Tharn finissait de ranger ses dernières affaires dans son placard. Il avait pris le temps de le faire tôt le matin pour être tranquille l’après-midi. Il était satisfait de son rangement, lui qui était assez pointilleux. Il s'apprêtait à aller manger, chose bien méritée après tant d’efforts, quand il entendit un bruit sourd dans le couloir. Curieux, il alla jeter un coup d’œil. Un jeune garçon venait de faire tomber des cartons et se retrouvait sur les fesses.

– Tu veux de l’aide ? proposa Tharn.

– Non non ça ira merci !

Le jeune homme en question se releva et essaya de porter trois cartons en même temps même si ses bras tremblaient sous la charge. Alors de bon cœur, il le soulagea en prenant les deux cartons du dessus. Effectivement c’était assez lourd.

– Quelle chambre ? s’enquit Tharn.

–  Euh…, fit le jeune homme.

– Haha tu ne sais même pas où aller ! plaisanta-t-il.

– Si ! je crois que c’est…. c’est la chambre A205.

Tharn comprit qu’il venait de rencontrer son colocataire. Il se dirigea donc vers leur chambre et déposa les cartons par terre.

– Eh bien je dois avouer que je ne pensais pas rencontrer mon coloc de cette manière ! dit-il, taquin.

Le coloc prit du temps à comprendre l’information, mais finit par rire.

– Mince alors, c'est raté pour mon entrée en moonwalk !

Les deux rirent en chœur.

– Moi c’est Type. Et toi ?

– Tharn ! Bienvenue, Coloc’ !

Tharn avait tout du bon colocataire. Il aimait l’ordre et cela se voyait de manière frappante : chaque chose avait sa place, il avait même pris soin de réarranger la chambre et la cuisine pour que tout soit pratique et harmonieux. 

Pour ses courses, il avait pour habitude d’aller au marché chez les petits producteurs. A force, il les connaissait bien et était devenu un de leurs habitués. Il prenait plaisir à discuter avec eux. Il lui arrivait parfois de leur donner un coup de main. Aussi, les commerçants n’hésitaient pas à lui faire des prix ou lui rajouter un ou deux légumes et fruits par-ci par-là. Il en était toujours ravi.

Le week-end, il pouvait passer des heures à concocter des petits plats raffinés et équilibrés, c’était important pour la santé et pour la peau, lui disait sa mère. De l’indie rock rythmée emplissait alors la chambre, entraînant son corps qui se trémoussait au son de la musique. 

Bien qu’il fût pas du genre à étaler sa vie, il avait de la conversation. Il restait toujours évasif et changeait subtilement de sujet quand il était question de sa vie privée. Les dimanches après-midi, il s’adonnait à son petit rituel : prendre soin de lui. Cela allait du masque pour ses cheveux, s’exfolier la peau, ou juste se détendre dans l’air humide de la douche.

Son côté soigné allait de pair avec un autre aspect : celui d’un Tharn très tête en l’air. Il trébuchait souvent et manquait de casser les objets autour de lui. D’ailleurs, une fois, un magnifique bol japonais qu’il s’était acheté lui avait glissé des mains et il dut se contenter de ramasser les morceaux. Quand il était à la maison, il oubliait sans cesse de ranger le paquet de biscuits ou de bonbons qu’il grignotait en travaillant et perdait sans arrêt le livre qu’il était en train de dévorer. Mais il finissait toujours par le retrouver miraculeusement posé sur son bureau.

Son colocataire, Type, n’était pas du genre patient. Il se plaignait assez souvent mais au moins, il s’exprimait sur le coup et s’excusait quand il allait trop loin. Ses « comment ça va ? » étaient toujours sincères. Il était expressif quand il parlait et il savait rendre de simples anecdotes intéressantes et captivantes.

