15. Samaël

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Le Prince accéléra. Il ne savait pas qu’il pouvait courir plus vite qu’il ne le faisait déjà. Tout ce dont il était certain, c'était qu'il n'avait qu'une solution : fuir. Les patrouilleurs, même simplement en duo, étaient imbatables. Il pouvait percevoir le gout métallique de sa peur dans sa gorge, et sa respiration était plus chaotique que jamais. Il ne sentait plus ses jambes ni ses mains. L’adrénaline courait dans ses veines, rendant sa vision trouble par moment. Son cœur battait à toute allure, menaçant de s’arrêter.

A bout de force, il ignorait combient de temps il devait tenir, combien de temps il pouvait tenir. Il imaginait déja le regard déçu de son père, alors qu'on félicitait les autres étudiants d'avoir réussit les épreuves. Il entendait presque les murmures moqueurs sussurer à son oreil : « Samaël VIIIème de son nom, Samaël l'incapable. » « Le Prince des perdants. »

« NON, je vais y arriver ! » Il leva la tête, appercevant Milo dans sa course effrenée. « Nous y arriverons ! »

Il se retourna et aperçut Katerina, suivi de près de Jaël, essayant de les ratrapper tant bien que mal.

« ALLER, ON NE LACHE RIEN ! » hurla-t-il.

Le prince les vit reprendre en vitesse pendant un bref instant, emportés par ses encouragements. Puis il butta contre Milo qui s’était brusquement arrêter. Samaël comprit rapidement pourquoi. Devant lui, les arbres s’arrêtaient, laissant place aux immenses plaines de soja et les lumières de la cité de Kenar au loin. Ils entendirent soudain une vague d’acclamation et d’applaudissement alors que Katerina et Jaël apparurent à leurs côtés.

« On a réussi ! » s’écria ce dernier, le regard hilare.

Samaël se sentit sourire. Une partie de lui était encore paralysée de doute et de peur. Était-ce vrai, était-ce fini ? Il n’y croyait pas. Jaël prit Katerina dans ses bras et tapota sur son dos. Elle fit de même avec Samaël puis Milo qui avait les larmes aux yeux. Ils avaient réussi. C’était terminé.

Sa mère sortie de la foule, entourée de garde. Elle le prit dans ses bras et Samaël sentit les larmes montaient à la surface.

« Bravo ! Je suis tellement fière de toi mon fils ! »

Le roi était derrière elle, totalement inexpressif, comme à son habitude. Il s’approcha et lui tendit la main. Samaël ignorait totalement ce que son père pensait. Était-il enfin fier de lui ? Il l’imita, ne sachant pas vraiment quoi faire. Il lui serra fermement la main puis dit, souriant pour la foule :

« Lira et son équipe ont terminé hier en moins de six heures. Sais-tu le temps que vous avez fait ? »

Samaël ne répondit pas. Il ne voulait pas savoir. Il sentit sa gorge se serrer. Son père ne pouvait-il être heureux pour lui un instant ?

« Onze heures, mais… félicitations je suppose. »

Samaël fronça les yeux de colère mais resta silencieux. Il n’avait jamais entendu un quelconque mot d’encouragement, de soutient venant de son père. Même ses félicitations avaient un gout amer. Il ne savait pas comment réagir. Il sentit un volcan d’émotion remonter à la surface mais se contenta de hocher la tête avant de se retourna vers ses camarades. Il aperçut Jaël dans les bras de sa mère puis de son père. Ils avaient l’air si heureux pour lui. Les parents de Milo à côté étaient tout aussi heureux. Sa mère pleurait à chaude larme. Il vit une fille lui ressemblant comme deux gouttes d’eau lui sauter dans les bras. Samaël resta impassible devant ce spectacle de joie.

Sa mère à ses côtés, lui expliquait ce qui allait se passer maintenant, la cérémonie qui allait suivre, mais il n’écoutait pas vraiment. Il se sentait drainé. Il devrait être heureux, non, fou de joie, mais il se sentait vide. Il avait travaillé si dur, s’était entrainé sans cesse… tout ça pourquoi ? Samaël baissa la tête, essayant de ne rien montre à la foule ni à sa mère. Jamais n’avait-il autant souhaité ne pas être prince. Jamais n’avait-il autant souhaité ne pas être le fils de son père.

« …seras un grand homme, mon fils. »

Sa mère à côté ne semblait pas avoir remarqué qu’il ne l’écoutait pas. Il leva la tête vers elle. Au moins elle était là pour lui.

« Tu portes le nom du premier roi de Lyis, un grand guerrier qui a sauvé notre civilisation entière. Une lune, ton nom aussi sera dans les livres d’histoire, dans les contes qu’on raconte aux enfants, dans les légendes. »

Elle le prit dans ses bras et le serra fort. Elle s’arrêta et le regarda un moment.

« Qu’y a-t-il, mon chéri ? »

Samaël montra de la tête son père marchant devant eux, qui faisait des signes à la foule enjouée.

« Pourquoi est-il toujours comme ça avec moi ? »

« Tu dois comprendre Samaël, il avait peur que quelque chose t’arrive, il devait s'assurer que tu serais bien entouré, c’est tout. »

Le prince s’arrêta.

