Chapitre 3.1
Type, enroulé sous sa couette, n’arrivait pas à fermer l’oeil. Son cerveau jouait sans cesse le moment où Tharn était au dessus de lui. Des centaines d’idées s’additionnaient à cette image, grouillant dans sa tête comme des milliers de fourmis qu’on aurait disséminées d’un coup de pied. Il ressentit le besoin irrépressible de se regarder dans le miroir. Il devait se voir - comme si il y avait dans son reflet la preuve de ce qu’il venait de lui arriver. Il sortit la moitié de son visage hors de sa cachette pour s’assurer que Tharn dormait, il ne se sentait pas de l’affronter à nouveau.
Il bondit hors de son lit et se précipita dans la salle de bain. La lumière l’aveugla et il regretta une demi seconde de l’avoir allumée. Posté devant le miroir, Type fut surpris de se voir pour la première fois depuis longtemps. Il observa un long moment son visage - une peau sèche, de la transpiration qui perlait sur la tempe, des yeux creusés par le manque de sommeil, des lèvres légèrement gercées. Son regard se porta sur son cou, attiré par une tâche violine. Il fronça les sourcils. Ça doit être une piqûre de moustique, se rassura-t-il, sachant pertinemment que c’en était pas une, Avec appréhension, il s’approcha de la glace afin de s’inspecter plus précisément.
De ses mains tremblantes, il toucha la tâche, craignant qu’elle soit bien réelle et en même temps, priant intérieurement qu’elle ne le soit pas. Sous le bout de ses doigts, la tâche s’estompa. Du maquillage… Il fut soulagé que tout ceci ne ce soit qu’une grosse mascarade. Une drôle de sensation s’empara de son corps à l’idée que Tharn ait pu le toucher. Il s’imaginait les longs doigts de son compagnon de chambre sur sa peau. Rougissant... il se reprit vite, l’image emportée par la colère. Non ! Il secoua sa tête, comme si ça allait lui remettre les idées en ordre. Tharn l’avait touché sans son consentement.
- T’es vraiment stupide Tharn. Ne t’avise plus ja-mais de t’approcher de moi de cette manière, murmura-t-il à lui même.
Type se recoucha. Le sommeil calme l’avait quitté pour laisser place au cauchemar. Il ne cessait de bouger pour trouver une position confortable mais n’y arrivait plus. Son cerveau était en alerte. Des bribes de souvenirs lui revinrent en tête. Une chaise en bois, des cartons empilés les uns sur les autres, un vieux micro-onde, un ballon crevé. Ça ressemblait à un espace de stockage.
Type voulut se réveiller, mais toutes les fibres de son corps étaient tétanisées. Il tenta de reprendre sa respiration mais la chambre tanguait, les murs se rapprochaient de lui, comme pour l’emprisonner. L’atmosphère lui était insupportable. Il suffoquait. Il ouvrit les yeux et se leva brusquement, haletant. Il avait besoin d’air, et vite. Son regard se posa sur la porte, il s’arracha de ses draps et se dirigea vers elle, chancelant.
Type émergea du bâtiment, l’air frais de l’aube lui cingla le visage. Il marchait sans savoir où aller, mais il avait besoin de se défaire de ce mauvais rêve. Pourtant ce dernier s’accrochait à lui, lui collant à la peau. Même si la fatigue le gagnait, il ne voulait pas lui céder. Il erra encore un moment avant de se rendre compte que le soleil brillait déjà et qu’il devait être l’heure d’aller en cours. Type retourna alors dans sa chambre, et trouva le lit voisin vide. Il s’écroula de fatigue.
***
Malgré sa nuit agitée, il retourna en cours l’après-midi. A vrai dire, il aurait préféré rester chez lui. Mais la peur de prendre trop de retard l’avait suffisamment motivé. Il avait rejoint Techno et Team qui étaient déjà présents. Il bredouilla une excuse.
– ‘No tu me passeras les cours du matin pour que je rattrape.
Son ami hocha la tête.
– Mais t’es sûr que ça va ? T’as pris ton manuel de gestion alors qu’on a cours de maths.