Tharn avait remarqué qu’il était très gourmand et engloutissait la nourriture comme s’il voulait s’en débarrasser. Il finissait toujours les sucreries que Tharn avait le malheur de laisser traîner sur son bureau comme c’était le sien. Ce dernier ne s’en rendait quasiment jamais compte. Type était un jeune homme à l’aise, Tharn retrouvait ses serviettes partout dans la chambre et il avait le don de laisser traîner ses baskets juste à côté du rangement à chaussures. Bien que ça l’agaçait, il n’en disait rien. Il ne passait pas des heures entières devant le miroir, cependant son air négligé avait quelque chose de naturel et spontané qui lui donnait un certain charme.


Quand il s’agissait des tâches ménagères, il était toujours pressé d’en finir. Tharn, qui avait bien cerné le personnage, savait en tirer profit. Par exemple, quand il avait la flemme, il lui sous-entendait habilement qu’il avait oublié de passer le balai et Type, naïvement, s’exécutait. Cela l’amusait.

Le soir venu, il était embarqué dans le récit enthousiasmant de son quotidien farfelu. C’était ainsi que Tharn apprit que son colocataire se rendait souvent dans un foyer pour s’occuper d’animaux abandonnés. En plus de ça, il était habile de ses mains et savait tout remettre comme neuf, même les bols japonais. Par contre, il était incapable d’ouvrir un bocal de cornichon mais essayait toujours en vain. Laissant de côté sa fierté masculine, il en venait toujours à tendre le bocal à Tharn, qui l’ouvrait sans aucune difficulté, un sourire moqueur aux lèvres.

Quand ils étaient allongés dans leur lit respectifs, ils prenaient le temps de bavarder longuement. Ils étaient là, dans le calme de leur chambre, le visage éclairé par la lumière chaleureuse de leurs lampes de chevets. Type portait en guise de pyjama un vieux t-shirt bien trop large ainsi qu’un short en tissu. Il était le genre de personne à ne mettre qu’une jambe sur deux sous la couette. Sa voix restait vive, même aussi tard et, comme la plupart du temps, c’est lui qui lançait la conversation :

-- Ha mec quelle journée! fit Type en s’étirant. Mes cours de marketing sont inteeerminables en ce moment ! Heureusement qu’on peut  aller nager avec Techno histoire de se défouler !

-- Ha ouais, tu fais de la natation ? J’sais pas pourquoi mais je te voyais plus faire du foot, ou plutôt gueuler sur tes coéquipiers pour qu’ils avancent, dit Tharn en pouffant.

-- Ha.Ha. Très drôle. répondit-il en regardant son coloc, faussement blasé. Mais c’est mort pour le foot, je déteste ça. Eurk, je comprends pas l’intérêt de courir après un ballon comme un petit chien. 

-- Ah, en parlant de chien, ça s’est passé comment au foyer aujourd’hui? Vous avez de nouveaux animaux ? D’ailleurs, ça te vient d’où cette “passion” ?

-- Haaa ça! Je pense que ça doit venir de mon père…

Type plaça ses mains derrière sa nuque et tourna la tête vers le plafond. Une expression de douceur apparut sur son visage.
-- Quand j’étais petit, il m'emmenait toujours avec lui se balader sur la plage et dans la forêt… et il me montrait pleins de trucs ! Un jour on s’était perdu et on a rencontré un grand-père et son petit-fils, qui avait un poulailler. Depuis j’allais tout le temps jouer avec eux et leurs animaux. Et tu veux savoir un truc drôle ? le petit fils c’est devenu mon meilleur pote !  

-- Ahh tu parles de Techno ?

-- Hein ? Noon pas ce boloss quand même ! Il habite toujours à Phuket lui, on se voit moins du coup.

Tharn aimait l’écouter. Il trouvait ces moments agréables. De temps en temps, il se retournait vers son colocataire qui était absorbé dans sa narration. Il le contemplait. Malgré son air parfois grognon, il lui trouvait quelque chose de candide qui l’amusait et l'attendrissait. Durant ces échanges nocturnes, il découvrit qu’ils étaient tout deux fans du groupe SCRUBB, qu’ils aimaient les longues ballades et que de manière générale, beaucoup de choses les rapprochaient.

En définitif, c’était agréable de vivre avec lui et Tharn trouvait que leur duo fonctionnait plutôt bien.