Chapitre 62 : Destinée à accomplir (1/2)

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HORIS


Dès que l’on avait goûté à la magie, et que le contact s’était révélé positif, il devenait épineux de s’en extirper. Horis s’y était immergé de son plein gré suggestion de ses parents. Un savoir infini s’était alors déroulé devant ses yeux ébaubis. Hélas, pour lui, les souvenirs de son début d’apprentissage resteraient à jamais associé à la marche des miliciens sur Ilhazaos.

Un unique objectif l’avait motivé depuis lors. Des années s’étaient écoulées au cours desquelles le flux s’était développé et ses cibles s’étaient précisées. Quand la hantise le cernait, quand une sueur glacée le privait de son sommeil, il se rassurait d’être au milieu d’un paisible campement. Là où il s’épanouissait et s’évanouissait dans la nuit. Où la bande blanchâtre s’incurvant par-dessus les pics enneigés scintillait de merveilles et d’inconnues. Où il pouvait déployer une sphère lumineuse sans craindre qu’une lance lui traversât le dos. Il y avait des absences déchirantes que contrastaient des présences réconfortantes. Même si ces instants de tranquillité côtoyaient un semblant de bonheur, Horis retournait vite à ses responsabilités. Il s’installait dans la tente de Yuma à chaque lendemain, comblant petit à petit ses lacunes. Tel fut sa formation à compléter afin de concrétiser sa quête.

Des années à ruminer et à réclamer vengeance. Bien qu’on lui eût enseigné une autre manière de vivre, éloigné des persécutions du pouvoir impérial, le jeune homme avait intégré que la rupture éclaterait tôt ou tard. Que d’indénombrables âmes ne reposeraient jamais en paix tant que la tyrannie exerçait sa domination. On l’avait averti, et à maintes reprises dicté l’analogie du grain de sable emporté par la tempête. Pourtant n’avait-il aucunement eu l’intention de reculer face à ennemis, si puissants et barbares fussent-ils.

Le flux avait coulé depuis sa naissance à l’instar de chaque être humain. Il appartenait à chacun de décider s’il devait être maîtrisé, et Horis avait fait ce choix. Celui d’élargir son champ de perspectives à un degré jugé inenvisageable de prime abord. Il n’aurait jamais imaginé, aux portes de l’adolescence, que son existence même était passible de mort. Dans son combat opiniâtre, la magie constituait alors sa meilleure alliée, car il se situait en harmonie avec son essence. Yuma et Khanir lui avaient répété à une kyrielle de reprises et il s’était accordé à leur opinion. Une plaisante sensation le comblait sitôt que le flux sourdait de ses paumes. Même lorsqu’il servait à tuer.

Nombreux avaient chu sous ses sorts. En ce jour, Horis avait juré que le compte augmenterait davantage.

Il avait brisé ses chaînes au moment où on désirait l’exécuter. Il avait beau être entamé, des lames vibrantes et ensanglantées frôlant son organe vital, le mage s’était frayé un chemin au-delà des limites de l’arène. Émergeant à l’air libre, quand l’azur dominait encore la voûte, Horis s’était retrouvé par-devers des miliciens qui accouraient vers la bataille.

Aucun ne pouvait témoigner, puisque tous jonchaient un cratère incrusté au milieu de la rue.

Le jeune homme s’était acharné sur sa lancée dès la victoire acquise. De l’arène à la ville, il était enfermé dans une autre prison d’où il constituait la principale cible. Il se défendait quitte à priver la vie de son environnement. Une flore grisâtre se développait à mesure qu’il balayait soldats et miliciens au milieu de son passage. Jaillissaient les déflagrations lorsque son énergie déchargeait à haute vélocité. Frappaient de déchirantes vagues quand des ennemis tremblants et armés le cernaient. Il s’était guéri par endroits, mais des blessures profondes restaient, et le minaient petit à petit. Seulement dans la quintessence résisterait-il à ces néfastes impulsion. Bon gré mal gré, il se déchaînait au sein de sa propre mêlée, entre colonnes ignées et tornades ensablées. Il était frontal parce que peu de refuges se présentaient à lui, sinon en mettant des innocents en danger.

Ses revendications se raffermissaient. Avec elles le parcours esquissé dans son esprit hautement sollicité.

