13. Samaël

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Le prince ne dormit pas de la nuit. Transpiration profuse et respiration saccadée ; il pensait réellement s’étouffer. Pendant un bref instant, il crut qu’il allait mourir, son cœur menaçant de s’arrêter de battre. Il s’efforça de calmer sa respiration, de reprendre en main ses émotions comme sa mère le lui avait appris depuis ses déboires avec le poison.

Samaël ne voulait plus se rendormir. Il pourrait rester réveillé un peu plus longtemps… gagner du temps sur ses monstres nocturnes. Plus il s’approchait des épreuves de Transition, plus les choses se dégradaient, et chaque nuit se répétait, identique, au point qu’il craignait maintenant les couchers du soleil.

Le prince passa la première partie des épreuves avec succès, mais la seconde était celle qu’on redoutait le plus : elle consistait en une course d’orientation dans la forêt protégée de Bergha, située entre la cité de Xizi et de Kenar. Le but était de trouver la seule issue avec un drapeau bleu sans tomber dans les pièges ni se faire attraper par les patrouilleurs ou les gardes postés un peu partout dans la forêt. Sortir par une issue avec un drapeau rouge était également éliminatoire. On leur donnait des épées et des flèches en bois, le but n’étant pas de tuer quelqu’un, mais ils avaient le droit de garder quelques petites dagues sur eux.

Samaël devait, pour cette épreuve, travailler avec trois autres personnes choisies au hasard. Il n’était pas bon pour coopérer avec des personnes qu’il ne connaissait pas, et il n’était pas le meilleur en orientation. Le prince espérait donc avoir de bons éléments dans son équipe.

Devant la grille principale menant à l’entrée de la forêt, il trouva deux garçons et une fille qu’il reconnut : une certaine Katerina, une amie de Lira. Tout ce qu’il savait d’elle est qu’elle était particulièrement douée au tir à l’arc, meilleur que Lira d’après elle. Les deux garçons étaient en revanche, méconnu pour lui. Il les avait déjà aperçus à l’entrainement, mais sans jamais leur avoir parlé. Tous se figèrent en le voyant arriver. Le prince avait remarqué au fil des années deux attitudes se distinguer chez ses interlocuteurs : il y avait ceux qui se forçaient à se comporter de la façon la plus normale possible et puis ceux qui restaient tout simplement muets.

« Prince Samaël, quel plaisir de vous voir parmi nous. Je suis Katerina Reijnski. »

Elle tendit la main qu’il serra. Samaël sourit. Premier cas de figure donc. Il réfléchit un moment, pensant reconnaître son nom. Elle hocha la tête, comme si elle avait deviné ces pensées.

« Ma grand-mère était général des armées durant la guerre des dix mille âmes. »

C’était ça ! General Reijnski, une dame effrayante et tenace, qui avait formé la plupart des grands soldats de la génération suivante. Elle avait notamment été le mentor de Faris, le général actuel qui l’avait remplacé après sa blessure durant la guerre.

Les deux autres garçons inclinèrent la tête, mais restèrent silencieux : l’attitude du muet donc.

« Tu peux me tutoyer. » répliqua Samaël en réponse à Katerina. « Nous allons être ensemble pendant des heures, alors nous avons intérêts à simplifier nos interactions. Vos noms ? » demanda-t-il en regardant les deux garçons.

L’un d’eux fit un pas en avant. Il était de taille moyenne, mais de corpulence robuste. Ses yeux noirs contrastaient fort avec son teint très blanc et ses taches de rousseurs ; il venait sans doute de la région autour de Lyisstad.

« Jaël De Graaf »

Samaël écarquilla les yeux.

« Fils du commandant De Graaf ? »

Il acquiesça. Le commandant était un des héros de la guerre des dix-milles âmes aux côtés du désormais général Faris. Le prince avait entendu tant de fois la façon dont ils avaient anéanti des dizaines de soldats du Cricks, alors qu’ils étaient encerclés dans un piège mené par l’ennemi. Il ignorait que son fils avait exactement le même âge que lui et il commençait à se demander si l’on avait vraiment attribué ses camarades par hasard. Son père avait-il manigancé tout ça ? Que devait-il en déduire : qu’il ne croyait pas en ses capacités de réussir ?

Le deuxième garçon baissa la tête en signe de politesse. Il était plus grand et mince que son ami, les cheveux rasés à ras. Sa peau mate laissait penser qu’il devait être originaire de l’est du Royaume.

« Je suis Milo Krül, et tu m’excuseras mais mon père n’est pas quelqu’un que tu pourrais connaître. »

« Et pourquoi ça ? »

« Et bien, à part traire des vaches parfois de mauvaise humeur et nourrir des poules souvent agressives, mon père n’a pas vraiment de combat glorieux sous la ceinture. »

Samaël et les autres éclatèrent de rire. Si le fils d’un berger était arrivé si loin dans les Académies de Lyisstad, alors il avait certainement de quoi surprendre Samaël. Il avait appris, en rencontrant Keelan, à ne jamais sous-estimer les personnes venant de village ni de petites cités lointaines. Keelan était par exemple l’une des personnes les plus intelligentes qu’il connaissait.

