gondiana, Docini Mohild et Douneï Kliosis. Au moins l’un de vos homologues manque à l’appel, mais nous nous en contenterons. Parlez donc ! Qu’est-ce qui vous amène ici ?
— Il se trouve que…, commença Douneï.
— J’ai déjà ma petite idée, affirma Bennenike.
D’une foulée assurée, suivie d’un acquiescement, la dirigeante s’érigea au sein de la rencontre. Des éclairs jaillissaient tant de ses yeux que se opposants en restaient entravés. Docini faillit reculer mais Noki l’endigua. Elle a raison. Si je suis incapable de l’affronter maintenant, qu’en sera-t-il sur le champ de bataille ?
— Merci, Badeni, mais je vais poursuivre ! lança-t-elle. Voici un jour important pour chacun d’entre nous. Nul ne sait précisément ce dont se composera l’avenir dans les détails, mais nous avons été forgés par les épreuves de notre passé.
— Abrégez, exigea Noki. Vous vous exprimez toujours en emphases, si satisfaites de vos propres formulations. Pourriez-vous êtres plus directs ?
Un ricanement acheva d’irriter la rebelle. L’impératrice n’allait pas l’écouter, forcément. Joignant les bras, Bennenike renchérit au dédain de sa garde du corps, se fortifiait du mutisme qu’elle contrôlait.
— Ne nous vautrons pas aussitôt dans la sévérité du conflit, reprit-elle. Surtout que je voulais vous adressez mes félicitations.
— De votre part, répliqua Noki, ils ne seront pas sincères.
— Ainsi tu révèles ton vrai visage, Noki, loin de l’hypocrisie de notre première rencontre. Mais oui, je serai franche avec vous. Sachez que vous êtes allés plus loin que chacune des insurrections précédentes. Toutes les autres ont été écrasées pendant que vous résistez. Pire encore, plus le conflit évolue et plus vous gagnez en territoire et en influence.
— Exactement ! Vous comprenez donc pourquoi nous avons demandé à vous rencontrer, impératrice.
— Parce que vous pensez votre victoire garantie ? Avant de hurler au triomphe, évaluons la situation avec du recul. Votre soulèvement survit car vous croyez en l’union. Votre rassemblement est assez hétéroclite, constitué de groupes que je n’aurais jamais subodoré voir ensemble. Seulement dans ces conditions vous pouvez renverser un empire qui est lui aussi l’union de régions très distinctes. En théorie, vous avez tous les outils nécessaires pour vaincre, et votre avancée spectaculaire le prouve.
— Cette progression peut s’achever de plusieurs manières. Cette issue dépend de vous, Bennenike. Avant même le début de cette conversation, je suis sûre que vous y avez déjà réfléchi.
— Un excès de confiance digne des plus arrogants chefs militaires. J’en dirai bientôt davantage, Noki, mais je me permets d’abord de jauger mes adversaires. Ce sera très important pour la suite.
Dès la fin du discours s’opéra un jeu de regards. Anonymes ou distingués, dans l’ombre des arches, les combattants se fixaient comme si l’affrontement était distant d’une étincelle. Docini elle-même gardait une main resserrée autour du quillon de sa lame, l’autre auprès de sa compagne. Rester digne et sans peur… De beaux principes parfois inapplicables. Peu de ses alliés parvenaient à se détacher de l’impératrice, aucun n’oubliait pour autant les deux meneurs de l’inquisition.
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