Le hurlement de la créature à un moment inopportun. Un bond de son cœur, un frisson glacé, Horis faillit s’évanouir alors qu’il se remettait à peine du choc de son précédent affrontement. Il crut être projeté contre le mur effrité à sa droite. Sous les ombres grandissantes, celle d’une entité pourtant vaincue pouvait crevasser la solidité des plus impavides.

Impossible ! Cette bête est morte, je m’en suis assuré. J’ai risqué ma vie et j’ai sacrifié ma liberté pour que sa mort soit éternelle ! Des efforts rendus encore inutiles ? La persévérance a-t-elle encore un sens ?

Il y a forcément une explication. Si Bennenike a récupéré le corps… Je dois en avoir un coup d’œil. Elle ne doit pas être loin. Et elle ne doit plus sévir. C’est ce pourquoi j’ai tant lutté.

Si d’autres grondements avaient retenti aux alentours, Horis n’avait pas perçu ses hantises le tenailler derechef. Il demeurait usé et sollicité, toutefois en mesure de se mouvoir. Aussi s’extirpa-t-il de sa position afin de débuter sa traque.

Une multitude d’obstacles se présentait encore sur son chemin. Lourdement armés, la mine acérée jusqu’à la moelle, miliciens et militaires se liguaient contre le premier ennemi de l’empire. Rarement ce dernier s’était-il confronté à autant de personnes en même temps. Au moment où la panoplie d’armes déjetaient les sorts, où les beuglements se déformaient, l’on sollicitait Horis au maximum de ses capacités.

Qu’ils fussent des dizaines, des centaines ou des milliers, il lui suffisait peut-être de déployer le maximum de ses capacités. Quelque chose le gêna cependant aussitôt que de véloces et hauts piliers emportèrent une première rangée d’assaillants. Les étincelles craquelèrent les heaumes. Les flammes embrasèrent les brigandines. Le sable rougeoyait les yeux et bloquait les voies respiratoires. Les ondes tranchaient et morcelaient. Nonobstant leurs défenses, nonobstant leur alliance, les victimes se répandaient en hurlements et en lamentations, et les survivants peinaient à se venger.

Pour cause se dressait une incarnation indicible. Au flageolement de leurs jambes s’ajoutait la sueur dégoulinant de leur front. Beaucoup d’entre eux résistaient, mais les plus jeunes étaient proches de s’écrouler. Quelques-uns détalaient le plus loin possible de la pernicieuse silhouette.

Le cœur de Horis se pinça.

Voilà ce qui survient quand on force de jeunes hommes et femmes à se conformer à une idéologie mortifère. La destruction à une ampleur que les plus défaitiste n’auraient jamais imaginé. Et contre elle, la nécessité de répliquer, quitte à confirmer leurs inextricables préjugés.

Sous ses pieds se fissurait un pavé déjà fort craquelé. Devant lui émanaient des sphères dont les ravages grandissaient à l’égrénement des secondes. Horis assumait sa position au cœur des ténèbres croissantes. Il était le responsable des giclées cramoisies. Celui dont on maudissait le nom avant chaque sommeil, craignant qu’il s’agît du dernier. Ses opposants eurent beau le condamner, le mage ne s’affadit guère.

— Vuranol ! hurla une milicienne d’âge moyen, boîtant d’une jambe. Vuranol ne respire plus !

— Ouzer non plus ! beugla un confrère jeune et désemparé. Massez-lui la poitrine, traînez-le jusqu’en sécurité !

— Trop tard pour eux, dit froidement une vétérane au visage balafré. Vous avez en face de vous le plus puissant mage de l’empire, si pas du monde. On serait miraculés si on s’en sortait contre lui. À moins de détaler en se pissant dessus comme les autres lâches, là.

— Sergente Menkoulé ! apostropha une soldate moins expérimentée. Le but, c’était de le tuer, non ? Nous pourrions repousser les envahisseurs au lieu de nous jeter à corps perdu vers la mort ! Après l’ouest et le nord, il paraît qu’ils ont fait une brèche au sud !

— Nous sommes foutus, murmura un homologue à la voix vibrante, incapable de brandir correctement son cimeterre. Je le savais depuis le début que ce serait un échec. Dites à mes frères et sœurs que je me serais battue jusqu’à la mort. Et à ma pauvre grand-mère, qui n’aurait jamais dû vivre aussi longtemps pour assister à ça.