« Prêts ? » demanda l’un deux gardes à l’entrée de la grille.

Tous acquiescèrent. L’autre garde tendit une carte à Katerina et ils s’avancèrent vers la forêt dense et sombre devant eux. Ils marchèrent quelques temps puis Katerina s’arrêta et sortit la carte de la forêt de Bergha qui était tenue secrète jusqu’au moment de l’épreuve. Samaël n’avait jamais vu une telle carte. Les directions étaient inscrites d’une façon qu’il ne comprenait pas. Ce n’était pas l’habituel nord, sud, est, ouest. Il y avait là des angles inscrits de façon visiblement aléatoire.

« Bon, qui sera responsable de la carte ? » demanda Samaël.

« Il faudrait déjà qu’on comprenne comment la lire » affirma Jaël.

« Ma question était plus tôt : qui ici est bon dans la lecture de carte ? »

Tous se regardèrent sans rien dire. Samaël soupira : il aurait réellement souhaité avoir Keelan avec lui. Milo haussa un sourcil et finit par dire :

« Ce n’est pas nécessaire d’être particulièrement bon dans la lecture de carte. Celle-ci est visiblement inhabituelle. Il faut simplement réfléchir un peu. »

Samaël tourna la carte vers Milo.

« Alors réfléchit. Jaël aide-le. Nous prendrons la garde à tour de rôle. Nous n’avancerons pas sans avoir compris le fonctionnement de cette carte. »

« Nous risquons de perdre du temps. Nous devrions être en mouvement constant. » répliqua Katerina.

« Je préfère perdre un peu de temps maintenant que nous précipiter dans un piège. »

Katerina haussa les épaules, loin d’être rassurée.

« Il ne me semblait pas qu’il y avait une limite de temps, non ? » demanda Milo, confus par leur conversation.

Samaël lança un regard vers Jaël qui avait l’air aussi inquiet que Katerina à l’idée de s’arrêter.

« Il paraît que les patrouilleurs nous traquent. » expliqua Jaël à Milo. « Si nous restons trop longtemps dans un seul endroit, ils nous captureront. Il serait préférable de ne pas se retrouver face à eux autant que possible. »

Tout le monde savait parfaitement que les patrouilleurs étaient redoutables, plus habiles et discrets que les soldats de l’armée. Cependant, ils n’avaient pour l’instant aucun moyen d’éviter les nombreux pièges placés un peu partout dans la forêt.

« Nous venons à peine d’entrer dans la forêt, je pense que nous n’aurons pas de problème aussi tôt dans l’épreuve. » affirma Samaël.

« Espérons que tu ais raison » répondit Katerina.

Samaël surveilla le déplacement de l’ombre des arbres pour traquer le temps qui passait. Au bout d’un moment, il repartit vers les deux garçons toujours plonger dans la carte. Milo avait sorti un petit carnet sur lequel il avait noté des choses que Samaël ne comprenaient pas.

« On avance, ici ? »

« Il me semblait que j’avais vu une carte assez similaire dans un vieux manuscrit de trigonométrie. C’est des mathématiques simples mais subtiles. Il faut les avoir déjà étudiés auparavant pour comprendre la logique. »

« Et as-tu déjà étudié cela auparavant ? »

Milo sourit. « Donnez-moi une vingtaine de minute de plus et j’aurais décrypté la carte. »

« Je vais surveiller les alentours également. Il n’a pas besoin de mon aide. » déclara Jaël.

À peine eut-il fini sa phrase, qu’une flèche en bois couverte de peinture rouge passa non loin de sa main et alla se planter dans l’arbre en face de lui.

« DES SOLDATS ! »

Milo se leva d’un coup. « Suivez-moi, je sais où il ne devrait pas y avoir de piège. »

Il s’élança en vitesse plus profondément dans la forêt, suivi par ses camarades.

« Restez proches les uns des autres ! » s’écria Samaël.

Milo sortit son épée et coupa les quelques feuilles d’arbre obscurcissant son passage. Ils se déplaçaient vite, si vite qu’ils n’entendaient déjà plus les pas des soldats les poursuivant.

« Nous y sommes. » dit Milo en montrant un point sur la carte un peu plus loin de leur point d’entrée.

Ils s’arrêtèrent, essoufflées.

« Je pensais que tu n’avais pas encore résolu le problème de la carte. » déclara Samaël.

« Non, mais j’avais l’intuition que c’était la bonne direction. »

Jaël et Katerina lui lancèrent un regard noir.

« L’intuition ? Tu n’étais pas certain ! » demanda Katerina, de la colère dans sa voix.

« Quoi, ça a bien fonctionné, non ? »

« Nous aurions facilement pu tomber dans un piège, espèce d’idiot ! » s’écria Jaël.

Samaël s’interposa.

« Arrêtez ! Nous n’allons pas nous battre entre nous ! Nous sommes sains et saufs, c’est le plus important. »

« Nous avons besoin de nous faire confiance et ce qu’il vient de faire, c’est irresponsable ! » répliqua Katerina.