A cette remarque, Type inspecta son manuel et en effet, il s’était trompé. Il haussa les épaules et s’installa à sa place habituelle. Ce cours semblait long et irritant. Il ne savait pas si c’était la chaleur, le professeur qui parlait une autre langue ou le bruit de ses camarades qui chuchotaient mais ça le mettait à cran.
La journée fut longue. Son esprit embrumé ne l’épargnait pas, une seule idée tournait en boucle dans sa tête : celle de dormir, mais sa soirée ne faisait de que de s’allonger sans fin et elle n’était pas prête à se terminer car une montagne de dossiers en marketing l’attendaient. De plus, Type avait beau avoir le visage rivé sur sa copie, les lettres restaient indéchiffrables, sans compter le grésillement du frigo qui lui tambourinait le crâne. Malgré sa fatigue, Type était tellement concentré qu’il ne remarqua pas qu’il était déjà 22h. Il n’avait pas mangé, mais n’en ressentait pas le besoin, par contre, une petite pause s’imposait.
Dehors, l’air était frais et humide. Il regretta de pas avoir pris une veste avec lui. Pas loin du dortoir se trouvait une épicerie ouverte 24/7. Il se dirigea vers le rayon boisson, attrapa une canette de café au lait... finalement il en prit trois. C’est en regagnant sa chambre qu’il remarqua le retour de Tharn, assis sur son lit, les écouteurs vissés à ses oreilles et livre à la main. Le fait que celui-ci continuait à vivre sa vie paisiblement le dérangeait. Surtout après le coup qu’il lui avait fait la veille. C’était une blague, certes, mais son malaise ne s’était toujours pas dissipé. Il reprit place à son bureau, ouvrit une première canette et replongea dans ses devoirs. Malgré toute la caféine qu’il avait ingurgité, son corps en décida autrement. Sans même s’en rendre compte, il s’endormit sur son bureau.
… Une chaise en bois, des cartons empilés les uns sur les autres, un vieux micro-onde, un ballon crevé. Un petit garçon jouait au football, seul dehors. Il se mit à chercher son ballon qu’il venait de perdre. Une voix familière lui dit : « Il y en a d’autres dans la cabane au fond du jardin ! Tu veux que je t’accompagne? ». On lui lui prit par la main et l’entraîna vers la dite cabane. L’enfant le suivit, sourire aux lèvres…
Type était en proie, une nouvelle fois, à la même scène, piégé avec ses démons. Le cauchemar était revenu à la charge, si fort qu’il transpirait à grosses gouttes et émettait des gémissements plaintifs.
Cette silhouette au contour flou. Cette voix familière. Cette personne. Lui.
Le corps de Type tressaillit dans la chaleur des draps. Ses mains, moites, se cramponnaient à son lit. Il voulait intervenir, crier, mais l’enfant semblait sourd et avançait, inexorablement. Et plus il avançait, plus l’angoisse grandissait. Il ne pouvait rien faire, seulement être spectateur de la scène, impuissant. Le son de l’horloge semblait résonner, à présent, contre sa tempe en sueur, lourd et pesant, tel le son d’un glas, accompagnant la marche macabre.
Non, non, n’y va pas...
Il fut parcourut d’un frisson, non pas un frisson de froid, mais un frisson de terreur, laissant la sensation qu’une chose inévitable allait se produire. Son coeur battait à tout rompre. Il hurla à l’aide - en vain - aucun son ne sortit. Sa respiration était saccadée. Il essaya de bouger - en vain - il tenta avec des efforts atroces de sortir de la paralysie qui le comprimait et l’oppressait.
«Type...Type ! » Une voix au loin l’interpella. Il sentait qu’on le secouait. Il était partagé entre rester et partir, le rendant coupable. Désemparé, il s’accrocha à la voix qui l’appelait encore et encore, un dernier regard vers l’enfant qui se dirigeait fatalement vers la cabane.
Et soudain, Type ouvrit les yeux sur le visage de Tharn, affolé et confus. Malgré la difficulté, rejetant la couverture, il se redressa. Son corps était anormalement brûlant et lourd.
Il était brisé.
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