« Es-tu en train de me dire qu’il a bien fait en sorte de mettre Katerina, Jael et Milo avec moi ? »

Sa mère ne dit rien et continua de marcher. Son silence en disait long.

« Il avait peur que j’échoue. Il n’a jamais cru en moi. »

« Ce n’est pas vrai, voyons. Il est ton père, tu sais très bien qu’il t’aime plus fort que tout et qu’il ne veut rien d’autre que ton bien. »

« Je ne le sais pas, non. Je suis sûr qu’il aurait souhaité avoir un meilleur fils. Ou Lira. »

Shama s’arrêta net, effarée par ce qu’il venait de dire.

« Arrête tes bêtises, Samaël ! Tu es son fils unique, le prince héritier. Ton père est aussi sévère avec toi justement parce qu’il sait que tu es capable de faire de grandes choses ! Aller, ressaisis-toi. Nous devons partir. Le carrosse est là. Une longue nuit de fête nous attend ! »

Il hocha la tête et resta muet tout le trajet jusqu’au château. En entrant dans sa chambre, il beugla aux servants de s'en aller. Samaël ne voulait voir personne.

Il retira ses vêtements avec une violence telle qu'il les déchira. Des larmes remontèrent à la surface et il s'écroula devant son immense mirroire incrusté de diamant. Son reflet pathétique lui donna envie de vomir.

« Regarde toi, bouffon. Regarde comme tu es laid. Stupide. Faible. Même entouré des meilleurs, tu es incapable de faire mieux. Quel déchet. Quel décéption. Un moins que rien. »

Le prince frappa le sol de ses poings de toutes ses forces, faisant saigner ses doigts. Il était persuadé d’avoir cassé quelque chose mais ignora la douleur. Il pleurait sans pouvoir arrêter ses larmes. Pleurait-il d’épuisement, de tristesse, de colère ? Certainement un mélange de tout. Il gratta sa cicatrice machinalement, le regard vide. Peut-être aurait-il était plus simple si il était mort.

Samaël ferma les yeux et prit une grande inspiration. Il posa sa main sur le miroir et dessina comme une couronne sur sa tête avec son poing sanglant.

« Tu ne le laisseras pas gagner. Tu ne lui donneras pas cette joie de te voir dans cet état. Qu’il aille se faire foutre, ordure. J’attends avec impatience le jour où il crèvera. »

Il entra dans l’énorme salle des fêtes et se rua sur le premier verre d’élixir, sa mère était sur ses pas.

« Tu le sais que je suis fière de toi, n’est-ce pas ? »

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres.

« Bien sûr mère, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. »

« Mais… qu’est-ce que tu t’es fait aux mains ? » demanda-t-elle alarmé en voyant ses poings enroulés dans des bandages.

« Ce n’est rien. Ça ne me fait plus rien. »

Sa mère ajouta quelque chose mais Samaël l’écoutait déjà plus. Il était distrait par l’arrivée de Lira qui discutait avec son père, le General Faris. Elle portait une robe sublime bleu turquoise révélant ses larges épaules et dessinant à la perfection ses formes gracieuses. Celle-ci tourna la tête vers lui et sourit. Il répondit à son sourire immédiatement et baissa les yeux, gêné. Shama se retourna et aperçu Lira et son père a qui elle fit un signe de la main.

« Tu devrais la féliciter » affirma sa mère, un large sourire aux lèvres.

Lira célébrait aussi sa réussite après tout ; finir en moins de six heures était un record. Il était communément admis que toutes les personnes qui battaient les records des Épreuves de Transition accomplissaient de grandes choses. La précédente détentrice du record est désormais la plus jeune Capitaine de la Garde Royale de l’Histoire.

Samaël ne put s’arrêter de sourire bêtement à Lira alors qu’elle s’approchait de lui. Il sentit déjà son cœur s’accélérer, tous ses muscles se crisper. Pourquoi son corps réagissait-il ainsi ? Ce n’était que Lira. Il ne pouvait se souvenir d’un temps où elle n’était pas quelque part, à ces côtés. Ils avaient grandi ensemble après tout. Il l’avait toujours admirée, certainement même plus que ce qu’il ne daignait s’avouer à lui-même.

« Bien joué. » lui dit-il d'un ton posé, presque détaché.

Le sourire de son amie, alors flamboyant, se fit plus discret. Il ignorait pourquoi il n'arriva pas à lui dire tout ce qu'il pensait réellement, à quel point il était heureux pour elle et fière de son exploit.

« Félicitation, altesse. » répondit-elle avec une froideur qui lui ressemblait bien.

Peut-être était-ce préférable qu’il reste neutre. Lira n’était clairement pas intéressée par lui. Pourquoi le serait-elle, elle était tellement supérieur sur tous les points. Samaël soupira. Il fallait qu’il arrête d’y penser. Il avait réussi et c’était tout ce qui devait compter. Il regarda Lira danser avec d’autres amis, le regard amer, alors qu’il finissait un énième verre.

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