« Les soldats étaient sur notre dos, il fallait prendre une décision rapide et c’est ce qu’il a fait. »

Milo marmonna des remerciements. Même s’il comprenait pourquoi il avait fait cela, Samaël n’aimait pas le fait qu’il ne lui avait pas signalé ses doutes. Surtout, il était en colère de ne pas y avoir pensé avant Milo.

« Je vais reprendre mon travail » affirma ce dernier en ressortant la carte et son petit carnet de note.

« Tu as dix minutes. Nous nous déplacerons plus vite désormais. » affirma Samaël.

Personne ne protesta. Ils avancèrent plus loin dans la forêt, marchant prudemment. Samaël craignait les pièges qu’ils ne pouvaient pas encore prédire. Il y avait des indices sur la carte pour les repérer et les éviter mais Milo n’avait pas encore résolu ce problème. Tous se déplaçaient le plus discrètement possible.

« ATTENTION ! » cria soudain Milo.

C’était trop tard. Jaël s’était pris le pied droit dans une corde et se retrouva la tête en bas et les pieds suspendu dans les aires. Des billes pleines de peintures rouges volèrent vers eux mais heureusement, Milo, Katerina et Samaël eurent le réflexe de se jeter par terre. Les billes les manquèrent d’un cheveu. La peinture dont était remplies ces billes étaient éliminatoires. Jaël avait réussi à se redresser et s’agripper tant bien que mal à une branche d’arbre. Il n’avait pas de peinture sur lui.

« Penses-tu qu’il y a d’autres billes ? » demanda Samaël.

« On va vérifier, hein ! »

Katerina prit une branche et fit des mouvements hasardeux au-dessus d’elle. Une nuée de nouvelles billes s’envolèrent dans les aires et retombèrent à quelques pas.

« Il y a des fils transparents un peu partout. » affirma Katerina.

Samaël plissa les yeux pour voir de quoi elle parlait. Il lui fallut un moment avant d’enfin percevoir ces fils extrêmement fins, accrochés d’un tronc à l’autre. Il toucha un fil avec une petite brindille et plus de billes surgirent de nulle part avant d’atterrir plus loin couvrant les branches de rouge.

« On doit libérer Jaël et partir rapidement ! Avec toute cette peinture les patrouilleurs nous retrouveront vite. » déclara Samaël.

« Il y a forcément un stock limite de billes. Peut-être si on le vide, on pourra bouger plus tranquillement. »

Samaël haussa les épaules et Milo prit plusieurs pierres pour les jeter en l’air, retombant sur les fils. Une dizaine de nouvelles billes s’envolèrent à nouveau dans des directions aléatoires. Il réitéra l’expérience mais cette fois-ci, aucune bille n’apparut. Tous se regardèrent, attendant qu’un fasse le premier pas. Samaël soupira et s’apprêta à se relever mais Milo l’arrêta de la main.

« Je ne vais tout de même pas laisser le prince prendre une bille pour moi ! »

Samaël n’eut pas le temps de protester que Milo était déjà en en train de se relever lentement. Le silence total régnait dans la forêt : pas de mouvement, pas de craquement de branches et surtout, pas de bille. Samaël pouvait entendre son cœur battre dans ses oreilles. Si Milo se faisait prendre, il s’en voudrait longtemps. Il se leva tout doucement, mais heureusement rien. Plus de bille. Ils soufflèrent tous comme un seul homme. Milo s’avança vers Jaël en retirant les fils restants, et sortit une dague de sa poche arrière.

« Tu n’as pas intérêt à rater ! » s’écria Jaël, la voix tremblante.

Milo s’apprêta à lancer sa dague quand deux flèches transpercèrent la corde qui se déchira et Jaël s’écroula lourdement au sol. Samaël se retourna et vit Katerina toujours allongée à terre, son arc en main et un petit sourire fier aux lèvres.

« Je n’allais tout de même pas laisser Milo lui arracher un bras. »

« Hé ! Je ne suis pas si mauvais pour viser ! »

Tout le monde rit, soulagé d’être libéré de cette situation. Jaël se leva et sans attendre, ils se remirent en marche, avançant encore plus prudemment. Milo se tourna vers Katerina.

« Reste près de moi, je vais continuer à analyser cette fichue carte. »

Elle acquiesça. Milo marchait avec sa carte sous le nez et son carnet sur l’autre main. Samaël prenait toutes les précautions à chaque pas, regardant le sol attentivement, cherchant un nouveau piège. Tous étaient attentifs au moindre bruit, moindre mouvement.

« AH ! » s’écria Milo.

Ils sursautèrent, d’un coup en position défensive. Samaël se retourna, alarmé.

« C’est fait ! J’ai compris la carte. »

« Tu aurais pu commencer par nous dire ça, non ? » répliqua Katerina, irritée.

« Alors, par où ? » demanda Samaël.

Milo fronça les sourcils. « Vous n’êtes même pas curieux de savoir comment la carte fonctionne ? »

« Non ! » répondit-ils tous en cœur.

« Très bien, très bien. Suivez-moi au pas près, c’est compris ? »

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