Horis ne cessa de progresser. Peut-être qu’il ne restait pas indifférent à la détresse de la majorité de ses adversaires, toutefois s’efforçait-il de conserver la tête froide. Il ne s’interrompait que le temps de respirer par saccades. Il ne s’arrêtait que le temps d’arracher continûment de la magie à son environnement.

Vous avez décidé de votre allégeance. Lehold m’avait prouvé qu’elle n’était pas irréversible, mais les circonstances se prêtent peu à la négociation. À la guerre, jusqu’à l’indiscernable signal de fin, c’est une question de survie.

— Gorada, Senfhor, Duranush, Weham, Trygg ! clama un soldat face à son ennemi envers et contre tout. Tu te souviendras d’eux, Horis Saiden ? Ou bien seul ton nom résonnera quand ils seront enterrés, si nombreux qu’ils seront anonymes !

— Il n’a aucune empathie ! blâma une consœur d’un doigt accusateur. Il ne vit que pour répandre le mal. Son cœur est de sable et ses membres de pierre.

— Bientôt nous serons anéantis jusqu’au dernier, renchérit une homologue, proche de lâcher sa lance. Quand ça arrivera, Horis rira de nous, et admirera son œuvre comme un peintre face à un tableau fraîchement achevé.

— Nous sommes le dernier rempart contre sa sérénade malfaisante ! affirma un hallebardier exténué et aux genoux claquant. Si nous périssons, alors il atteindra notre bien-aimé impératrice. Ce sera le chaos ! La lumière scintillante aux limites du désert s’éteindra pour de bon. Des fondations s’effondrent déjà, et ce n’est que le début. Notre monde tel que nous le connaissons s’achèvera.

Les nerfs de Horis le cernèrent au-delà du supportable. Coulant un regard obscur à ses contempteurs, il fracassa ses deux poings sur le dallage avec une force ineffable. Des tremblements se dispersèrent, des sillons coupèrent littéralement la rue en deux. Et sur le sillage furent emportées une vingtaine de belligérants qui se sacrifièrent pour limiter l’impact.

De la nausée enserra tant la gorge du mage que des victimes survivantes, si bien qu’ils manquèrent de dégobiller. L’on dénombrait davantage de rescapés que de malchanceux. Ils claudiquaient plus qu’ils ne couraient, s’alignaient face à la désignée engeance uniquement par nécessité. Ils ne m’ont pas laissé le choix… Non, aucun.

Horis se dressait, s’opiniâtrait, s’affirmait. Des flammes s’accumulaient sur une de ses paumes, de la foudre dans l’autre. Toutes deux enflaient à vue d’œil, suscitaient transpiration et tressaillements chez les opposants.

— Et vous, alors ? rugit le mage. Quelle pitié avez-vous eu pour les mages ? Pas la moindre ! Vous les avez déshumanisés à travers votre propagande, pour mieux soulager votre conscience au moment de les massacrer ! Emprisonnés et tués par milliers, les survivants contraints à l’exil ! Réalisez-vous seulement l’ampleur du génocide et les conséquences de vos actes ? Toutes ces années, je n’ai souhaité que la vengeance. Puis j’ai réalisé qu’il ne s’agissait pas seulement de moi. Il s’agit de mettre fin à un régime de terreur. Tant que vous serez des obstacles entre moi et Bennenike, vous contribuerez à le maintenir. Est-ce votre fierté, vos idéaux ? Certains ont compris et ont déjà fui. Vous autres, en revanche… Persistez contre moi et vous subirez mon courroux.

Seules de nouvelles recrues daignèrent s’esbigner à la profération des menaces. Fussent-ils semoncés par les supérieurs, voire jugés couards, ils n’en avaient cure, tant ils quémandaient pour leur survie. S’acharnèrent des hordes de troupes impériales qui s’agrandirent à mesure de confluer vers Horis. Les derniers alliés, pourtant des milliers, prêts à donner leur vie pour une cause ignoble. Curieusement, Nafda n’est même parmi eux.

Le jeune homme entreprit de projeter ses sorts aussi puissamment qu’à l’accoutumée.

Mais avant qu’il pût réaliser sa volonté, une nouvelle horde surgit derrière lui.

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